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Photo issue du site gouvernement.fr © DR

À peine ministre, Élisabeth Moreno fait déjà grin­cer des dents

Après une car­rière dans la tech, Élisabeth Moreno a été nom­mée, le 6 juillet, ministre délé­guée à l’Égalité femmes-​hommes, à la Diversité et à l’Égalité des chances. Cette cheffe d’entreprise de 49 ans intègre la galaxie macro­nienne, en rem­pla­ce­ment de Marlène Schiappa, pro­mue ministre délé­guée char­gée de la Citoyenneté. Un choix qui en laisse plus d’un·e sceptique.

Attendue tout le week-​end, la com­po­si­tion du gou­ver­ne­ment de Jean Castex a été dévoi­lée le lun­di 6 juillet, à 19 heures. Parmi les nomi­na­tions qui ont immé­dia­te­ment fait jaser, celle d’Élisabeth Moreno. Inconnue du public et du monde poli­tique, cette diri­geante d’entreprise de 49 ans décroche le minis­tère dédié à l’Égalité femmes-​hommes, auquel s’ajoutent désor­mais les mis­sions Diversité et Égalité des chances.

Mais qui est Élisabeth Moreno ? La nou­velle ministre est avant tout une pro du high-​tech. Présidente, depuis jan­vier 2019, de HP Afrique, le groupe amé­ri­cain spé­cia­li­sé dans l’informatique et le mul­ti­mé­dia, elle a aupa­ra­vant diri­gé le fabri­cant chi­nois d’ordinateurs et de télé­phones, Lenovo. De 2002 à 2012, elle fait ses armes chez Dell. Mais c’est la petite entre­prise de trente sala­riés, qu’elle a créée à 20 ans avec son ex-​mari, qui l’a ini­tiée au monde des affaires.

Née en 1970 au Cap-​Vert, Élisabeth Moreno est arri­vée en France à l’âge de 7 ans. Sa famille s’installe dans Essonne, dans le 91. « Je cochais toutes les cases de l’impossibilité : des parents qui ne savent ni lire ni écrire, une femme, noire, éle­vée dans une cité et évo­luant dans le bâti­ment puis les techs », confiait-​elle en 2019 au Figaro. À ses enseignant·es qui vou­laient l’orienter vers un CAP, elle répond par le tra­vail et la per­sé­vé­rance. Elle obtient un bac L puis une maî­trise en droit des affaires à l’université Paris-​XII. Elle se rêvait avo­cate, elle est fina­le­ment deve­nue juge puis diri­geante d’entreprises.

Mais que signi­fie le choix de son pro­fil, davan­tage tech que mili­tant ? Pour Maxime Ruszniewski, pro­duc­teur, fémi­niste et ex-​conseiller de Najat Vallaud-​Belkacem au minis­tère des Droits des femmes, le métier du ou de la ministre ne compte pas : « La seule bous­sole, c’est l’ambition du minis­tère, les moyens qu’on lui donne et les actes. Le fait qu’elle vienne du monde de l’entreprise peut au contraire être une force sur les ques­tions liées à l’égalité pro­fes­sion­nelle. » Laura Jovignot, porte-​parole de Nous Toutes, rap­pelle que Marlène Schiappa, connue pour son mili­tan­tisme, a pour­tant « pen­dant deux ans, trai­té les fémi­nistes avec le plus grand mépris ». Le métier ne ferait donc pas le ou la ministre. « À condi­tion que la per­sonne porte des convic­tions fémi­nistes fortes et ancrées », pré­cise Raphaëlle Rémy-​Leleu, conseillère Europe-​Écologie-​Les Verts (EELV) à la Ville de Paris. Selon cette fer­vente fémi­niste, choi­sir une femme qui a réus­si dans le monde de la tech n’est pas ano­din, « quand on sait à quel point l’informatique est un domaine dont on a des­sai­si les femmes et un sec­teur pro­fes­sion­nel par­mi les plus sexistes ».

Ces petites phrases sur­gies du passé…

Quelques heures seule­ment après sa nomi­na­tion, la vision du fémi­nisme d’Élisabeth Moreno posait pour­tant déjà ques­tion. Dès le 6 juillet, Caroline De Haas, figure de proue de Nous Toutes, déter­rait une petite phrase de Moreno ques­tion­nant la légè­re­té de la nou­velle ministre de l’Égalité à l’égard des blagues sexistes autour de la machine à café. 

En effet, dans cette inter­view de 2018 accor­dée à l’école de com­merce Groupe Ionis, on retrouve la décla­ra­tion com­plète d’Élisabeth Moreno inter­ro­gée au sujet de la mixi­té pro­fes­sion­nelle : « Je ne veux sur­tout pas que les hommes se sentent gênés, car ils auraient le sen­ti­ment qu’il n’y en a que pour les femmes ! Les blagues à la machine à café sont très impor­tantes, car il ne faut pas qu’on se sente ver­rouillé et qu’on ne puisse plus s’exprimer. Je ne veux pas d’un cli­mat de défiance où le sexisme met tout le monde mal à l’aise et où cha­cun mesure constam­ment chaque mot qu’il uti­lise… » Cette posi­tion qui rap­pelle le fameux « on ne peut plus rien dire » fait grin­cer des dents.

Le posi­tion­ne­ment de la ministre inquiète encore davan­tage lorsqu’elle tient des pro­pos essen­tia­li­sant les femmes. Dans ce même article, Élisabeth Moreno observe : « En France, deux femmes dirigent les deux plus grands construc­teurs infor­ma­tiques PC, Pascale Dumas chez HP et moi-​même. […] Plus vous en mon­tre­rez, plus les femmes réa­li­se­ront que c’est pos­sible. Et ce ne sont pas des exemples de femmes qui se sont “mas­cu­li­ni­sées” ! Nous avons toutes des enfants. »

Retour en arrière, fémi­nisme conser­va­teur, « sois fémi­niste et tais-​toi » : les attaques concer­nant sa vision rétro­grade des femmes se mul­ti­plient. D’autant que la ministre de l’Égalité réci­dive lors de son pre­mier dis­cours le 7 juillet. « Il n’y a pas de plus belle com­plé­men­ta­ri­té que celle entre les femmes et les hommes », a décla­ré Élisabeth Moreno. Pour Maxime Ruszniewski, cette sor­tie est pré­oc­cu­pante : « Il faut abso­lu­ment deman­der à la ministre de pré­ci­ser sa pen­sée. On ne peut pas être fémi­niste et en même temps, avan­cer des théo­ries essen­tia­listes. C’est com­plè­te­ment anti­no­mique avec le mou­ve­ment fémi­niste. » Même son de cloche chez Raphaëlle Rémy-​Leleu. Pour elle, au vu de l’évolution du fémi­nisme dans la socié­té, qui ne cesse de gagner du ter­rain ces der­nières années, ce choix « manque de cohé­rence intel­lec­tuelle et poli­tique ». Et, de fait, les décla­ra­tions d’Élisabeth Moreno ne la ras­surent pas. « Mais si la feuille de route est claire et dotée de moyens et que la ministre a envie de tra­vailler avec les fémi­nistes, les asso­cia­tions et les expert·es, tant mieux… », nuance-​t-​elle, avant d’avouer qu’elle ne se fait pas d’illusion. L’élue EELV pré­vient d’ores et déjà qu’en réponse à ce rema­nie­ment, qui a aus­si fait accé­der à l’Intérieur Gérald Darmanin, accu­sé de viol, et à la Justice Éric Dupond-​Moretti, aux posi­tions anti­fé­mi­nistes, il y a urgence de « construire un mou­ve­ment social et fémi­niste fort, que ce soit sur la ques­tion des vio­lences sexistes et sexuelles, l’exemplarité du gou­ver­ne­ment et la réforme des retraites ».

Catherine Ladousse, pré­si­dente du Cercle InterElles, a côtoyé la nou­velle ministre dans ce réseau de femmes d’entreprises de haute tech­no­lo­gie et au groupe Lenovo. L’ancienne direc­trice de la com­mu­ni­ca­tion appelle à ne pas s’arrêter sur « des petites phrases ». « Élisabeth Moreno a évo­lué comme moi dans un milieu très mas­cu­lin, et où mal­heu­reu­se­ment des déra­pages existent. Cela ne nous empêche pas d’être vigi­lantes. Laissons-​lui la pos­si­bi­li­té d’exercer et jugeons-​la à l’œuvre », défend-​elle. Elle ajoute tou­te­fois que l’inquiétude demeure à s’assurer que « la ques­tion des droits des femmes reste bien la prio­ri­té et la grande cause du quin­quen­nat comme annon­cé par le pré­sident Macron ».

Toujours pas de minis­tère de plein exercice

Enfin, les fémi­nistes n’oublient pas une autre pro­messe de cam­pagne du pré­sident Macron d’un minis­tère plein pour l’Égalité. « On est pas­sé certes d’un secré­ta­riat d’État à un minis­tère délé­gué, mais ce n’est pas encore un minis­tère de plein exer­cice », rap­pelle Maxime Ruszniewski. 

Que pen­ser éga­le­ment de ce minis­tère délé­gué à l’Égalité femmes-​hommes, à la Diversité et à l’Égalité des chances ? Un por­te­feuille fourre-​tout ? « Tout est une ques­tion de moyens », selon Raphaëlle Rémy-​Leleu, qui défend « une poli­tique fémi­niste trans­mi­nis­té­rielle avec, par exemple, l’Intérieur, la Justice et la Santé ». Maxime Ruszniewski, lui, voit bien des liens entre les dif­fé­rentes formes de dis­cri­mi­na­tions, notam­ment les inéga­li­tés de genres et l’homophobie. Mais il recon­naît la dif­fi­cul­té de trai­ter toutes ces dis­cri­mi­na­tions dans un seul minis­tère sachant qu’elles ont des res­sorts dif­fé­rents. Selon l’ancien conseiller, « l’ampleur des inéga­li­tés dans ce pays est telle qu’on pour­rait ima­gi­ner plu­sieurs minis­tères dédiés comme pour l’agriculture qui dis­pose de plu­sieurs sous-ministères. »

Pour Laura Jovignot, l’urgence est ailleurs : « Il fau­drait qu’Élisabeth Moreno nous écoute et qu’elle prenne posi­tion contre la nomi­na­tion de Darmanin et de Dupond-​Moretti. Ce serait un pre­mier geste fort. » « C'est impos­sible », selon Raphaëlle Rémy-​Leleu, qui appelle « à ne pas mettre sur le dos de la ministre la res­pon­sa­bi­li­té d’un choix poli­tique qui ne lui revient pas ».

À en croire le pro­fil LinkedIn d’Élisabeth Moreno : « Il faut tou­jours viser la Lune, car même en cas d’échec, on atter­rit dans les étoiles » (Oscar Wilde). Presque comme Amel Bent. Pourvu que cette ambi­tion se véri­fie aus­si en poli­tique… Au nom des droits des femmes.

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