De nombreuses utilisatrices Vinted dénoncent le harcèlement qu’elles subissent sur la plus célèbre des friperies en ligne, accusée de ne pas lutter efficacement contre le phénomène.
« Après la chaleur espagnole, je vous présente le charme belge. » Sous couvert d’anonymat grâce à son pseudo, Kikiricou publie sur un forum de voyeurisme des photos qu’il a récupérées sur Vinted. Le lendemain, il récidive : « Pour ce soir, ce sera une Italienne. »
Ces publications, Agathe les connaît bien. Membre d’un groupe Facebook et d’un compte Twitter venant en aide aux « Vinties » – les utilisatrices de la plateforme de revente de vêtements, largement majoritaires par rapport aux hommes –, elle est régulièrement confrontée au problème. Au milieu de l’année 2017, elle remarque un voyeur particulièrement actif, volant les photos que les femmes prennent d’elles dans les tenues qu’elles souhaitent vendre, pour les republier sur des forums où des hommes se rincent l’œil à leur insu. Avec une amie, Agathe cherche les victimes de ses publications et passe « des heures et des nuits à arpenter les sites et fouiller Vinted ainsi que Facebook pour les retrouver », jusqu’à réaliser que l’une de ces victimes est mineure. Ce cas la révolte encore davantage que les autres : « Là, on passait sur de la pédopornographie, c’était vraiment très grave. »
Recherches Internet, cache du forum… Les deux enquêtrices exploitent la moindre information et finissent par trouver le nom et la ville de l’agresseur. Elles transmettent les informations à la victime mineure, qui porte plainte. « Très peu de victimes vont aussi loin, donc c’était déjà une victoire, se réjouit Agathe. Depuis, je crois que l’affaire suit toujours son cours. J’ai eu une ou deux fois des nouvelles, la victime m’a dit que sa plainte avait été prise au sérieux. Mais on connaît les lenteurs de notre système judiciaire… » Si l’attitude de la jeune femme est un motif de satisfaction pour Agathe, la réaction de la friperie en ligne la désole. Elle explique l’affaire aux modératrices, qu’elle estime être « les seules avec de vrais contacts » à même de faire bouger les choses. Mais elle ne se souvient pas d’avoir obtenu de retours, malgré sa confiance dans le fait que les modos aient fait remonter le problème à leur hiérarchie. « Vinted a une organisation très opaque, observe Agathe. Et aucun moyen de les joindre, si ce n’est une ou deux adresses mail qui traînent et auxquelles ils ne répondent pas. »
Des dick pic reçues
La plateforme, dont l’audience est largement féminine, n’a pourtant rien d’un espace sûr. S’exposer pour vendre des vêtements est une bonne façon d’augmenter ses ventes… mais le prix à payer, c’est le harcèlement que ces femmes subissent trop souvent en retour. « Un article porté se vend mieux. Sauf que les voyeurs les réutilisent et ils ne s’intéressent pas qu’aux photos explicites. Un pied, un genou ou une épaule leur suffisent, alors forcément, n’importe quelle image de vêtement peut leur servir », raconte Agathe.
Inscrite sur Vinted depuis 2013, Garance partage ce constat. Après plusieurs années d’inactivité, elle utilise à nouveau la plateforme au mois de septembre. Elle poste alors souvent des photos de vêtements portés, car « la plateforme le recommande ». Comme de nombreuses utilisatrices, elle reçoit des messages indésirables. « Des choses du style : “t’es jolie”, “t’es sexy”, “t’as une belle poitrine” et même un type qui me demande une photo nue, s’indigne Garance. C’était le troisième de la journée à m’envoyer ce type de message. Jusque-là, j’étais pédagogue, je répondais que ce n’était pas une plateforme de rencontres. Mais là, j’ai été un peu plus énervée, c’était trop. Finalement, j’ai reçu un avertissement de la part de Vinted parce que j’avais envoyé des mecs balader et qu’ils m’avaient signalée en retour. » Garance a beau signaler systématiquement ce type d’agissements à Vinted, l’entreprise lituanienne ne tient pas au courant ses membres des résultats de leur requête.
Excédée de ne pas être soutenue par la plateforme, elle crée @BalanceTonVinted, un compte Instagram pour dénoncer l’impunité du harcèlement qui y règne. Elle y publie des captures d’écran de conversations que lui envoient les Vinties. Le compte accumule 5 600 abonné·es… avant d’être fermé le 11 février 2021. Garance ne sait pas si ce bannissement d’Instagram vient de son dernier post, une dick pic – une photo d’un pénis – floutée, reçue par une vendeuse qui n’avait rien demandé ou de masculinistes qui auraient signalé son compte. Trois semaines après, Instagram ne lui a toujours fourni aucune explication malgré le mail qu’elle a envoyé pour comprendre ce qu’on lui reprochait.
Quelle solution technique contre les captures d'écran ?
À chaque témoignage, les victimes de harcèlement se plaignent d’un même silence du côté de Vinted. Elles estiment que la start-up lituanienne devenue licorne – terme désignant les start-ups valorisées à plus d’un milliard de dollars – n’a pas accompagné son succès de suffisamment de garde-fous pour lutter efficacement contre les messages intrusifs et la réutilisation de photos qui se retrouvent parfois sur des sites pornographiques comme Hamster X. « Ils sont hyper pédagogues sur les ventes, reconnaît Garance. On peut trouver des tutoriels pour mettre en valeur les vêtements en les portant. Mais on ne peut le faire que si on est protégées et si l’on sait que les photos ne fuiteront pas. Là, on est un peu jetées dans la cage aux lions. » La solution ? « Le site pourrait mettre en place une politique dissuasive, car je crois en la pédadogie, puis punitive dans un deuxième temps. Quand on voit le nombre d’images qui finissent sur les forums, on se demande comment ça se fait que Vinted laisse passer ça. Il doit y avoir une solution. » De son côté, Agathe estime que l’entreprise pourrait systématiser la demande de carte d’identité à chaque nouvelle inscription.
Contactée par Causette, l’entreprise confesse être au courant de ces agissements, ainsi que des problèmes rencontrés par ses utilisatrices et estime prendre l’affaire au sérieux : « La sécurité de nos membres est une priorité absolue pour nous, nous ne tolérons aucun type de harcèlement sur notre plateforme, que ce soit dans les messages échangés entre membres, sur notre forum ou dans les profils publics des utilisateurs. » L’entreprise explique qu’il lui est très difficile de lutter contre les agissements des harceleurs et autres voyeurs. « Nous avons vérifié quelles sont nos options et, malheureusement, nous ne pouvons pas contrôler ce qui est publié et hébergé sur des sites web tiers avec du contenu généré par les utilisateurs. Toutes les images publiées sur Internet, y compris sur toutes plateformes en ligne, sont susceptibles d’être copiées par d’autres personnes par le biais de mécanismes tels que, par exemple, une capture d’écran et d’être partagées sur des sites web tiers. » Un peu impuissant, Vinted recommande de signaler chaque agissement problématique et de bloquer les utilisateurs.
Malgré le bannissement de @BalanceTonVinted, Garance a ouvert une nouvelle page Instagram, @BalanceTonVinted_ et publie toujours des messages de harcèlements reçus par des Vinties. La jeune femme a également conservé le sous-titre, « Vinted complice ». Une accusation qu’elle tempère en expliquant qu’elle souhaite ne pas trop incriminer une plateforme qui « lutte contre la fast-fashion ». Avec ce deuxième compte, Garance espère contribuer à la fin de l’impunité dont jouissent les harceleurs sur la plateforme et continuer de dénoncer ce qu’elle considère être « le début de l’échelle de la culture du viol ».