À 29 ans, Iris Ferreira vient d'être ordonnée rabbine, le 4 juillet dernier. Il s'agit d'une première en France où le judaïsme orthodoxe traditionnel domine, malgré une progression du mouvement libéral.
L'événement est autant symbolique qu’historique. À tout juste 29 ans, Iris Ferreira a reçu le 4 juillet à Paris la semikha (la transmission d’autorité d’un rabbin à autre) de la rabbine Pauline Bebe. Elle devient ainsi la première rabbine à être ordonnée en France. Et la cinquième femme à exercer cette fonction dans l’Hexagone après Pauline Bebe, Delphine Horvilleur, Floriane Chinsky et Danièla Touati, toutes ordonnées à l’étranger.
Trente et un an après l’ordination à Londres de la première rabbine française, Pauline Bebe, Iris Ferreira a désormais l’autorité pour enseigner, prendre des décisions et être une cheffe spirituelle pour la communauté juive libérale de Strasbourg (Grand Est). « C’est une très bonne nouvelle pour l’avenir du judaïsme progressiste ainsi que pour le rabbinat féminin », s’est félicité Didier Tessier, coordinateur général au sein de l’association Judaïsme En Mouvement (JEM).
Vers un judaïsme « ouvert et moderne »
Après quatre années de médecine et une licence d’hébreu, Iris Ferreira a effectué ses études rabbiniques au Leo Baeck College de Londres (ces études n'existant pas en France pour les femmes), tout comme son aînée, Pauline Bebe. À son retour en France, Iris Ferreira s’est rapprochée des communautés juives orthodoxes de l’Est de la France avant de se tourner finalement vers le mouvement libéral il y a quelques années.
Née en septembre 2019 de l’alliance entre l’Union libérale israélite de France (ULIF) et le Mouvement juif libéral de France (MJLF), l’association libérale française Judaïsme En Mouvement – dont Iris Ferreira fait partie – a la volonté de « réunir des femmes et des hommes autour d’un judaïsme ouvert, tolérant, éclairé, moderne, égalitaire et inclusif ».
La première ordination rabbinique d'une femme a eu lieu en 1972 avec l’américaine Sally Priesland.
La question de la nomination de femmes au sein des mouvements juifs libéraux s’est posée la première fois il y a une cinquantaine d’années. La première ordination rabbinique féminine publique et officielle a eu lieu en 1972, avec l’Américaine Sally Priesland. Si le mouvement libéral est désormais dominant dans le monde anglo-saxon où les femmes rabbines sont d’ailleurs beaucoup plus nombreuses, il reste encore minoritaire en France où prévaut le judaïsme traditionnel et orthodoxe administré par le Consistoire central depuis sa création en 1808 par Napoléon.
À la différence du Consistoire qui administre le judaïsme en France et qui considère que confier le rabbinat à une femme n’est pas conforme à la loi juive, la halakha, Judaïsme En Mouvement estime que les femmes et les hommes sont égaux dans tous les domaines y compris la religion. « Le Mouvement juif libéral s’inscrit pleinement dans son siècle et dans son époque, soutient Didier Tessier à Causette. Il allie à la fois la modernité – et donc l’égalité entre les femmes et les hommes – et la tradition. Contrairement au Consistoire qui ne fait que se durcir dans une voie très orthodoxe. »
« Dans le judaïsme traditionnel français, je sais que cela reste compliqué de concevoir qu’une femme puisse être rabbin. »
Didier tessier, coordinateur général au sein de l’association Judaïsme En Mouvement (JEM).
L’arrivée des femmes à la fonction rabbinique semble être approuvée par les communautés juives libérales françaises. « Nous n’avons rencontré aucune résistance au sein de notre mouvement pour l’ordination d’Iris Ferreira, confirme Didier Tessier. Mais dans le judaïsme traditionnel français, je sais que cela reste compliqué de concevoir qu’une femme puisse être rabbin. Ça peut choquer certains juifs traditionnels. »
Lorsqu’on lui demande s’il imagine un jour une femme à la tête d’une communauté orthodoxe française, Didier Tessier reste sur la réserve : « Ils ne sont pas prêts pour l’heure, peut-être plus tard mais pour l’instant je pense que nous allons surement trop vite pour eux. » Il en veut pour preuve l’enterrement de Simone Veil, au sein du carré juif du cimetière du Montparnasse à Paris le 5 juillet 2017. « Lorsque la rabbine Delphine Horvilleur [l’une des trois à l’époque, ndlr] a prononcé le kaddish [la prière du souvenir, nldr], le grand rabbin de France, Haïm Korsia, l’a qualifiée de “Monsieur le rabbin”. On sent que c’est encore compliqué pour eux d’accepter les femmes. »
Des femmes de plus en plus nombreuses
Il le faudra pourtant, car elles sont de plus en plus nombreuses selon Didier Tessier à vouloir embrasser la fonction rabbinique. « Il y a une très forte demande, assure-t-il à Causette. Quand on ouvre les études rabbiniques aux femmes, on voit qu’elles sont postulantes. »
Si Iris Ferreira est la première femme à être ordonnée en France, ce n’est donc surement pas la dernière. « Deux autres femmes seront ordonnées dans les années à venir, l’une à Paris, l’autre à Montpellier », annonce d’ores et déjà Didier Tessier.
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