man in black jacket and blue denim jeans standing on brown grass field during daytime
© Amir Hosseini

Collectif Un jour un chas­seur : « On a com­po­sé avec la chasse toute notre vie, main­te­nant, c’est fini »

Le 25 octobre, le gou­ver­ne­ment a annon­cé un plan pour enca­drer la pra­tique de la chasse, res­pon­sable d'accidents par­fois mor­tels et de plus en plus contes­tée par les per­sonnes vivant en rura­li­té. Entretien avec Mila, du col­lec­tif Un jour un chas­seur, qui dénonce les com­por­te­ments à risque des chasseur·euses.

Un peu plus d’un mois après le début de la sai­son de la chasse et face aux mul­tiples acci­dents, par­fois mor­tels, le gou­ver­ne­ment a annon­cé, le 25 octobre der­nier, un plan pour enca­drer la pra­tique. Trois mesures prin­ci­pales entre­raient en vigueur à la fin de l’année : la créa­tion d’un délit d’alcoolémie, avec l’interdiction de chas­ser au-​delà de 0,5 gramme d’alcool par litre de sang, la géné­ra­li­sa­tion de l’interdiction du tir quand la proie se trouve dans un angle de 30 degrés sur la gauche et la droite du chas­seur, mais aus­si la mise en place au niveau local d’une demi-​journée sans chasse par semaine. 

Des mesures suf­fi­santes ? Nous avons posé la ques­tion à Mila, membre du col­lec­tif Un jour un chas­seur1, créé en 2020 à la suite du décès de Morgan Keane, un jeune homme de 25 ans tué par un tir de balle alors qu'il cou­pait du bois. Son but : bri­ser l’omerta grâce, notam­ment, à un compte Instagram qui compte 4autour des morts acci­den­telles dues de la chasse – au moins 428 entre 1999 et 2021 selon l’Office fran­çais de la biodiversité.

Tous les témoi­gnages com­mencent tous par la même antienne : « Un jour, un chas­seur m’a dit : “On va pas s’arrêter de chas­ser pour des cons qui courent” », « Un jour, une balle a tra­ver­sé toute notre mai­son », « Un jour, mon père est mort comme un san­glier », « Un jour un chas­seur qui nous tenait en joug a crié “Un acci­dent est si vite arri­vé” ». Des anec­dotes gla­çantes de ce type, le compte Instagram Un jour un chas­seur, en publie régu­liè­re­ment depuis deux ans. Le compte aux 40 500 abonné·es recueille – puis relaie – les récits de celles et ceux qui ont vécu des com­por­te­ments abu­sifs liés à la chasse. Des balles per­dues aux nom­breuses inti­mi­da­tions, ils sont pléthores.

Causette : Racontez-​nous les débuts du col­lec­tif.
Mila :
La mort de Morgan, notre ami, a été un choc immense pour moi et mes amies Peggy, Sara, Nadège, Zoé et Léa. On vient du même coin du Lot, on a tou­jours su que la chasse, c’était une nui­sance, mais nous n’avions pas véri­ta­ble­ment conscience de la pro­fon­deur du pro­blème avant que ce drame ne se pro­duise. Un jour, un chas­seur a « confon­du » Morgan avec un san­glier et lui a tiré une balle mor­telle au tho­rax.
En en par­lant autour de nous après la mort de Morgan, on s’est vite ren­du compte que ce n’était pas un drame iso­lé. On a créé une boite mail qu’on a par­ta­gé sur nos réseaux sociaux et ça a pris. Au début, on vou­lait sur­tout faire un état des lieux des abus liés à la chasse dans le Lot, mais on a reçu des mes­sages de toute la France. Certains étaient actuels, d'autres remon­taient à plu­sieurs années, mais tous avaient la même opi­nion : on a com­po­sé avec la chasse toute notre vie, main­te­nant, c’est fini.

En France, la chasse est enca­drée par la loi depuis 1844, pour­tant, c’est assez récem­ment que l’on a com­men­cé à par­ler mas­si­ve­ment des risques de la pra­tique. En deux ans, vous avez reçu des mil­liers de témoi­gnages. Comment interprétez-​vous l’ampleur de cette contes­ta­tion ?
Mila :
Je crois que la chasse était com­plè­te­ment bana­li­sée jusqu'à pré­sent. La mort de Morgan a cho­qué pas mal de monde. Je pense que les gens se sont dit qu’il fal­lait se mettre à par­ler. Il suf­fit de se plon­ger dans les archives de la presse régio­nale pour se rendre compte que ses abus touchent tout le monde. Les chas­seurs, mais aus­si les non-​pratiquants. Il n’y a d’ailleurs aucun autre sport en France qui tue autant de non-​pratiquants. Ce n'est pas accep­table. Mais aujourd’hui les langues se délient, la presse natio­nale s’en fait écho et les poli­tiques ne peuvent plus faire sem­blant d’ignorer le problème.

« La chasse s’introduit par­tout et fina­le­ment, on est en sécu­ri­té nulle part. »

Que pensez-​vous des mesures annon­cées par le gou­ver­ne­ment le 25 octobre ? 
Mila :
En ce qui concerne l’alcool, il était plus que temps ! Raison pour laquelle on ne va pas applau­dir le gou­ver­ne­ment là-​dessus. Idem pour l’angle de 30°. Reste qu’il fau­dra des contrôles fré­quents et fermes pour ces deux mesures. Ce qui n’est pas le cas actuel­le­ment. Pour la demi-​journée sans chasse, si elle est appli­quée loca­le­ment, ça ne ser­vi­ra à rien, on sait très bien que ce ne sera pas fait. C’est dif­fi­cile pour les maires de se posi­tion­ner, ils subissent une grande pres­sion des chas­seurs quand ils ne le sont pas eux-​mêmes. En fait, j’ai davan­tage l’impression que ces annonces gou­ver­ne­men­tales sont des « sor­ties spec­tacles », d’autant que l’on connaît les liens qui unissent Emmanuel Macron au lob­by de la chasse. 
De notre côté, on ne se satis­fe­ra pas de demi-​mesures, nous exi­geons un juste par­tage de nos cam­pagnes avec l’interdiction de la chasse le dimanche et le mer­cre­di au niveau natio­nal. Une for­ma­tion plus stricte et le ren­for­ce­ment des règles de sécu­ri­té, un contrôle et un sui­vi des armes de chasse et des com­por­te­ments à risque, des sanc­tions pénales à la hau­teur des délits com­mis ain­si que la recon­nais­sance des vic­times « d’accidents de chasse » par l’État. 

En réac­tion aux annonces du gou­ver­ne­ment, le pré­sident de la Fédération natio­nale des chas­seurs, Willy Schraen, s’est oppo­sé farou­che­ment à l’interdiction de la chasse le dimanche : « Il est hors de ques­tion qu’on lâche le dimanche après-​midi, on n’est pas des sous-​hommes », a‑t-​il lâché à France Info. Que lui répondriez-​vous ? 
Mila : Qu’on ne lâche­ra pas nos week-​ends non plus. On ne les aban­don­ne­ra pas au pro­fit des chas­seurs. Interdire la chasse le mer­cre­di et le dimanche, ce n’est pas inutile, la majo­ri­té des acci­dents se pro­duisent sur ces jour­nées. On a récem­ment fait une veille média­tique de sep­tembre à mi-​octobre : 82 % des acci­dents recen­sés dans la presse ont eu lieu le week-​end. Ce serait béné­fique, en expo­sant moins les popu­la­tions, il y aura moins d’accidents. 
La chasse, c’est vrai­ment une spé­cia­li­té fran­çaise. La France est l’un des der­niers pays qui n’a pas de jours sans chasse. Il fau­dra bien que les chas­seurs l’acceptent : 82 % des Français le sou­haitent [d’après le baro­mètre 2021 de la Fondation 30 mil­lions d’amis réa­li­sé en 2021, ndlr.] C’est frus­trant, car on apprend les morts liés à la chasse dans la presse, on essaye de faire quelque chose et rien ne se passe. Il est vrai­ment urgent que la chasse devienne un sujet politique. 

Lire aus­si I Chambord, chasse gar­dée de la République

Tous les témoi­gnages com­mencent tous par la même antienne : « Un jour, un chas­seur m’a dit : “On va pas s’arrêter de chas­ser pour des cons qui courent” », « Un jour, une balle a tra­ver­sé toute notre mai­son », « Un jour, mon père est mort comme un san­glier », « Un jour un chas­seur qui nous tenait en joug a crié “Un acci­dent est si vite arri­vé” »
Mila :
Ce n’est pas nor­mal d’avoir besoin de cou­rage pour se pro­me­ner dans la forêt. Une femme racon­tait dans son témoi­gnage qu’une balle a tra­ver­sé son panier à cham­pi­gnons. Et ce n’est même pas qu’en forêt. Les balles pénètrent aus­si les mai­sons, les jar­dins, les voi­tures et même les TGV. La chasse s’introduit par­tout et fina­le­ment, on est en sécu­ri­té nulle part. Certains ruraux, trau­ma­ti­sés, finissent même par démé­na­ger pour ne plus subir ces nui­sances. Dans un autre témoi­gnage, une per­sonne disait « je mour­rai dans mon jar­din s'il le faut »

Selon vous, il y a tou­jours une omer­ta autour des acci­dents liés à la chasse ? 
Mila :
Oui, on ne peut tou­jours pas en par­ler libre­ment. Il y avait – et il y a tou­jours je pense – une crainte de par­ler, par peur des repré­sailles et de la pres­sion des chas­seurs. Les rela­tions entre les chas­seurs et les ruraux sont par­fois inte­nables. C’est pour cela que je pense que les chiffres de l’OFB ne sont pas exhaus­tifs [Selon l’Office fran­çais de la bio­di­ver­si­té (OFB, ex-​Office natio­nal de la chasse et de la faune sau­vage), 428 per­sonnes sont décé­dées des suites d’un des 2 792 acci­dents de chasse entre 1999 et 2021, ndlr]. Il y a énor­mé­ment d’accidents qui ne sont pas rap­por­tés. Et ceux qui le sont font très rare­ment l’objet d’une enquête. On ne parle pas non plus des risques. Pour une balle qui touche quelqu’un, com­bien sont celles qui tra­versent nos routes ou nos jar­dins sans tou­cher per­sonne ? 
Il y a aus­si une omer­ta autour de ce que sont vrai­ment ces vio­lences. C’est com­pli­qué d’utiliser le mot « acci­dent » par exemple. Le dire, ça revient à bana­li­ser et à accep­ter la vio­lence de la chasse. C’est insup­por­table. Pour nous, ces morts, ces bles­sures phy­siques, ces trau­ma­tismes psy­cho­lo­giques sont les consé­quences logiques d’une pra­tique trop laxiste et pas suf­fi­sam­ment contrô­lée ni encadrée.

Le col­lec­tif Un jour un chas­seur a lan­cé une péti­tion pour exi­ger la mise en place des mesures citées plus haut. Pour signer la péti­tion, c’est par ici

  1. Le col­lec­tif a publié un livre mani­feste, Chasser tue (aus­si) des humains, en octobre aux édi­tions Leduc.[]
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