Alors qu'elle revient sur Arte avec une série semi-autobiographique qu'elle a réalisée, Judith Godrèche s'est exprimée dans le magazine Elle à propos de la relation qui l'a liée au réalisateur Benoit Jacquot lorsqu'elle était adolescente et sur les dérives du cinéma français.
La nouvelle série de Judith Godrèche, Icon of French Cinema, sera diffusée sur Arte à partir du 28 décembre. L'actrice et réalisatrice s'est faite discrète pendant de nombreuse années, alors même que ses débuts lorsqu'elle était adolescente l'avaient propulsée au rang de "muse" du cinéma d'auteur. Aujourd'hui, elle revient dans Elle sur la relation, connue de tous·tes, qu'elle a eue à 14 ans avec le réalisateur Benoit Jacquot - de 26 ans sont aîné - qui, peut-être inconsciemment, la poussa à prendre de la distance avec le cinéma français.
"Si un homme de 40 ans approche ma fille, je le tue. C’est parce que j’ai une fille adolescente que je parviens à réaliser ce qui m’est arrivé, à me dire que j’ai navigué seule dans un monde sans règles ni lois", déclarait ce jeudi 7 décembre Judith Godrèche au magazine. Dans la nouvelle série de la réalisatrice de 51 ans - dans laquelle on retrouve des bribes de sa propre vie - c'est la fille du personnage principal, également nommée Judith, qui va tomber amoureuse d'un chorégraphe plus âgé. Dans les faits pourtant, Judith Godrèche elle-même, à l'âge de 14 ans, formait un couple avec le réalisateur Benoit Jacquot, 40 ans à l'époque. Ce dernier lui avait offert son premier grand rôle dans le film Les Mendiants en 1988.
"On peut faire des films sublimes sans aller jusqu’à coucher avec son actrice mineure"
Judith Godrèche
Cette relation durera six ans, années qui évoquent aujourd'hui des souvenirs douloureux à la réalisatrice. "J’étais une jeune fille très solitaire, très idéaliste. Je vivais à travers les livres, ma mère est partie de la maison quand j’avais 9 ans, j’ai été élevée par un homme seul, j’étais vulnérable malgré une certaine maturité", analyse-t-elle aujourd'hui. Son expérience - qui n'est pas sans rappeler celle décrite par Vanessa Springora dans Le Consentement - interroge elle aussi sur le comportement du monde adulte à l'époque, et sur l'incapacité du milieu du cinéma à protéger une actrice encore mineure. À propos d'une scène de la série où une adolescente boit de l'alcool dans un festival de cinéma à la table d'un repas, Judith Godrèche explique par exemple : "Je me suis inspirée d'un vrai dîner dans un festival à Locarno. J'y étais avec mon compagnon. On me servait du vin, j'avais 15 ans, je suis tombée raide morte sur la table, j'ai vomi devant tout le monde. Je me demande, avec le recul, si les adultes s'interrogeaient : 'Il y a un problème, elle est trop petite, qu'est-ce qu'elle fait là ?"'.
L'actrice et scénariste revient sur le devant de la scène avec cette série, non sans critiques à adresser à ce milieu qu'elle a connu très jeune et qui lui a appris durement les leçons qu'elle transmet aujourd'hui. "Il faut dire aux jeunes filles de faire attention. On peut se faire prendre dans les filets d’une personne plus puissante, et l’art est un tremplin extrêmement favorable à ça", explique-telle. "En tant qu’actrice, on a besoin d’être aimée, regardée. C’est comme si, en vous choisissant, le réalisateur vous donnait vie. C’est extraordinaire de filmer la jeunesse. La puissance cinématographique d’une adolescente est inépuisable. Mais on peut faire des films sublimes sans aller jusqu’à coucher avec son actrice mineure. Pour moi, cela devient de la perversion. La position de l’adulte dans la société, c’est de savoir où mettre les limites, même quand il s’agit d’art. Quand on a 15 ans et qu’on fait une scène torse nu, qu’il y a quarante-cinq prises, qu’on doit embrasser un homme de 45 ans et que cet homme c’est votre réalisateur, c’est fou qu’il n’y ait aucun adulte sur le plateau pour dire ‘On va s’arrêter là’".
