Dans le cadre d'un projet de loi numérique, le ministre de la Transition numérique Jean-Noël Barrot souhaite permettre aux juges d'interdire l'accès aux réseaux sociaux des personnes condamnées pour cyberharcèlement.
L'enjeu est affiché : en annonçant vouloir créer une « peine complémentaire de bannissement des réseaux sociaux », le gouvernement entend cibler les « internautes qui se comportent comme des chefs de meute qui embrasent leur communauté et qui déclenchent des raids ciblés sur des personnalités ». C'est ainsi que Jean-Noël Barrot, ministre à la Transition numérique et aux télécommunications, a expliqué mercredi 10 mai sur France 2 l'un des volets de sa future loi pour sécuriser et protéger l'espace numérique. Présenté en conseil des ministres ce même jour, le projet de loi s'attèle pêle-mêle à la lutte contre le cyberharcèlement, la pédopornographie, l'accès des mineur·es aux sites porno, les arnaques en ligne, les médias de propagande, les locations touristiques illégales ou encore les abus commerciaux.
En ce qui concerne le cyberharcèlement, Jean-Noël Barrot a annoncé que la peine complémentaire de bannissement des réseaux sociaux pourra s'étaler de six mois à un an en cas de récidive. En plus d'une suspension des comptes utilisés pour cyberharceler, « les plateformes devront mettre en œuvre les moyens pour éviter la réinscription des comptes » des personnes condamnées, même si elles changent d'identifiant, a précisé le ministre.
« À l'image du dispositif des interdits de stade, ce dispositif préviendra la récidive », avait-il déjà indiqué au Figaro mardi. Selon les informations du quotidien, c'est un vaste champ de cyberharcèlement qui sera visé par cette nouvelle disposition pénale : harcèlement sexuel, moral ou scolaire, les appels à la haine racistes, religieux, sexistes, le négationnisme, la répression de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, et l'apologie du terrorisme.
Les assos demandent surtout des moyens
Pour l'association Féministes contre le cyberharcèlement qui s'est exprimée sur Twitter, « il est bien sûr nécessaire de renforcer l’arsenal juridique pour lutter contre les cyberviolences, mais cela est insuffisant ». Et de rappeler que selon le sondage que l'association avait commandé à Ipsos en 2021, plus de 4 Français·es sur 10 rapportaient avoir été victimes de violences en ligne. Parmi eux·elles, les 18–24 ans sont les plus touché·es, avec 87% de cette tranche de population rapportant de tels faits.
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Face à ce phénomène massif, « les pouvoirs publics doivent mettre de l’argent sur la table, exige l'association. C’est indispensable pour mettre en place de grandes campagnes de prévention et de sensibilisation, faciliter le recueil de données et la production d’analyses sur le sujet, créer des plateformes d’accompagnement et des espaces d’accueil pour les victimes, mais aussi former les professionnel·les de justice, de police, de santé et d’éducation et améliorer l’accès au droit des personnes ! » Car derrière les intentions du gouvernement de renforcer la sévérité des peines se cache l'immense difficulté pour les victimes de voir leur cyberharceleur condamné : « Un tiers des victimes se sont vues refuser un dépôt de plainte et 70% des plaintes n'ont donné lieu à aucune poursuite », constate Féministes contre le cyberharcèlement grâce à un sondage Ipsos sur le vécu des victimes cette fois paru en novembre 2022.
"Filtre anti-arnaque"
En ce qui concerne les autres points phare du projet de loi porté par Jean-Noël Barrot, on trouve un renforcement des pouvoirs de l'Arcom pour bloquer par les opérateurs et déférencer « en quelques semaines » les sites porno ne respectant pas l'interdiction d'accès aux mineur·es. Jusqu'à présent, seule une décision judiciaire peut permettre le concours des fournisseurs internet et navigateurs web.
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Pour lutter contre la pédopornographie, le projet de loi entend créer « une amende pouvant aller jusqu'à 4% de leur chiffre d'affaire annuel, détaille Le Figaro, s'ils ne retirent pas sous 24 heures les contenus pédopornographiques qui leur auront été signalés par la police et la gendarmerie. » Cela représentait l'année dernière « 74.000 demandes de retrait de contenus pédopornographiques adressées aux hébergeurs », a indiqué Jean-Noël Barrot au journal.
Outre la création d'un « filtre anti-arnaque » affichant un message gouvernemental de prudence lorsque l'utilisateur·rice clique sur un lien jugé dangereux par les autorités administratives (usurpation d'identité, paiements frauduleux, phishing…), un autre point clef du projet de loi concerne la lutte contre les médias de propagande. Inspirée par les problématiques posées par les médias russes RT et Sputnik, cette disposition prévoit d'octroyer à l'Arcom « le pouvoir de demander l'arrêt de la diffusion sur les plateformes numériques de médias qui auront été interdits à l'échelle européenne pour propagande ou ingérence étrangère », précise Le Figaro. De quoi tenter de contrer la stratégie de ces médias propagateurs de fake news : après leur interdiction, RT et Sputnik s'étaient installés sur les plateformes de vidéos américaines Odysee et Rumble, afin de continuer à toucher un public francophone, rappelle Le Figaro.
Le projet de loi pour sécuriser et protéger l'espace numérique devrait être examiné au Sénat d'ici l'été.