Symboliquement, Montreuil (93) a choisi d'éteindre une œuvre lumineuse du plasticien Claude Lévèque, accusé de viols sur mineurs… Et qui se trouve sur la future place Gisèle Halimi. Imbroglio.
Un illustre habitant de la ville de Montreuil (Seine-Saint-Denis) embarrasse la municipalité : le plasticien Claude Lévèque, 68 ans, accusé de viols sur mineurs. Celui-ci avait fait l’objet d’une commande publique de la municipalité : sa sculpture, Modern Dance, inaugurée en 2015, illumine un château d’eau de ses anneaux de fibre optique bleus. Que faire, désormais, de cette œuvre ? D’autant qu’elle trône sur une place qui devrait être baptisée sous peu du nom de feu l’avocate féministe Gisèle Halimi…
Les révélations du Monde et de Mediapart en janvier ont suscité des débats houleux au sein de l’équipe municipale. Faut-il déboulonner cette œuvre coûteuse, commandée du temps de l’ancienne maire Dominique Voynet et qui s’inscrit dans le cadre d’un projet d’amélioration d’un quartier populaire, le Bel Air ? Ou bien élaborer une solution provisoire en attendant une décision de justice ? L’affaire Lévèque interroge le devenir des œuvres d’artistes en disgrâce, qui plus est, lorsqu’elles sont monumentales et situées dans l’espace public. Si la plupart des collections publiques conservent ses œuvres pour l’instant, le galeriste Kamel Mennour a annoncé que Claude Lévèque mettait fin à leur collaboration.
À Montrouge (Hauts-de-Seine), où trône une autre illumination signée Lévèque, la municipalité a fait valoir la présomption d’innocence pour ne pas la retirer. Celle de Montreuil, en revanche, a choisi son camp et pris les devants, en se désolidarisant du plasticien : « Nous avons décidé de ne pas rallumer l’oeuvre [celle-ci est en effet éteinte durant la journée, ndlr] », a indiqué l’adjointe à la culture Alexie Lorca, qui a tenu à réaffirmer le soutien de la ville aux victimes de pédocriminalité. Mama Doucoure, conseillère municipale déléguée au droit des femmes, à la lutte contre les violences faites aux femmes et contre les discriminations s’estime « satisfaite » de la décision : « Je m’attends néanmoins à ce que l’oeuvre soit vandalisée », prévient-elle.
« On pourrait lui apposer une plaque stipulant que jamais on ne mettra sur un même pied l’homme et l’artiste, par exemple. S’il est reconnu coupable, on peut la démonter. Que les artistes ne pensent pas qu’ils ont tous les droits », suggère de son côté Roselyne Rollier, présidente de l’association féministe de la Maison des femmes de Montreuil. Magali Lesauvage, journaliste co-autrice de l’enquête de Mediapart nuance :« Tout dépend du contexte et de l’œuvre. Ici, il s’agit d’une œuvre abstraite, contrairement à d’autres qui sont des images d’enfants parfois très suggestives. Peut-être est-il trop tôt pour la démonter ? En tout cas, celles qui sont dans des collections publiques ne seront probablement pas remontrées de sitôt au public. » Pour rappel, le sculpteur Laurent Faulon a déposé plainte en 2019 contre le plasticien français pour des faits de « viols sur mineurs de 15 ans et agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans », selon Le Monde. Un article de Mediapart a recueilli d’autres témoignages de victimes présumées. Une enquête préliminaire a été ouverte en mai 2019 par le parquet de Bobigny, et confiée à la brigade des mineurs de la Sûreté départementale de Seine-Saint-Denis.
En décembre dernier, la municipalité avait voté en faveur de la dénomination de trois espaces publics d’après des figures de la lutte féministes, dont Simone Veil et Thérèse Clerc. Quant à l’épineuse inauguration de la place Gisèle Halimi, prévue autour du 8 mars, la mairie s’en remet pour l’instant à l’avis de la famille pour trancher face à ce cas de conscience inédit.