À Joigny, la librai­rie Bis Repetita créé du lien social

Chaque mois, on demande à quelqu’un·e pour­quoi il ou elle se lève le matin. La réponse en dessins. 

En remon­tant sous la pluie la rue prin­ci­pale du centre his­to­rique de Joigny (Yonne), les ravis­santes façades à colom­bages peinent à mas­quer la pau­vre­té du coin. Le centre de la petite cité bour­gui­gnonne, comme dans nombre de villes moyennes, a capi­tu­lé face à la zone com­mer­ciale voi­sine, voyant nombre de ses com­merces dis­pa­raître. Tous ? Non, une petite bou­tique peu­plée d’irréductibles com­pères résiste encore et tou­jours à la déser­ti­fi­ca­tion. Bienvenue à Bis Repetita, la librai­rie de BD de Philippe Baron et Bahia.

Bahia, c’est la chienne, une samoyède. C’est elle l’enseigne, la mas­cotte. Tout le monde la connaît, certain·es client·es ne viennent que pour elle. Elle a même eu une page entière de por­trait dans L’Yonne répu­bli­caine ! Philippe, c’est le libraire.

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Philippe, 57 ans, est né à Joigny, dans une famille d’horticulteurs modestes. Il n’a jamais été un grand lec­teur : pour lire, il lui faut des images. « Je lisais Alix dans L’Yonne répu­bli­caine de mon père, Boule et Bill dans Les Bonnes Soirées de ma mère. Dès 6–7 ans, je tra­vaillais avec mes parents pour gagner de quoi m’acheter Picsou, Zembla, Akim… Mon pré­fé­ré, c’était Capt’ain Swing ! »

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© Camille Besse

« Un jour, vers 18 ans, dans la bagnole d’un copain, je découvre Les Passagers du vent. Je suis tom­bé dedans. Je suis pas­sé de l’adolescence à l’âge adulte le temps d’un livre : trois ans après, j’étais libraire BD. »
Bis Repetita est sa deuxième librai­rie – d’où le nom. Dans la pre­mière, il ven­dait aus­si des disques. Dans celle-​ci, il fait salon de thé. « Sans les Parisiens et les tou­ristes, je n’y arri­ve­rais pas. La BD, c’est un loi­sir oné­reux. J’aurais fait que de la BD, je me serais plan­té. Le salon de thé devait me faire un com­plé­ment de reve­nus, mais en peu de temps, il a pros­pé­ré. C’est lui qui porte la vente de BD aujourd’hui. »

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« Ce n’est pas facile de faire entrer les gens d’ici. 38 % de la popu­la­tion vit sous le seuil de pau­vre­té. Déjà, je ne vends pas d’alcool. Et puis il y a des livres, ça en décou­rage cer­tains. Je suis d’un natu­rel très timide, je me suis mis en dan­ger en deve­nant com­mer­çant. Alors je m’applique, j’ai pas le droit de me plan­ter. 
C’est comme au rug­by, faut aller au contact ! Un bon com­mer­çant doit être un bon comé­dien aus­si. Les clients disent : “T’es tou­jours sou­riant”. Bah oui, sinon tu ne vas pas entrer chez moi ! Les gens viennent ici pour trou­ver du récon­fort. J’ai beau­coup de clients fra­giles, qui se sentent en sécu­ri­té ici. À Joigny, j’ai un rôle social, c’est hyper impor­tant. Certains ven­deurs se plaignent qu’on leur tienne le cra­choir pen­dant une heure, mais ça fait par­tie du job. Tu prends sur toi et le client repart en meilleur état. C’est satis­fai­sant, c’est ça être commerçant. » 

En neuf ans, Bis Repetita a tis­sé sa toile, fai­sant naître une belle com­mu­nau­té de fidèles, à com­men­cer par la très peu sérieuse Confrérie des ama­teurs de Michoko, qui compte aujourd’hui vingt-​six membres ! Le crumble mai­son du same­di après-​midi est deve­nu un rendez-​vous rituel, « presque reli­gieux ». Le salon de thé accueille régu­liè­re­ment un cercle franco-​américain, une cho­rale, un club de poètes, le club d’aviron de retour de l’entraînement… Il a même héber­gé des cours d’allaitement ! Philippe accueille aus­si des jeunes, par­fois des enfants. Les parents ont confiance. 

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On vient ici par­ler du temps qu’il fait, des sou­cis du moment, de rug­by – beau­coup (l’autre pas­sion de Philippe, son fils a été cham­pion de France !) –, de poli­tique – un peu. On trouve des jeux de socié­té, des bon­bons… Et des habitué·es : per­sonne ne passe com­mande, Philippe sait déjà ce que cha­cun prend.
Jean-​Claude retrouve ici l’ambiance du bis­trot de ses parents dans le Nord : « Dans les cafés, per­sonne ne se parle plus, les gens res­tent der­rière leurs zappettes. » 

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Colette passe se ren­sei­gner sur les graines pour mésanges (Philippe n’a rien oublié de ses années hor­ti­coles), une dame entre, prend un gâteau pour chien sur le comp­toir et res­sort l’offrir à Bahia, Philippe (un autre) s’inquiète de la sor­tie du pro­chain Bourgeon. Mirka, qui tra­vaille à la bou­tique de créa­teurs d’en face, vient boire son café tous les matins. « Et aus­si quand j’ai besoin de décom­pres­ser, que la jour­née est com­pli­quée. »
Céline, une habi­tuée, conclut : « Ce coin est tel­le­ment déser­té, on a besoin de convi­via­li­té. Le bar PMU, les gars accro­chés au comp­toir, c’est pas mon truc. Ce lieu-​là, il tisse du lien. »

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