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© Camille Besse

Le bai­ser som­mé de se réinventer

La dis­tan­cia­tion phy­sique nous a obligé·es à nous pri­ver de bai­sers, de bisous,
de câlins. Une injonc­tion à redé­fi­nir la carte de la ten­dresse. Céline Hess Halpern1, autrice de nom­breux ouvrages, dont L’Éloge du bai­ser2, paru en jan­vier 2020, décrypte pour Causette le sens et la puis­sance de ce geste dont il est si dif­fi­cile de se passer.

Causette : Pouvez-​vous nous dire pour­quoi le bai­ser est si vital pour nous, les Français ?
Céline Hess Halpern : Le bai­ser est un vec­teur de paix, de quié­tude, il récon­ci­lie, console, par­donne et il dit tout, en un seul geste. Baiser de la maman à son enfant, pre­mier bai­ser enflam­mant le désir, bai­ser d’amour, bai­ser d’amitié… Il fait par­tie de notre culture fran­çaise. Qui ne connaît pas le « french kiss » ? Très éro­tique et sen­suel, ce terme remon­te­rait à la période de la Seconde Guerre mon­diale, durant laquelle les sol­dats amé­ri­cains auraient décou­vert cette « spé­cia­li­té locale » dans nos régions. On l’appelle encore la galoche, c’est le bai­ser du désir, fruit de la pas­sion ! Le bai­ser éveille nos cinq sens et, en même temps, 80 mil­lions de bac­té­ries sont échan­gées avec notre par­te­naire lors d’un bai­ser ! C’est un acte très intime, qui nous ébranle, nous émeut, nous fait pas­ser par de nom­breuses émo­tions… S’embrasser exprime ce qui se cache tout au fond de soi. Il existe une infi­nie forme de bai­sers. Tous signent l’état d’une rela­tion entre deux êtres. Le bai­ser est le sym­bole pri­mor­dial de notre affect ! Et plus on embrasse celui ou celle qu’on aime, plus on a envie de l’embrasser ! Le poète espa­gnol Joaquin Sabina le confirme : « La bonne chose avec les années, c’est qu’elles soignent les bles­sures, la mau­vaise chose avec les bai­sers, c’est qu’ils créent des addic­tions. » Pendant le confi­ne­ment – à part avec les per­sonnes avec les­quelles on vivait –, il était impos­sible de s’embrasser.

Pourquoi cela nous a tant man­qué ?
Qu’est-ce que pro­cure le bai­ser ?

C. H. H. : Parce qu’on s’était habi­tués à se saluer en s’embrassant sys­té­ma­ti­que­ment ! Mais il y a plein d’autres moyens de mon­trer son affec­tion, en cen­tra­li­sant le pas­sage de nos émo­tions dans nos yeux, par exemple ! Mais c’est vrai que le bai­ser pro­cure énor­mé­ment de sen­sa­tions. Notre cer­veau sécrète dif­fé­rentes hor­mones, dont la dopa­mine, liée à la sen­sa­tion de désir ; l’adrénaline et l’ocytocine, hor­mones de l’amour, favo­ri­sant le sen­ti­ment de proxi­mi­té et d’attachement. Et pour cou­ron­ner le tout, en embras­sant, on sécrète moins de cor­ti­sol, hor­mone du stress, ce qui nous rend beau­coup plus zen ! La sexo­logue Carol Queen affirme que « s’embrasser accroît les chances que les deux par­te­naires aient une expé­rience éro­tique pleine de plai­sir. Et le sexe est excellent pour accroître la pré­sence de cer­tains anti­corps, lut­ter contre la dépres­sion, res­ter jeune, amé­lio­rer le sys­tème immu­ni­taire ». 

Quelles sont les ori­gines du bai­ser ?
C. H. H. : De nom­breux spé­cia­listes se sont pen­chés sur la ques­tion ! Il existe de nom­breuses théo­ries. Par exemple, pour l’écrivain natu­ra­liste Wilhelm Bölsche, la « suc­cion d’amour » pen­dant le bai­ser est une sorte de rémi­nis­cence des pre­miers ins­tants de l’évolution où, à défaut de pos­sé­der un membre sexuel adap­té, s’embrasser per­met­tait aux ani­maux copu­lant de res­ter cram­pon­nés l’un à l’autre. Et pour Henry Havelock Ellis, méde­cin bri­tan­nique, le bai­ser des amou­reux serait en réa­li­té le des­cen­dant du bai­ser mater­nel ori­gi­nel et de la suc­cion du sein de la mère par l’enfant… À par­tir de l’Antiquité, le bai­ser sur la bouche est un sym­bole d’estime, c’est un rite de salu­ta­tion. Majoritairement éli­tiste et mas­cu­lin, il a valeur de pacte indis­so­luble et rati­fie solen­nel­le­ment l’entrée dans une com­mu­nau­té. Dès la Renaissance, il devient un geste de ten­dresse qui touche, mais qui n’engage plus. Entre parents et amis, entre per­sonnes de rangs dif­fé­rents, on embrasse désor­mais joue à joue, tan­dis que le bai­ser sur la bouche est réser­vé aux amants, déte­nant une conno­ta­tion éro­tique. Il ne cou­ronne plus une rela­tion, il l’amorce. Il a évo­lué avec les époques et a tra­ver­sé toutes les civi­li­sa­tions. Et, quelle que soit la langue, le mot « bai­ser » garde le même sens : tra­duire son affec­tion, son ami­tié, son amour, ses sen­ti­ments. En effet, depuis le XVIIe siècle, le verbe bai­ser signi­fie don­ner un bai­ser et faire l’amour. Mais c’est le don d’amour qui pri­me­ra dans tous les langages…

113 societe la bise © Camille Besse pour Causette
© Camille Besse

C’est plus facile de s’en pas­ser en Allemagne ou en Autriche, où l’on est moins démons­tra­tif, alors que dans les pays latins, on est plus tac­tiles et sen­suels…
C. H. H. : Le bai­ser à l’occidentale n’a pas for­cé­ment la cote par­tout à l’international ! Sa dif­fu­sion à tra­vers les conti­nents semble d’ailleurs dater des années 1950, avec la mon­tée du ciné­ma hol­ly­woo­dien. D’ailleurs, le bai­ser n’est pas admis par­tout dans le monde ! Dans cer­tains pays d’Asie et d’Afrique, c’est un acte éro­tique et tabou, consi­dé­ré comme indé­cent, voire obs­cène, donc inter­dit, car pou­vant atteindre à la pudeur. Et en Inde et en Chine, s’embrasser en public peut même être très choquant !

Cette crise sani­taire va-​t-​elle, selon vous, chan­ger pro­fon­dé­ment notre rap­port au bai­ser ?
C. H. H. : Malgré l’essor ful­gu­rant des nou­velles tech­no­lo­gies et d’Internet, pre­nant une place de plus en plus impor­tante dans nos vies, rien ne pour­ra rem­pla­cer un tendre et « vrai » bai­ser ! Ces der­nières décen­nies, on a pu consta­ter une réelle infla­tion de la bise, du « coup de joue » à tout-​va, une sorte de geste auto­ma­ti­sé, sans âme, nous fai­sant oublier l’importance sacrée de ce geste. À pré­sent, pour nous saluer, un simple hoche­ment de tête accom­pa­gné d’un sou­rire peut suf­fire. Gardons le bai­ser pour ceux qu’on aime vrai­ment ! Je crois que cette crise sani­taire va nous per­mettre de remettre à sa juste place la valeur des vrais baisers.

1. Céline Hess Halpern est avo­cate et anime des confé­rences rela­tives
au droit et à l’éthique.
2. L’Éloge du bai­ser. Parce que c’est si bon d’embrasser, de Céline Hess Halpern. Éd. Flammarion.

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