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Documentaire de Marina Carrère d’Encausse : “On a eu l’impression d’avoir été un petit peu utilisé”

Au printemps, le service de soins palliatifs de Narbonne a accueilli les caméras de Marina Carrère d’Encausse pour le documentaire, Fin de vie : pour que tu aies le choix, diffusé sur France 5 le 26 septembre dernier. Claire Fourcade, la cheffe de ce service, médecin en soins palliatifs et présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, revient sur cette expérience. Interview.

Photo C Fourcade 1
Claire Fourcade © DR

“Compliqué.” C’est comme cela que Claire Fourcade, médecin en soins palliatifs et présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, résume la diffusion, mardi 26 septembre sur France 5, du bouleversant documentaire Fin de vie : pour que tu aies le choix, réalisé par Magali Cotard, dans lequel la journaliste et médecin Marina Carrère d’Encausse part à la rencontre de médecins mais aussi de familles et de patient·es afin de recueillir leurs témoignages et comprendre la gestion de la fin de vie.

Parmi ces médecins, Claire Fourcade donc. Au printemps dernier, le service de soins palliatifs de Narbonne (Aude), où elle exerce depuis vingt ans, a reçu les caméras de France 5. Deux jours après la diffusion du docu, elle est revenue sur cette expérience filmée dans un communiqué publié sur X (ex-Twitter) où elle a partagé sa déception.

Alors que le ministère de la Santé a remis, fin septembre, à Emmanuel Macron le projet de loi sur la fin de vie demandé par le président de la République, qui doit ouvrir un accès à l’aide active à mourir en France, Claire Fourcade, opposée à une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, revient pour Causette sur le tournage du documentaire, sur la difficulté d’aborder la fin de vie et sur la nécessité, selon elle, de développer les soins palliatifs en France.

Au printemps, l’équipe de Marina Carrère d’Encausse est venue tourner dans votre service à Narbonne. Pourquoi avoir accepté d’accueillir les caméras ? Aviez-vous des craintes ?
Claire Fourcade : Alors, c’est toujours une crainte, parce qu’on n’est pas du tout habitués à travailler avec des caméras. C’est assez compliqué, surtout qu’on est une petite équipe et que les caméras prennent beaucoup de place. L’autre chose, c’est que les journalistes avaient des souhaits sur ce qu’ils voulaient voir pendant les deux jours où elles étaient là, ce que je comprends en termes d’objectifs, mais ce qui est compliqué pour nous : dans un service de soins palliatifs, il y a beaucoup d’imprévus. Donc on a réfléchi, on a discuté assez longuement avec la réalisatrice, Magali Cotard, sur leur projet et comment on pouvait y répondre. On a décidé d’accepter parce que leur projet nous paraissait justement intéressant.

Comment s’est passé le tournage ? Sur Twitter, vous dites que ce fut une “expérience compliquée” pourquoi ?
C.F. : Le tournage s’est très bien passé, en termes de relations humaines. On a eu l’impression de parler assez librement et d’arriver à dire beaucoup de choses. C’est pourquoi il a été difficile de découvrir ensuite l’angle extrêmement personnel et militant [le compagnon de Marina Carrère d’Encausse est atteint de la maladie de Charcot, ndlr] choisi dans le documentaire. Cela n’avait pas du tout été évoqué de cette façon. On a eu l’impression d’avoir été quand même un petit peu utilisé. Il y avait un parti pris très fort. Marina Carrère d’Encausse n’avait pas caché qu’elle n’était pas neutre sur la question, mais on avait le sentiment qu’elle voulait faire quelque chose d’équilibré. C’est un documentaire tout à fait légitime, mais clairement militant. On aurait aimé qu’il soit plus informatif. Ça a été dur d’entendre “À la fin ce sont les soignants qui décident”, on a regretté que cette phrase, cette conclusion un peu lapidaire, n’ait pas montré cet exercice de co-construction avec les patients. J’ai senti mon équipe très à l’épreuve, moi j’ai un petit peu plus l’habitude des médias, donc ça m’a moins affectée, mais mon équipe a été très bousculée par l’impression de ne pas arriver à rendre justice à nos patients et au travail qu’on essaye de faire.

"Pour nous, ce n'est pas un débat en noir et blanc, on est tout le temps dans 50 nuances de gris, et c'est ça qu'on espérait pouvoir faire comprendre dans le documentaire"

Dans votre communiqué publié sur Twitter, vous dites aussi “Peut-être y a-t-il finalement là quelque chose d’indicible et devons-nous seulement nous concentrer sur ce qui se passe chaque jour dans chaque chambre”. Il est difficile, selon vous, de transmettre correctement la réalité et la complexité de votre travail ?
C.F. : Oui, c’est toujours un travail difficile de se confronter à la question de la mort. Ça nécessite aussi d’avoir en face de vous des gens qui viennent presque sans a priori alors que c’est un sujet sur lequel on a tous un avis. C’est très difficile d’arriver avec vraiment l’envie d’écouter ce qui se passe et d’accepter d’être peut-être bousculé dans certaines certitudes. Pour nous, ce n’est pas un débat en noir et blanc, on est tout le temps dans 50 nuances de gris, et c’est ça qu’on espérait pouvoir faire comprendre dans le documentaire. Montrer qu’on essaye de tisser une relation avec chaque patient pour trouver le chemin qui lui convient.

Sur la fin de vie, qui agite le débat politique depuis des mois, la législation est-elle suffisante aujourd’hui, selon vous ?
C.F. : Il faut savoir que la loi actuelle est faite pour les gens qui vont mourir. Pour eux, qu’on soit en soins palliatifs, en service de réanimation ou en gériatrie, on a tous les outils législatifs dont on a besoin. La loi nous permet d’accompagner. Elle nous dit qu’on doit soulager quoi qu’il en coûte, même si ça doit raccourcir la vie. Elle dit qu’on ne doit pas s’acharner, qu’on doit arrêter les traitements si les patients le demandent et avec ces outils-là, on est tout à fait capable d’accompagner les patients. Dans mon équipe, on a accompagné 12 000 patients en vingt ans et on a eu seulement trois demandes d’euthanasie, et ces patients on les a accompagnés avec les outils législatifs dont on dispose comme la sédation profonde. Ce qui nous manque, ce n’est pas de la loi, c’est des moyens.
Accompagner les gens qui ne sont pas en fin de vie, mais qui veulent mourir, ce n’est pas une question médicale mais sociétale.

“Seulement 10 % des Français ont pris des directives anticipées.”

Pensez-vous que les Français·es soient suffisamment informé·es sur les soins palliatifs ?
C.F. : Non, c’est évident. Il n’y a jamais eu de campagne d’informations sur les soins palliatifs. La seule qu’il y a eu, c’est celle que la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) a faite au printemps dernier. Il y a eu des campagnes plus ciblées sur les directives anticipées [un document écrit, daté et signé par lequel une personne rédige ses volontés quant aux soins médicaux qu’elle veut ou ne veut pas recevoir dans le cas où elle serait devenue inconsciente, ndlr] mais elles sont restées confidentielles. La preuve, seulement 10 % des Français ont pris des directives anticipées.
Il n’y a jamais eu de campagne expliquant aux Français quels sont leurs droits. Par exemple, dans le cadre de la maladie de Charcot, tout au long de la maladie, il y a des choix qui se posent pour les patients : “Est-ce que je veux des dispositifs d’alimentation artificielle ?”, “Est-ce que je veux être ventilé artificiellement ?”. Et à chacun de ces choix, les patients peuvent dire oui ou non. Et notre travail à nous, c’est de leur donner des informations pour choisir, de les accompagner, quel que soit le choix qu’ils vont faire. Il y a des patients qui vont choisir très tôt d’arrêter les soins, d’être accompagnés et endormis, et d’autres, au contraire, qui vont vouloir vivre le plus longtemps possible. Et les deux choix sont parfaitement respectables. Beaucoup pensent qu’il faut changer la loi pour pouvoir être bien accompagné, or, la loi actuelle le permet absolument.

Selon vous, pourquoi le sujet de la fin de vie est-il si difficile à aborder en France ?
C.F. : Je dirais qu’il y a un débat pour les gens en bonne santé, en tout cas éloignés de la question. On est tous concernés par cette question de la fin de vie, et tous, y compris moi, qui travaille au quotidien avec des gens en fin de vie, on peut se dire, “je ne voudrais pas mourir comme ça”. On a besoin d’une assurance, que si à un moment c’est difficile, on pourra peut-être décider que maintenant, il est temps que ça s’arrête, mais c’est plus une question d’assurance ou de réassurance pour des gens en bonne santé.
Et puis, il y a les personnes qui sont confrontées directement à la question de la fin de vie. Ces personnes-là, pour l’immense majorité, voire la quasi-totalité d’entre elles, veulent vivre le plus longtemps possible dans les meilleures conditions possible, et ça, c’est notre travail. Par contre, ce débat a un très fort impact sur ces personnes-là. Quand on dit qu’il faudrait avoir le droit de mourir, les patients entendent que leur vie n’a pas de sens. Dernièrement, une patiente m’a dit “ce que j’aimerais, c’est de ne pas avoir à me demander si ça serait mieux que je sois morte”. Pour moi, ce qui est difficile, c’est de mener un débat qui réponde à la fois à l’inquiétude légitime des gens en bonne santé qui se projettent dans les questions de la fin de vie, et en écoutant en même temps ce qui se vit et la capacité d’adaptation incroyable des patients. Moi, après 25 ans, je m’étonne encore de l’adaptation des patients à des situations qu’on n’aurait pas imaginées.

“Depuis 1999, la loi dit que tous les Français doivent avoir accès aux soins palliatifs à domicile ou en hospitalisation. Mais le problème c’est que cette loi n’a jamais été appliquée”

Dans le documentaire, vous dites “délivrer la mort est un pouvoir que je ne veux pas avoir sur les patients”. Pourquoi ?
C.F. : La relation de soins entre la personne qui soigne et celle qui est soignée est une relation très asymétrique. Je soigne des personnes qui sont malades, gravement malades, moi je ne suis pas malade, moi, je suis debout ou assise, eux, ils sont couchés. Moi, je suis censée savoir beaucoup de choses. C’est une relation où la prise de pouvoir est très facile parce que les gens nous font confiance, et c’est bien qu’ils nous fassent confiance, mais facilement, les médecins peuvent être amenés à dire aux gens ce qu’ils devraient faire, comment ils devraient faire. Je trouve que notre travail à nous, c’est d’essayer que cette relation soit la plus équilibrée possible, que ce ne soit pas une relation de pouvoir, mais qu’on puisse accompagner les patients dans leur chemin à eux. Et je trouve qu’avoir le pouvoir de dire “oui, je suis d’accord, vous pouvez mourir”, ou “non, vous, vous ne pouvez pas”, et encore plus, de le faire, ça vient remettre une asymétrie très importante dans cette relation, et ça vient fausser la relation de soin.

Actuellement, vingt départements français n’ont pas de services de soins palliatifs et la moitié des patient·es – 150 000 – qui devraient être accompagné·es ne le sont pas. Depuis la diffusion du documentaire, de nombreux témoignages font état de proches ayant eu des fins de vie effroyables en raison d’un manque de place ou d’accompagnement.
C.F. : Depuis 1999, la loi dit que tous les Français doivent avoir accès aux soins palliatifs à domicile ou en hospitalisation. Mais le problème c’est que cette loi n’a jamais été appliquée. Donc avant de la changer, on a déjà fait quatre lois sur la question de la fin de vie, et on n’a pas appliqué la première. Donc il y a peu de chances que si on change la loi une nouvelle fois, ça développe mieux les soins palliatifs. La priorité doit être donnée à l’accès aux soins palliatifs. On ne peut pas dire aux gens, “on va vous faire mourir parce qu’on ne s’est pas donné la peine de vous soigner correctement”. On peut faire ce choix pour des raisons philosophiques, mais parce qu’on ne s’est pas donné les moyens de soigner correctement, ça, ce n’est vraiment pas acceptable.

Craignez-vous que le projet de loi sur la fin de vie nuise aux soins palliatifs ?
C.F. : Le changement législatif inquiète beaucoup nos équipes parce qu’il vient remettre en question le sens de ce qu’on fait. C’est-à-dire que nous, on est auprès des patients, pas seulement pour nous, mais aussi parce que la société dit que ça a du sens d’accompagner les plus fragiles jusqu’au bout. Si la société dit finalement que ces soignants-là ne sont pas importants et qu’on n’a pas besoin d’eux, c’est vraiment très difficile.
On a fait une grande enquête auprès des soignants de soins palliatifs, il y a deux ans, qui a été publiée dans le British Medical Journal. 30 % ont répondu qu’ils démissionneraient si la loi passait.

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