Jeanne Menjoulet Extreme droite ennemie des femmes 53575737660
© Jeanne Menjoulet / Wikimedia Commons

Élections euro­péennes : "Avec l'extrême droite, les droits des femmes sont tou­jours perdants"

Alors que se tiennent les élec­tions euro­péennes dans moins de deux semaines et qu’en France le Rassemblement natio­nal (RN) cara­cole en tête des son­dages, Causette s’est entre­te­nue avec Lucie Daniel, autrice du rap­port Quand l’extrême droite avance, les droits des femmes reculent” pour l’ONG fémi­niste Equipop.

Lucie Daniel
Portrait de Lucie Daniel. © DR

Causette : En quoi les pro­chaines élec­tions euro­péennes repré­sentent un enjeu pour les droits des femmes ?
Lucie Daniel : Ces élec­tions euro­péennes, on le dit beau­coup, sont par­ti­cu­liè­re­ment impor­tantes cette année, car elles ont lieu dans un contexte de mon­tée de l’extrême droite dans plu­sieurs pays euro­péens, y com­pris des pays fon­da­teurs de l’Union euro­péenne, comme l’Italie, l’Allemagne, la France et aus­si des pays qui ont long­temps été consi­dé­rés comme pion­niers sur l’égalité de genre, comme la Suède ou la Finlande, par exemple. Il est très pro­bable que les élec­teurs envoient un contin­gent très impor­tant d’eurodéputés d’extrême droite. Et c’est pro­blé­ma­tique parce que, comme le démontre notre rap­port, quand l’extrême droite avance, les droits des femmes reculent. C’est une véri­té qui est assez simple à énon­cer et qui se véri­fie par­tout, mais dont on parle fina­le­ment assez peu, dans cette cam­pagne électorale.

Votre rap­port pointe un lien, dans le cadre de la guerre en Ukraine, entre le sexisme et le natio­na­lisme bel­li­queux. Quel est-​il ?
L.D. : Cette mon­tée de l’extrême droite s’opère dans un contexte de back­lash [recul, ndlr] dans le monde, y com­pris en Europe, face aux mobi­li­sa­tions très fortes et aux avan­cées qu’on a obte­nues à tra­vers des mou­ve­ments comme #MeToo. Les camps les plus conser­va­teurs réagissent par­fois vio­lem­ment afin de main­te­nir un sta­tu quo, voire de saper nos acquis. Les mou­ve­ments réac­tion­naires trouvent, dans les dis­cours d’extrême droite, leurs deux prin­ci­paux boucs émis­saires : l’extrême droite s’attaque au fémi­nisme, consi­dé­ré par les mas­cu­li­nistes comme res­pon­sable d’une dévi­ri­li­sa­tion des hommes, et pointe les étran­gers, qui seraient res­pon­sables d’une désoc­ci­den­ta­li­sa­tion de l’Europe. Quand le pré­sident russe Vladimir Poutine met en scène l’offensive qu’il mène en Ukraine, il emprunte des for­mules rhé­to­riques mas­cu­li­nistes qui pré­sentent la guerre comme un exer­cice viri­liste. Il veut ain­si faire la démons­tra­tion de son idéo­lo­gie anti­fé­mi­niste et anti-​droits des per­sonnes LGBTQIA+. Ce n’est pas du tout ano­din : quand la Russie de Vladimir Poutine gagne du ter­rain en influence, cela menace aus­si les valeurs d’égalité de genre prô­nées par l’Union européenne.

Vous affir­mez que les par­tis d’extrême droite ins­tru­men­ta­lisent la lutte contre les vio­lences sexistes et sexuelles à des fins racistes. Pourriez-​vous déve­lop­per ?
L.D. : Jordan Bardella a évo­qué ce sujet, jeu­di der­nier, lors de son débat face à Gabriel Attal [Il a notam­ment décla­ré que “77% des viols, des agres­sions sexuelles qui sont com­mises à Paris sont le fait d’étrangers”, mani­pu­lant des chiffres qui ne concernent que les viols com­mis dans la rue et élu­ci­dés.] Pourtant, l’extrême droite n’apporte aucune réponse, ni sin­cère ni concrète, à un com­bat fémi­niste qui, lui, est par­fai­te­ment légi­time. Au-​delà d’être inutiles, ces dis­cours sont pro­fon­dé­ment racistes, donc dou­ble­ment dan­ge­reux. Ces mani­pu­la­tions se couplent à des vel­léi­tés nata­listes, car l’extrême droite mobi­lise la peur d’un pré­ten­du déclin civi­li­sa­tion­nel de l’Europe et fait por­ter cette res­pon­sa­bi­li­té sur les immi­grés et les fémi­nistes. Sous cou­vert d’être “pro-​famille”, cette poli­tique nata­liste ren­voie les femmes à une seule fonc­tion de pro­créa­tion, leur ôtant ain­si tout pou­voir de déci­sion. C’est aus­si une manière de nier l’existence et la via­bi­li­té de toutes les autres formes fami­liales qui ne sont pas basées sur un modèle patriar­cal et hétéronormé.

On pense ici au dis­cours de Giorgia Meloni, Première ministre ita­liennne, lors d’un mee­ting à Rome en 2019, où elle avait décla­mé : “Je suis une mère. Je suis une femme.” Comment expliquez-​vous qu’en France, en Allemagne et en Italie, les prin­ci­pales figures d’extrême droite soient des femmes mal­gré le carac­tère pro­fon­dé­ment anti­fé­mi­niste de leur pro­gramme ?
L.D. : Ces poli­ti­ciennes ne sont pas des alliées des droits des femmes. Au contraire : Giorgia Meloni auto­rise désor­mais les mili­tants oppo­sés au droit à l’avortement à entrer dans les centres de pla­ni­fi­ca­tion fami­liale et dans les centres où sont pra­ti­quées les inter­rup­tions volon­taires de gros­sesse (IVG), leur offrant un blanc-​seing pour har­ce­ler, inti­mi­der et dis­sua­der les patientes. Avec l’extrême droite, les droits des femmes sont tou­jours per­dants : soit ils sont com­plè­te­ment igno­rés – dans le pro­gramme de Marine Le Pen en 2022, il n’y avait qu’une seule occur­rence du mot “femme” –, soit ils sont remis en cause ou ouver­te­ment attaqués.

Dans plu­sieurs pays – l’Italie, la Pologne ou la Hongrie –, le droit à l’avortement semble être le pre­mier à être atta­qué par­mi tous ceux qui ont été acquis de haute lutte. Pourquoi, selon vous ?
L.D. : Historiquement, c’est le prin­ci­pal che­val de bataille des mou­ve­ments anti-​droits au sens large, réunis­sant à la fois des États conser­va­teurs, des orga­ni­sa­tions et des fon­da­men­ta­lismes reli­gieux. Ils veulent contrô­ler le corps et la sexua­li­té de toute per­sonne qui n’entrerait pas à nou­veau dans l’archétype hété­ro­nor­mé et patriar­cal qu’ils défendent. Le droit à l’avortement est sou­vent une porte d’entrée. Systématiquement, après avoir rogné sur cette liber­té, ces mou­ve­ments anti-​droits tirent ensuite un fil très régres­sif et s’attaquent, juste après ou en même temps, au droit des per­sonnes LGBTQIA+ et à l’éducation à la sexua­li­té, sur­tout des jeunes.

Le fait que les natio­na­listes aient beau­coup de mal à s’entendre – comme on a pu le voir avec la récente scis­sion entre l’Afd (extrême droite alle­mande) et le RN – est-​il une bonne nou­velle pour la pro­tec­tion des droits des femmes ?
L.D. : Nous sou­hai­tons évi­dem­ment qu’ils n’arrivent pas à unir leurs forces. Cela étant, au niveau inter­na­tio­nal, on voit que les mou­ve­ments anti-​droits dépassent leurs diver­gences, notam­ment dans des ins­tances mul­ti­la­té­rales – comme l’Organisation des Nations Unies. Au niveau euro­péen, ces par­tis par­tagent éga­le­ment un socle idéo­lo­gique, mal­gré leurs diver­gences, dans lequel on retrouve sys­té­ma­ti­que­ment l’antiféminisme, l’opposition farouche aux droits des per­sonnes LGBTQIA+ et la xéno­pho­bie. Dans notre rap­port, on sou­ligne aus­si l’importance du Parti popu­laire euro­péen (PPE) – la droite majo­ri­taire tra­di­tion­nelle [au sein duquel siège le par­ti Les Républicains]. Ces cinq der­nières années, elle a mon­tré l’ambiguïté de sa posi­tion sur la ques­tion de l’égalité de genre. Le PPE alterne entre abs­ten­tion et vote en faveur de textes qui pro­meuvent l’égalité des femmes. Le groupe s’est majo­ri­tai­re­ment oppo­sé, par exemple, à la réso­lu­tion qui visait à intro­duire l’IVG dans la charte des droits fon­da­men­taux de l’Union euro­péenne. C’est l’un des groupes dont l’influence pèse le plus au sein du Parlement euro­péen, il peut faire pen­cher la balance d’un côté ou de l’autre. Avec l’arrivée d’eurodéputés d’extrême droite, le PPE risque de mul­ti­plier les alliances avec les franges les plus à droite du Parlement.
Au-​delà des alliances élec­to­rales, des dyna­miques de rap­pro­che­ment entre les mili­tants d’extrême droite euro­péens sont déjà à l’œuvre à échelle euro­péenne. Certaines per­son­na­li­tés fran­çaises d’extrême droite ont par­ti­ci­pé au som­met pour la démo­gra­phie de 2023 [une réunion inter­na­tio­nale qui ras­semble pen­dant deux jours les dirigeant·es d’extrême droite pour défendre la relance de la nata­li­té. L’édition de 2023 s’intitulait “La famille, clé de la sécu­ri­té”], alors que Giorgia Meloni était la grande invi­tée de cette édi­tion et avait déployé un dis­cours sur la sécu­ri­té et la famille. Non seule­ment les par­tis d’extrême droite euro­péens construisent des liens idéo­lo­giques mais, en plus, la droite ultra­con­ser­va­trice amé­ri­caine sou­haite se rap­pro­cher d’eux pour expor­ter le trum­pisme. Victor Orban, Premier ministre hon­grois, joue un rôle impor­tant en ce sens. Dans un scé­na­rio éven­tuel de retour de Donald Trump à la Maison-​Blanche, ce type d’alliance pour­rait se ren­for­cer et avoir des reten­tis­se­ments au niveau multilatéral.

Lire aus­si l La jour­na­liste gua­de­lou­péenne Barbara Olivier-​Zandronis écar­tée par sa radio, revient sur son inter­view de Jordan Bardella

Quels rôles jouent les médias fran­çais dans la bana­li­sa­tion des idées miso­gynes et homo­phobes de l’extrême droite et com­ment pourraient-​ils y remé­dier ?
L.D. : Deux dyna­miques sont à l’œuvre. Il y a à la fois une forme de bana­li­sa­tion de l’extrême droite dans des médias grand public qui donnent des tri­bunes à des figures d’extrême droite, comme l’émission Touche pas à mon poste qui a don­né un temps consé­quent d’antenne à Éric Zemmour, selon une étude Mediapart citée dans notre rap­port. Et cer­taines figures d’extrême droite sont même pro­mues à la tête de cer­taines rédac­tions, comme au Journal du dimanche.
C’est pour cela que l’on appelle les médias à prendre leurs res­pon­sa­bi­li­tés. On énu­mère plu­sieurs pistes d’actions et diverses pos­tures qui nous semblent néces­saires dans ce temps élec­to­ral et avec la mon­tée de l’extrême droite : ne pas nor­ma­li­ser les dis­cours d’extrême droite – en s’assurant notam­ment du res­pect du cadre légal au sujet des dis­cours d’incitation à la haine, sexiste, raciale, trans­phobe, homo­phobe – et relayer des ana­lyses sur l’influence de l’extrême droite au niveau natio­nal, euro­péen et inter­na­tio­nal. On incite éga­le­ment les médias à inté­grer les approches et les ana­lyses fémi­nistes dans le trai­te­ment média­tique des élec­tions euro­péennes en ne ren­for­çant pas les sté­réo­types sexistes dans la cou­ver­ture des élec­tions, en ne cari­ca­tu­rant pas les femmes can­di­dates, en n’infériorisant pas les jour­na­listes expertes, en n’attribuant pas sys­té­ma­ti­que­ment l’analyse de cer­tains enjeux jugés mas­cu­lins – la défense, l’intelligence arti­fi­cielle – à des hommes… Il fau­drait aus­si que la presse inter­pelle les can­di­dates et can­di­dats sur l’égalité de genre parce que, pour l’instant, c’est un sujet qui est très peu abor­dé lors des inter­views et des pla­teaux télé.

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