Depuis dimanche, les sages-femmes peuvent pratiquer des IVG instrumentales en milieu hospitalier, mais seulement si quatre médecins sont aussi présent·es sur site. Les professionnel·les dénoncent une attaque "insidieuse" à l’IVG.
L’annonce est enfin tombée au Journal officiel. Depuis dimanche dernier, les sages-femmes peuvent pratiquer des interruptions volontaires de grossesse (IVG) instrumentales en milieu hospitalier, jusqu’à 14 semaines de grossesse. L’intervention, qui consiste à aspirer le contenu de l’utérus après dilatation du col, est réalisée sous anesthésie locale ou générale. Elle n’était pratiquée jusqu’à présent que par les médecins tandis que les sages-femmes étaient déjà habilitées à pratiquer l’IVG médicamenteuse depuis 2016.
Votée dans la loi "Gaillot" de mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement, la mesure devait "constituer une réponse forte aux difficultés d’accès" à l’avortement sur le territoire et en réduire donc les inégalités. Expérimentée pendant plus d’un an dans vingt-six établissements pilotes, sa publication au Journal officiel a été saluée par le ministre de la Santé Aurélien Rousseau sur X (anciennement Twitter), qui y voit une « avancée concrète pour un droit à protéger tous les jours ». Tandis que la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Bérangère Couillard, assurait mardi dernier lors d’une visite à la Salpêtrière – l’un des premiers établissements pilotes – que tout « se passe bien partout où [elle] va ».
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Un son de cloche confiant qui diffèrerait pourtant bien de la réalité du terrain. Dans un communiqué envoyé ce mardi 19 décembre, l’association des sages-femmes orthogénistes (ANSFO), l’association nationale des centres d’IVG et de Contraception, le Collectif « Avortement en Europe, les femmes décident » et le Planning Familial alertent effectivement sur une des conditions du décret et dénoncent « une bataille idéologique contre l’IVG instrumentale ».
Si le décret d’application indique bien que les sages-femmes peuvent réaliser des IVG instrumentales sans intervention d’un·e médecin, l’article 1 précise toutefois que l'intervention est soumise a une stricte condition. Une sage-femme pourra pratiquer une IVG instrumentale seulement si quatre médecins – un·e médecin « compétent en matière d’interruptions volontaires de grossesse par méthode instrumentale », un·e gynécologue-obstétricien·ne, un·e anesthésiste-réanimateur·trice et un médecin capable de prendre en charge des embolisations artérielles – peuvent être prêt·es à intervenir en cas de problème. « Les sages-femmes sont formées, compétentes, elles pratiquent parfois des accouchements difficiles où la vie de la femme et de l’enfant sont menacées. Ceci est reconnu et ne pose pas de problème. Pour l’IVG, visiblement leur compétence est mise en doute », condamnent les associations dans le communiqué, rappelant que l’embolisation artérielle, utilisée en cas d’hémorragie utérine grave, reste exceptionnelle en cas d’IVG.
"Pourquoi exiger pour les sages-femmes des conditions de formation et de gardes-fous non prévus pour les autres professionnels médicaux qui réalisent ce geste ?"
Des garde-fous qui ne permettent pas surtout de réduire les inégalités d’accès à l’IVG, selon les professionnel·les. Bien au contraire. « Bien peu de structures pratiquant les IVG possèdent les conditions requises dans ce texte », expliquent-t-elles. Pour elles, le but de ce décret est clair : « faire passer l’IVG instrumentale comme une intervention sujette à complication alors que c’est un acte simple ne nécessitant pas une mobilisation totalement démesurée ». Il s’agit pour les associations signataires du communiqué d’une attaque « insidieuse » à l’IVG.
Même constat du côté de l’Association nationale des étudiant·es sages-femmes (ANESF), du Collège national des sages-femmes de France (CNSF) et de l’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF). « Pourquoi exiger pour les sages-femmes des conditions de formation et de gardes-fous non prévus pour les autres professionnels médicaux qui réalisent ce geste ? Est-ce une façon de contraindre les établissements de santé, de limiter le nombre de praticiens et d’empêcher l’accès à l’IVG aux femmes ? », s'interrogent l’ANESF, le CNSF et l’ONSSF dans un communiqué publié sur X lundi 18 décembre. Les associations demandent une modification du texte et appellent les militantes féministes à se mobiliser dès le mois de janvier.