Sophie Tissier, l’ancienne figure du mouvement des gilets jaunes, avait saisi le comité des violences sexistes et sexuelles de La France Insoumise dimanche 3 juillet pour dénoncer le « comportement déplacé » du nouveau président de la commission des Finances. Ce lundi, elle a porté plainte.
Fin 2018, elle témoignait anonymement dans notre enquête sur le sexisme et les violences de genre au sein de La France Insoumise (LFI). Aujourd'hui, elle porte plainte pour « harcèlement sexuel » contre Eric Coquerel, dont elle n'avait pas souhaité que le nom paraisse dans notre article, craignant que cela lui nuise. « Je me suis sentie agressée mais il n'y a eu ni violence, ni coup. Le parquet verra s'il requalifie les faits ou non. » C'est avec ces mots que Sophie Tissier a confirmé à Libération qu'elle avait porté plainte à l'encontre du tout nouveau président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, lundi 4 juillet, au commissariat de Vanves (Haut-de-Seine). La veille, l'ex-gilet jaune Sophie Tissier avait effectué un signalement auprès du comité des violences sexistes et sexuelles de La France Insoumise contre Eric Coquerel, pour des faits remontant à 2014. Elle lui reproche un « comportement outrancier, offensant et harcelant ». « Dès que je l’ai rencontré, j’ai senti un regard salace, gluant », confiait-elle sur le plateau de BFMTV le 3 juillet.
Lire aussi : Sexisme, homophobie, autocratie : chez les Insoumis aussi…
Sophie Tissier résume les faits : elle fait la connaissance du député insoumis après une invitation par le Parti de Gauche aux universités d’été à Grenoble en 2014. La femme, de 35 ans à l’époque, militait pour les droits des intermittents du spectacle, et rencontre Eric Coquerel à cette occasion. La militante décrit des regards insistants dès leur premier contact. Lors d’une soirée dansante, les regards se transforment en « drague lourdingue ». « Il y a eu des gestes déplacés : des mains baladeuses, il me prend par la taille, se rapproche de moi, se colle à moi. Je sentais au bout d’un moment qu’il me reniflait. […] Je me disais intérieurement : mais qu’est-ce que c’est ce porc ? », a‑t-elle livré à BFM. Le groupe part ensuite en boîte de nuit, et selon Sophie Tissier, le député continue de se « coller » à elle. Elle dit s’être rapidement sentie comme « une proie ». « Je me sentais angoissée, je me sentais mal. […] Il était oppressant. » Au moment de quitter les lieux, Eric Coquerel insiste et persiste à lui envoyer des textos : « Si tu veux, j’ai un taxi, je te ramène à mon hôtel. Allez, viens », écrit-il alors que la militante affirme avoir refusé ses avances à plusieurs reprises au cours de la soirée.
Interrogée par Franceinfo, la co-présidente du parti Union citoyenne pour la liberté a ajouté s’être sentie « très mal à l’aise » : « Je ne connaissais pas ces gens, j'étais nouvelle dans le milieu politique. Je découvrais ce parti et je savais qu'Eric Coquerel avait un poste important, donc je ne savais pas comment réagir. » Elle a confessé s'être sentie « déconsidérée, pas respectée dans cette formation politique ». « Je n'ai pas envie qu'il aille jusqu'à démissionner » mais « qu'il reconnaisse les faits, qu'il entende ce que j'ai à dire et dise : "Oui c'est vrai, j'ai eu des comportements déplacés" », a‑t-elle précisé sur BFM.
Retour sur les débuts de l’affaire
Ce témoignage, public pour la première fois, intervient après la prise de parole jeudi 30 mai de la journaliste et activiste Rokhaya Diallo, qui a évoqué au micro de RTL sa surprise face à l’élection d’Eric Coquerel à la présidence de la commission des Finances, alors qu’elle détient « plusieurs sources au sein de LFI » qui dénonceraient ses agissements. « J'ai entendu plusieurs fois parler des comportements qu'il aurait avec les femmes, a‑t-elle indiqué. Ce sont des choses qui reviennent de manière récurrente, depuis des années. »
Rokhaya Diallo, pour qui LFI est un parti qui a « dans ses statuts et ses positions politiques, l’idée de protéger les femmes », s’est donc étonnée du choix de faire briguer à Eric Coquerel ce poste clef à l'Assemblée nationale. Lors de cette interview, la journaliste n’a partagé aucun nom de femmes qui auraient subi des avances déplacées du député insoumis. Mais pour étayer ses propos, elle a notamment cité une enquête publiée dans nos pages en décembre 2018, intitulée "Sexisme, homophobie : chez les Insoumis aussi…", qui revenait sur la gestion des signalements de violences sexistes et sexuelles au sein du parti. Cette enquête donnait la voix à deux femmes accusant Coquerel, que Causette avait décrit comme « un député LFI », sans le nommer pour protéger l'anonymat de ses accusatrices. De la même manière, la direction de notre magazine avait fait le choix de ne pas contacter Eric Coquerel pour l'habituelle interview contradictoire qui prévaut dans les enquêtes, de manière à respecter le choix des accusatrices. Elles craignaient que le député ne les reconnaisse, dans un contexte où l'article ne concernait pas la personne d'Eric Coquerel en elle-même mais, plus largement, des dysfonctionnements dans la prise en charge au sein de LFI de problématiques liées aux violences de genre, de discriminations anti-LGBT ou de management violent.
Eric Coquerel, défendu par LFI, dément
Depuis, l’affaire défraie la chronique. Après les déclarations de Rokhaya Diallo, le comité de suivi des violences sexistes et sexuelles (VSS) de la France Insoumise a affirmé n’avoir reçu aucun signalement concernant le nouveau président de la commission des Finances. Eric Coquerel a, quant à lui, expliqué s'être reconnu dans les faits révélés par notre enquête et nié ces accusations, qu'il qualifie de « rumeurs infondées », dans une tribune publiée dans le JDD le 2 juillet.
Le même jour, Sophie Tissier a partagé un tweet sur son compte Twitter où elle révèle être l’une des deux femmes accusant le député de Seine-Saint-Denis dans l'enquête de Causette. Elle poste plus tard un autre tweet dans lequel elle déclare : « Moi je sais car j’ai subi. J’atteste. » Elle justifie ensuite d’avoir saisi le comité des VSS de La France Insoumise en partageant le mail qu’elle leur a transmis. Sophie Tissier témoigne n'avoir encore reçu aucune réponse de la part du comité. « Malheureusement, pour le moment, je suis un peu seule. J’attends d’eux qu’ils m’entendent, qu’ils me reçoivent, qu’ils prennent ma parole en compte », a‑t-elle indiqué au journal Libération.
« Je n’ai jamais eu de ma vie un comportement qui pourrait s'apparenter à du harcèlement », s’est défendu Eric Coquerel sur BFM. « Je ne nie pas avoir dansé avec elle mais je nie tout ce qui pourrait s'apparenter à des gestes de drague agressive. » Si l’élu a admis que plusieurs enquêtes journalistiques à son égard ont vu le jour par le passé, il maintient qu’aucune n’a abouti « faute de preuve ». « Il n’y aura pas de plainte, tout ça va faire "pschitt" », a‑t-il ajouté. Libération rapporte qu’il n’excluerait pas de porter plainte en diffamation, à la suite des accusations de Sophie Tissier qui le nomme pour la première fois publiquement.
De son côté, la France Insoumise a fait bloc pour défendre son élu. L’eurodéputée Leila Chaibi a ouvertement soutenu Coquerel, alors que Sophie Tissier a assuré sur BFM lui avoir mentionné à l’époque les « comportements déplacés » du député. Le 2 juillet, Leila Chaibi a partagé sur son compte Twitter un texte rejoignant les propos d’Eric Coquerel. Elle parle de « calomnies » à son égard, et débute son communiqué de la manière suivante : « Je suis en colère. En colère de voir son nom sali par des accusations sans fondement. En colère d’assister à l’instrumentalisation de la lutte légitime et nécessaire contre le harcèlement et les violences sexuelles. » Le chef de file de LFI, Jean-Luc Mélenchon, a lui aussi apporté son soutien au président de la commission des Finances, sur son blog. Dans ce texte, il dénonce une « infâme opération de calomnies » qui ne sert que comme un « moyen d’instrumentalisation [des] rancœurs politiques contre LFI ».
Des politiques comme témoins
Une personnalité politique a malgré tout confirmé le témoignage de Sophie Tissier. Tatiana Ventôse, ancienne membre du Parti de gauche et soutien de Marine Le Pen à l'élection présidentielle de 2022, s’est manifestée ce dimanche pour soutenir sa consœur militante. « Témoin direct, j'étais dans la voiture du campus à la discothèque de Grenoble à la soirée de fin Estivales de 2014 avec Sophie, Eric Coquerel et quelques autres personnes, puis à la soirée en boîte. J'ai vu et j'appuie le témoignage », a‑t-elle déclaré.
La membre de LFI Marie-Laure Darrigade, a elle aussi assuré avoir été témoin de cette soirée de 2014. Néanmoins, son témoignage diffère. « Je contredis sa version et répète n’avoir pas vu un tel comportement chez Éric Coquerel que ce soit lors de cette soirée ou lors d'événements militants », a‑t-elle écrit sur Twitter.