Le tireur et le directeur de la battue comparaissent, ce 17 novembre, devant le tribunal correctionnel de Cahors dans le Lot, pour « homicide involontaire » sur la personne de Morgan Keane, un Franco-Britannique tué en décembre 2020 après avoir été « confondu » avec un sanglier.
Presque deux ans après la mort de Morgan Keane, tué par un chasseur, deux hommes sont jugés depuis ce jeudi 17 novembre devant le tribunal correctionnel de Cahors dans le Lot. Le 2 décembre 2020, ce Franco-Britannique de 25 ans coupait du bois dans son jardin à Calvignac dans le Lot lorsqu’il a été tué d’une balle de 7 mm tiré par Julien Féral. Le chasseur de 35 ans, qui dit l’avoir confondu avec un sanglier lors d’une battue organisée à proximité du terrain de Morgan, comparaît aujourd’hui pour « homicide involontaire ». Mais le tireur n’est pas seul à la barre. Le président de la société de chasse de Cajarc, Laurent Lapergues, 51 ans, est également poursuivi pour « homicide involontaire » en sa qualité de directeur de la battue.
Ce 2 décembre 2020, Julien Féral participait à sa cinquième battue seulement. L’homme, alors détenteur d’un permis de chasse depuis six mois, fait la route depuis son département voisin de l’Aveyron pour participer à la battue, une façon selon lui de « se changer les idées ». La traque aux sangliers, qui réunit ce jour une douzaine de chasseurs, est autorisée par un arrêté préfectoral. Dans le courant de l’après-midi, le chasseur inexpérimenté fait feu sur un sanglier, manquant sa cible à quatre reprises. Les autres chasseurs se seraient moqués de lui, selon l’avocat du frère de Morgan Keane, Me Benoît Coussy. « Aurait-il voulu se rattraper ? » s'est-il interrogé avant l'audience, pointant « l’ambiance viriliste » de la battue. La question sera débattue lors de ce procès.
Violation des règles de chasse…
À 16h45, le beau-frère de Julien Féral, qui y participe également, lui indique de se positionner à un endroit. Alors qu’il se retrouve seul, il aperçoit une première bête qu’il ne parvient pas à atteindre. Il la suit du regard. « Là, j’ai vu cette masse arriver, j’ai monté mon fusil, j’ai visé et j’ai tiré un coup », avait expliqué l’homme lors de sa garde à vue. Cette « masse » est en réalité Morgan Keane, qui se trouve sur son terrain, à 75 mètres de Julien Féral. Le jeune homme, touché à la poitrine, suffoque pendant cinq minutes avant de succomber à sa blessure.
L’instruction menée pendant deux ans par les gendarmes du Lot avec l’assistance des agent·es de l’Office français de la biodiversité (OFB, ex-Office national de la chasse et de la faune sauvage) établit que Julien Féral avait violé les règles de chasse, à commencer par l’obligation d’identification de l’objectif avant de tirer. Dans ses premières déclarations, le chasseur exprime d’ailleurs ses remords, admettant ne pas avoir respecté les règles et s’étonnant auprès des gendarmes de certaines conditions d’organisation. Des remords qu'il a de nouveau formulés ce matin lors de l'audience, évoquant notamment l’absence de consignes de sécurité données avant le départ de la battue. « J'aurais dû refuser ce poste, je m'en aperçois avec le recul, il était inadapté », a t‑il déclaré à la barre selon La Dépêche du Midi.
… qui a permis la survenance de l’accident
Si Laurent Lapergues a de nouveau assuré à la barre avoir donné des consignes de chasse, l’instruction a mis en évidence « plusieurs fautes caractérisées », selon le juge du tribunal de Cahors. À savoir l’absence du rappel de consigne et de l’établissement d’un plan de chasse, mais aussi le fait de ne pas avoir fait accompagner Julien Féral par un chasseur expérimenté. Ces failles ont, selon le magistrat, permis la survenance de l’accident.
Pour les proches de la victime, le procès va permettre de lever ces zones d'ombre : comment un chasseur, de surcroît inexpérimenté, a‑t-il pu s’approcher si près d’un terrain privé où la chasse n’est pas autorisée ? D’autant que les chasseurs du coin savaient qu’ils n’étaient pas les bienvenus du côté de la propriété de la famille Keane, rappelle Libération. Le père de Morgan, décédé avant la mort de son fils, avait à plusieurs reprises exprimé son mécontentement de les voir tirer trop près de la maison, isolée en bout d’un chemin de terre. Les chasseurs de Cajarc, ont-il alors voulu intimider le jeune homme ? « Il y a quelques inconnues dans la narration, estime Me Benoît Coussy. Il faut identifier les intentions cachées. »
« Pour moi, l’affaire n’est pas terminée. »
Me Benoît Coussy, avocat du frère de Morgan Keane.
Pour l’heure, il est reproché au directeur de la battue, Laurent Lapergues, d’avoir posté à cet endroit un chasseur inexpérimenté qui connaissait mal le secteur. « Le directeur de la battue doit répondre de la responsabilité de l’ensemble des chasseurs, a estimé ce matin Me Coussy. Sa responsabilité est immense, même supérieure à celle du tireur, car il savait qu’il y avait des riverains. » Tout en saluant la présence du directeur de battue sur le banc des prévenus, un fait assez rare dans ce genre de procès, l’avocat du frère de la victime déplore que « d’autres chasseurs ne soient pas sur le banc des prévenus ». Ceux qui, avant l’accident, savaient que Morgan Keane était présent sur son terrain et n’ont pas prévenu, et ceux, qui après le tir, n’ont pas porté assistance au jeune homme. Ils avaient fui en voiture alors que la victime « a agonisé pendant cinq minutes dans son sang », a rappelé Me Coussy : « Pour moi, l’affaire n’est pas terminée. »
Sollicitées par l'AFP, les avocates de l'auteur du tir mortel, Me Sylvie Bros, et du directeur de la battue, Me Emilie Geffroy, n'ont pas souhaité s'exprimer avant l'audience. De son côté, le président de la Fédération nationale de la chasse, Willy Schraen, a pris la parole dans La Dépêche du Midi à quelques jours du procès. Il a présenté ses condoléances à la famille de Morgan Keane en affirmant que « le tireur doit être condamné à la hauteur du drame ».
Julien Féral et Laurent Lapergues risquent tous deux jusqu’à trois ans de prison, 75 000 euros d’amende et le retrait définitif du permis de chasse. Le jugement du tribunal correctionnel de Cahors devrait être mis en délibéré.
Dénoncer les comportements dangereux
La mort de Morgan Keane avait suscité un vif émoi en France et mené à la création du collectif Un jour un chasseur, par six amies proches du Lotois. Depuis deux ans, le collectif dénonce les comportements à risque des chasseur·euses en publiant sur un compte Instagram, les témoignages de celles et ceux qui les subissent.
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