Un an après le Grenelle des violences conjugales, la Fondation des femmes a organisé une conférence de presse interassociative jeudi 3 septembre. Les organisations dressent unanimement un bilan en demi-teinte, terni par l’annonce, la veille, de la privatisation du numéro d’urgence, le 3919.
« Le plan Marshall tant attendu n’a pas eu lieu. Le Premier ministre Édouard Philippe avait prévenu qu’il n’y aurait pas de budget supplémentaire dans la lutte contre les violences faites aux femmes, cette promesse a été bien tenue. » C’est en ces termes qu’Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes et animatrice de la conférence de presse, résume ce que l’ensemble des associations dénoncent : le manque de moyens. Celles-ci estiment qu’un tiers des mesures annoncées pendant le Grenelle ont été réalisées, un tiers sont en cours et un tiers d’entre elles demeurent lettre morte.
Des moyens largement insuffisants
Le Grenelle des violences conjugales, qui s’est tenu du 3 septembre au 25 novembre 2019, se voulait, en effet, ambitieux. À l’issue de cette grand-messe, quarante-six mesures ont été adoptées pour combattre « efficacement » les violences faites aux femmes. Le gouvernement avait annoncé une enveloppe de 360 millions d’euros. Mais ce budget a été jugé « largement insuffisant » par les associations, qui réclamaient un milliard d’euros. Celles-ci confortent leur position lors de la présentation de leur rapport bilan, ce 3 septembre.
Sur le terrain, le manque de moyens se traduit, en effet, par un nombre encore faible de places d’hébergement. Le gouvernement visait 1000 places. Seules 250 ont été créées dans des centres d’hébergement d’urgence, auxquelles s’ajoutent 750 distributions d’allocation logement temporaire (ALT) – soit une aide au logement et non pas la création de places supplémentaires. Le nouveau Premier ministre, Jean Castex, a annoncé, le 2 septembre, 1000 places d’hébergement supplémentaires en 2021. Mais cette promesse laisse les acteurs de terrain sceptiques : elles craignent le même « tour de passe-passe » qu’avec les chiffres actuels qui font passer les allocations de logement temporaire pour des créations de places. Les experts de la protection des victimes considèrent que les efforts gouvernementaux ne sont donc pas à la hauteur des besoins et des obligations de la France, signataire de la Convention d’Istanbul qui insiste sur l’importance de la mise à l’abri des victimes de violences conjugales. Selon leurs calculs, il manque au moins 2000 places en hébergements spécialisés pour garantir un accompagnement efficace.
Le 3919 bientôt privatisé
Autre grief pour lequel la Fondation des femmes et ses partenaires sont vent debout : l’ouverture au marché privé du 3919, la ligne d’écoute dédiée aux femmes victimes de violences. Le ministère délégué à l’Égalité entre les femmes et les hommes a annoncé, le 2 septembre, le lancement d’un appel d’offres pour confier la gestion du 3919 à un acteur privé. « Nous sommes totalement opposées à cette décision qui sonne comme un tremblement de terre pour toutes les femmes victimes de violences », s’indigne Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF). Pour la militante, la force de cette permanence téléphonique demeure justement dans l’approche féministe des associations, qui garantissent l’anonymat et la confiance dans les échanges. Cette décision remet en cause leur compétence et leur légitimité. Mais elle inquiète davantage encore parce qu’elle signifie l’ouverture au marché privé de l’ensemble des lignes d’écoute à visée sociale. La FNSF et ses soutiens ne comptent pas en rester là. Pour rappel, le 3919 enregistre deux cents appels par jour en moyenne. Ce chiffre a quasiment doublé pendant le confinement, avec trois cents à quatre cents appels quotidiens.
Absence de pilotage
Après le Grenelle, aucun suivi n’a été entrepris contrairement aux engagements gouvernementaux. Face à cette carence, la Fondation des femmes et ses partenaires se sont senties obligées de prendre le relais en rédigeant leur rapport présenté, hier, lors de leur conférence de presse. Elles déplorent donc le manque « d’un choc d’efficacité » et réclament un pilotage interministériel.
Des critiques auxquelles le gouvernement a cherché une parade. En marge de la conférence de presse associative, Élisabeth Moreno, la nouvelle ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes, réunissait les groupes de travail du Grenelle pour un point d’étape des quarante-six mesures. Un bilan sera réalisé à la date anniversaire de clôture du Grenelle, le 25 novembre. Par ailleurs, la ministre s’est engagée à réunir « toutes les six semaines » le comité de suivi pour évaluer « l’état d’avancement » des mesures. Élisabeth Moreno a également annoncé la création de quinze centres de prise en charge des auteurs de violences d’ici à la fin 2020 et de quinze autres en 2021 (un par région dont deux en Outre-mer).
Quant au bracelet anti-rapprochement, ce très attendu dispositif, adopté par le Parlement en décembre 2019 et censé protéger les victimes de violences conjugales en maintenant à distance leur (ex)conjoint violent, il sera mis en place dès ce mois de septembre dans les juridictions d’Angoulême, Bobigny, Douai, Pontoise et Aix-en-Provence, puis dans le reste du pays au 31 décembre.
En 2019, le ministère de l’Intérieur a recensé 146 féminicides. Ces chiffres confirment une augmentation de 20 % des violences conjugales, qui s’élevaient à 121 en 2018. Et Anne-Cécile Mailfert de conclure : « Le bilan est mitigé, mais nous sommes optimistes. Nous espérons un renouveau avec la nouvelle ministre déléguée à l’Égalité et que les associations soient entendues. »