Françoise Gilot, celle qui a su dire « non », est décé­dée à l'âge de 101 ans

La peintre et écri­vaine fran­çaise Françoise Gilot est décé­dée à l’âge de 101 ans mar­di. Ex-​compagne de Pablo Picasso pen­dant dix ans au milieu du XXème siècle, elle est la seule à avoir réus­si à le quitter. 

Françoise Gilot
Françoise Gilot en 2013.
© KhanAcademyTurkce

Il y a trois ans, Françoise Gilot décla­rait à pro­pos de Pablo Picasso : « Picasso avait le sta­tut de dieu vivant, per­sonne ne lui résis­tait. Les uns avaient peur de lui, les autres avaient quelque chose à lui deman­der. Moi il m’appelait "la femme qui dit non" parce que quand j’avais à dire non, je disais non ». Françoise Gilot est décé­dée mar­di 6 juin dans un hôpi­tal de Manhattan à New-​York. Elle avait 101 ans et souf­frait, selon sa fille, Aurélia Engel, de « mala­dies car­diaques et pul­mo­naires ».

La peintre et écri­vaine s’était défi­ni­ti­ve­ment exi­lée aux États-​Unis à la fin des années 60 où elle avait acquis la natio­na­li­té amé­ri­caine. Un exil, qui, s’il n’était pas for­cé, était en tout cas bien­ve­nu. Nombre d’intellectuel·les et artistes français·es ne lui par­don­naient pas la sor­tie de son livre Vivre avec Picasso, publié chez Calmann-​Lévy en 1965. À l'époque, une péti­tion publiée dans le jour­nal lit­té­raire Les Lettres fran­çaises demande même l’interdiction du livre dans lequel la peintre dépeint sa rela­tion, entre­te­nue pen­dant une dizaine d’années, avec le maître du cubisme, Pablo Picasso. Parmi les signa­taires, on trouve entre autres Joan Miro, Pierre Soulages, René Char, Louis Aragon ou encore Jacques Prévert. Ils·elles lui reprochent sur­tout d’écorner la belle image de Pablo Picasso, qui lui-​même ten­te­ra en vain d’en inter­dire la publi­ca­tion devant la jus­tice. Le livre – tra­duit en 16 langues – sera un énorme succès.

Françoise Gilot en a des choses à dire sur Picasso, qu’elle décrit dans son livre comme « domi­na­teur », « tyran­nique » et « enva­his­sant ». « Intellectuellement, nous nous enten­dions bien, humai­ne­ment, c'était un enfer, écrit-​elle. Il n’était pas méchant, mais cruel, c’était un sadique maso­chiste. » Elle est d'ailleurs celle qui, visi­ble­ment, s'est le moins mal sor­tie de son emprise sur les femmes. La plu­part des ex-​compagnes de Picasso ont fini en dépres­sion ou se sont sui­ci­dées. « J’étais la 7ᵉ femme de Barbe bleu et les autres étaient toutes pen­dues dans l’antichambre », déclarait-​elle en 2020 à la camé­ra d’Annie Maïllis dans le docu­men­taire dif­fu­sé sur Arte Pablo Picasso et Françoise Gilot, la femme qui dit non.

Celle qui a tenu tête

Toutes les com­pagnes de Pablo Picasso ou presque avaient une car­rière artis­tique et toutes ou presque l’ont aban­don­née sous la domi­na­tion de l’homme. Hormis Françoise Gilot. Elle est la seule à avoir tenu tête au maître en le quit­tant en 1953, dix ans après leur pre­mière entre­vue. « J’y étais allée de ma propre volon­té et j’en suis par­tie de même, affirmait-​elle dans un entre­tien accor­dé au Guardian en 2016. Un jour, avant de le quit­ter, je lui ai dit de faire atten­tion parce que j’étais venue à lui quand je l’avais vou­lu, mais que je par­ti­rais quand je le vou­drais. Il m’a répon­du : “Personne ne quitte un homme comme moi.” J’ai répli­qué : “Nous ver­rons.” »

Lorsqu’elle ren­contre par hasard Pablo Picasso dans un res­tau­rant pari­sien en 1943, Françoise Gilot est une jeune artiste de 21 ans. Très tôt, elle a été ini­tiée à l’aquarelle par sa mère. Pablo Picasso, lui, a 40 ans de plus et est déjà une star mon­diale. Alors qu’il fré­quente l’ancienne pho­to­graphe Dora Maar, il l’abandonne pour faire la cour de manière insis­tante à la jeune Françoise. Son insis­tance finit par l’emporter. Il exige qu’elle vive avec lui. Elle subit sa vio­lence : il aurait brû­lé une ciga­rettes sur sa joue lorsqu'elle refuse de vivre avec lui. Trois ans après leur pre­mière ren­contre, elle finit par accep­ter. « Il s’est tou­jours plaint de ne pas me connaître, mais c’était à des­sein de ma part, dans le cas contraire, il en aurait pro­fi­té pour me détruire », pour­suit Françoise Gilot dans le documentaire. 

Exister par soi-même

De leur amour naissent deux enfants, Claude en 1947 et Paloma, deux ans plus tard. Pablo Picasso étant tou­jours marié à sa pre­mière com­pagne et la loi n’autorisant pas encore la recon­nais­sance d’enfants hors mariage, les enfants ne sont pas recon­nus par leur père. « On était les enfants adul­té­rins les plus connus de la Terre », plai­sante Paloma Picasso au micro de Sonia Devillers sur France Inter, en avril der­nier, à l’occasion des cin­quante ans du décès du peintre.

Pour Paloma Picasso, créa­trice de bijoux aux États-​Unis, sa mère a été un modèle d’émancipation. « Elle a ouvert beau­coup de portes pour moi. En fait, je n'ai jamais, à aucun moment de mon enfance ou de mon ado­les­cence, pen­sé qu'il y avait des choses qui m'étaient inter­dites, dit encore Paloma Picasso à pro­pos de sa mère. Ayant une mère comme Françoise, c'était facile de se rendre compte que c'était impor­tant d'exister par soi-​même. Ce n'est pas parce qu'on est une femme qu'on doit dépendre d'un homme, quel qu'il soit. Il faut arri­ver à trou­ver sa propre cohé­rence et sa propre créativité. »

Peindre jusqu’au bout

Sa propre créa­ti­vi­té, Françoise Gilot la trouve véri­ta­ble­ment après sa sépa­ra­tion avec Picasso. Elle s’éloigne du cubisme por­té par son ex-​compagnon et opte pour un mini­ma­lisme de plus en plus colo­ré, fai­sant du rouge sa cou­leur fétiche. Vivre aux États-​Unis – et loin de Pablo Picasso et de l’engouement autour de son talent – a per­mis à Françoise Gilot de s’épanouir artis­ti­que­ment et per­son­nel­le­ment. Elle épouse ain­si le peintre Luc Simon dont elle a une fille, Aurélia. Elle se marie ensuite au doc­teur Jonas Salk avec qui elle vivra jusqu’à la mort de ce der­nier en 1995. « La pres­sion d’être l’ex-compagne de Picasso était beau­coup moins forte là-​bas », remarque Paloma sur France Inter.

Françoise Gilot a peint avant et après Picasso, elle pein­dra d’ailleurs jusqu’au bout de sa vie. Il y a deux ans encore, elle expo­sait à New-​York. En France, l’engouement autour son talent s’est fait tar­dif et plu­tôt timide. Deux expo­si­tions – l’une à Nîmes (Gard) en 2012, l’autre à Saint-​Rémy-​de-​Provence (Bouches-​du-​Rhône) en 2021 – seule­ment lui ont été consa­crées à ce jour. 

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