Interrogée sur franceinfo lundi 24 avril sur la création de ce fichier, l’avocate Marie Dosé, qui représente plusieurs familles de femmes et d’enfants rapatrié·es ou encore retenu·es dans les camps du nord-est syrien, a dénoncé un fichier « indigne d’un pays comme le nôtre ».
Un choc et une indignation pour l’avocate Marie Dosé après la création, le 7 avril dernier, d’un fichier national des mineur·es « de retour de zones d’opérations de groupements terroristes ». Dans une interview accordée lundi 24 avril à franceinfo, l’avocate pénaliste, qui représente plusieurs familles de femmes et d’enfants rapatrié·es ou encore retenu·es dans les camps du nord-est syrien, a dénoncé la mise en place de ce fichier. « Je suis extrêmement choquée que la France fasse le choix de ficher des enfants qu’elle a laissé périr, qu’elle a abandonnés dans des prisons à ciel ouvert pendant plus de quatre ans », a‑t-elle déclaré.
Selon le décret interministériel publié le 7 avril au Journal officiel et signé la veille par la première ministre Élisabeth Borne, ce fichier doit permettre une « meilleure coordination des services compétents en matière de prise en charge administrative, judiciaire, médicale et socio-éducative des mineurs de retour des zones d’opération de groupes terroristes, en vue d’assurer leur protection et de prévenir leur engagement dans un processus de délinquance ou de radicalisation ». Le décret précise que les informations renseignées dans ce fichier seront « conservées jusqu’à la date à laquelle [les intéressé·es] acquièrent leur majorité », suite à quoi ces données seront supprimées.
« La France leur fait maintenant le cadeau de les ficher après ces quatre années d’enfer vécues en Syrie, a dénoncé Marie Dosé. Aucun fichage d’enfant ne peut répondre à un impératif de protection ». Pour l’avocate, « il s’agit en réalité de les stigmatiser un peu plus ». « C’est indigne d’un pays comme le nôtre », a‑t-elle conclu.
"La prise en charge des enfants a besoin d’être améliorée"
Me Marie Dosé a indiqué à franceinfo avoir saisi la Défenseure des droits. « Nous sommes plusieurs à envisager un recours contre ce décret pour essayer d’en obtenir l’annulation », a‑t-elle déclaré. Me Marie Dosé a aussi rappelé que la France a été condamnée à trois reprises depuis septembre 2022 par la Cour européenne des droits de l’Homme, le Comité des droits de l’enfant puis le Comité contre la torture de l’ONU pour son refus de rapatrier les femmes et les enfants retenu·es dans les camps syriens.
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Pour mémoire, à la chute de Daech en 2019, la France avait opté pour une politique du « cas par cas » dans le rapatriement de ses ressortissant·es, alors même que plusieurs de ses voisins européens avaient entamé des procédures de retours massifs. L’État français semble depuis avoir démontré sa volonté de se mettre en conformité avec les instances internationales en organisant trois rapatriements collectifs de femmes et d’enfants depuis juillet 2022. Dernier en date, le 24 janvier dernier, où la France a rapatrié 15 femmes et 32 enfants du camp de Roj.
À leur arrivée sur le sol français, les enfants sont automatiquement pris·es en charge dans le cadre de procédures d’assistance éducative puis confié·es aux services de l’aide sociale à l’enfant et placé·es en familles d’accueil avec des mesures éducatives adaptées. Concernant cette prise en charge, Me Dosé estime qu’« elle a besoin d’être améliorée mais qu’elle a besoin de tout sauf d’un fichier ». « Nous avons besoin d’éducateurs, de rapprocher ces enfants de leurs familles », explique-t-elle.
Une fois rapatrié·es, les enfants de djihadistes « se réintègrent avec succès dans leur pays d’origine », concluait d’ailleurs un rapport de l’ONG Human Rights Watch (HRW) publié en novembre 2022. Aujourd’hui, cinquante femmes et une centaine d’enfants français·es sont toujours bloqué·es dans des camps syriens dans des conditions de vie désastreuses.
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