Combien coûte à un·e plaignant·e une procédure judiciaire à la suite d’un viol ou d’une agression sexuelle ? Causette a tenté de démêler les fils de cette pelote de flous et de non-dits. Quelques repères pour les survivant·es dans leur parcours d’obstacles.
« C’est une info que nous n’avons pas. À ma connaissance, aucune étude n’a jamais été faite sur le sujet et on n’a pas de données officielles. » Tel est le retour type à la question « Combien peut coûter une procédure judiciaire pour violences sexuelles ? » Ici, la réponse vient de Véronique Le Goaziou, sociologue et autrice de Viol, que fait la justice ? (Presses de Sciences Po, 2019). À la même interrogation, la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF) a répondu que notre question a permis de réaliser qu’il n’existait en effet aucune brochure sur les aspects financiers d’une plainte. Le projet serait désormais en discussion.
Jusqu’à aujourd’hui, pour les survivant·es, les infos se trouvent par bribe. « 7 500 euros de frais de justice », précisait une victime de # MeTooTheatre, dans le cadre du mouvement #DoublePeine fin 2021 sur Twitter. 2 000 euros pour un acte de justice ponctuel, rapportait encore sur Twitter une membre de #MeTooInceste, contre 500 euros pour le même acte, selon une autre victime qui témoigne également sur les réseaux sociaux. Tout cela alors que « pour certaines, la procédure peut être quasi gratuite », rappelle Véronique Le Goaziou. Pour y voir plus clair, « il faudrait lister les coûts qui interviennent à chaque étape du processus ». Mission acceptée.
Le dépôt de plainte
Déposer plainte, « c’est sur le plan financier la phase la moins chère, mais la plus coûteuse sur le plan moral » prévient l’avocate féministe Anne Bouillon. On peut la préparer. Établir une chronologie, recenser les documents pertinents à apporter (lettres de proches, attestations médicales, conversations avec le mis en cause, journaux intimes…), définir le lieu où l’on souhaite déposer plainte. Pour être guidé·e, poursuit l’avocate, « je recommande souvent de prendre contact avec une assistante sociale en gendarmerie ou en commissariat ». Il est aussi possible de recourir à des juristes dans les assos, comme le Collectif féministe contre le viol (CFCV) ou Solidarité Femmes. Par ailleurs, certains barreaux proposent des consultations gratuites.
Dernière option, payante cette fois : convenir d’un rendez-vous stratégique avec un·e avocat·e. Clotilde Lepetit fait partie d’un cabinet de pénalistes parisiennes. Elle a défendu les victimes de « la tournante de Fontenay-sous-Bois1 » et l’une de ses consœurs accompagne les plaignantes de PPDA. « Dans ces dossiers, les avocats peuvent demander 200 euros de l’heure. Au plus bas, 180 euros, au plus haut, 450 euros. Cela dépend de l’état de fortune du client et de la complexité de l’affaire. On peut aussi proposer un forfait. » Quoi qu’il en soit, Emmanuelle Piet, présidente du CFCV, conseille de « fixer un devis par mail » pour éviter les mauvaises surprises (« payer 100 balles par demi-heure de coup de téléphone et le découvrir sur l’addition finale »…). Attention, met en garde une avocate, aux « escroqueries » de consœurs qui font payer plus cher au titre d’une soi-disant « spécialisation ». Elle ne correspond à aucune formation supplémentaire précise et ne justifie donc aucune surcharge.
Prendre rendez-vous avec un enquêteur de brigade spécialisé
Pour le dépôt, plusieurs options sont ouvertes aux survivant·es. Aller au commissariat – « Ça n’a aucun coût, reprend Me Anne Bouillon.J’en profite pour leur conseiller de prendre rendez-vous avec un enquêteur de brigade spécialisé ». Cela peut passer par le chat du gouvernement Arretonslesviolences.gouv.fr. Ou alors, écrire soi-même un courrier au procureur ou à la procureure de la République, « c’est alors le prix d’un timbre, mais rarement le moyen le plus efficace ». Ou enfin, mandater un·e avocat·e pour rédiger la plainte. Anouk Laubé est juriste au CIDFF de Paris. « Les tarifs que j’ai déjà observés varient de 600 euros à 800 euros, signale-t-elle. Quand les faits sont anciens et répétés, les récits peuvent compter 20 à 30 pages et il est donc préférable d’être accompagné par un avocat pour structurer ses propos. La victime pourra être guidée pour compléter son courrier de toute preuve de suivi médical, de photos, journaux intimes, attestations de témoin… Toutefois, ce recensement prend du temps, ce qui peut augmenter les honoraires. » Pour les cas complexes, d’autres sources ont énoncé le montant de 1 500 euros.
Selon la gravité des faits, la police peut proposer, au cours de son enquête préliminaire, une confrontation entre mis en cause et plaignant·e. C’est facultatif. À noter que l’agresseur présumé n’est jamais installé en face à face avec la victime, mais devant celle-ci et de dos, selon le protocole d’usage. S’il a été placé en garde à vue (c’est surtout le cas pour les viols), il sera assisté d’un·e avocat·e commis·e d’office. Il est possible d’y aller seul·e – c’est gratuit. Avec commis·e d’office – pas forcément gratuit (payant selon les revenus). Ou avec un·e avocat·e de son choix – payant. Anne Bouillon pratique le tarif minoré de 130 euros. Cela peut se chiffrer à 400 euros, voire à 600 euros si le dossier est complexe.
Forfaits d’avocat et aides financières
Pour couvrir tous les frais exposés jusqu’ici (de la préparation de plainte à la fin de l’enquête et l’éventuelle confrontation), certain·es proposent des forfaits. « Environ 1 500 euros pour la période », précise Me Clotilde Lepetit. « Entre 1 000 euros et 2 000 euros, de la plainte à l’audience au correctionnel », confirme Anouk Laubé. Période qui dure parfois plus d’un an. « Cela peut couvrir plusieurs auditions, retrace Me Clotilde Lepetit, l’accompagnement des personnes sur les lieux des faits pour l’enquête de police. Certains dossiers complexes demandent beaucoup d’heures de travail. »
Pour toute cette phase, il existe des mécanismes d’assistance, publics ou privés. D’abord, l’aide juridictionnelle (AJ). « Si vous êtes victime de faits criminels – viols, atteinte volontaire à votre vie ou votre intégrité –, vous en bénéficiez de droit », précise d’emblée Me Clotilde Lepetit. C’est-à-dire, sans critère financier. Sinon, le revenu fiscal de référence de la victime, si elle est seule dans son foyer fiscal, doit être inférieur à 11 580 euros et son patrimoine immobilier au-dessous de 34 734 euros pour que 100 % de ses frais soient couverts par l’AJ. On passe à 55 ou 25 % de frais remboursés si l’on gagne plus (avec la limite de 17 367 euros annuels). « Il faut demander au bureau d’aide juridictionnelle de son barreau, explique Me Clotilde Lepetit, et le bâtonnier vous délivre un avocat commis d’office. » Si vous souhaitez prendre votre propre avocat, « il faut une attestation qui prouve qu’il accepte d’être payé via l’aide juridictionnelle ».
Les assurances personnelles déjà contractées peuvent aussi être mises à contribution. Il faut éplucher ses contrats d’assurance habitation et de carte de crédit : « Parfois, elles permettent de toucher 500 à 1 000 euros pour une information judiciaire. » Anouk Laubé, du CIDFF de Paris, incite à vérifier systématiquement « si vous bénéficiez de la protection juridique ». Elle retrace « un cas récent où la victime avait ainsi droit à un forfait, et ses frais d’avocat dans le cadre d’un contentieux correctionnel étaient couverts jusqu’à 1 500 euros. Il faut en revanche y avoir souscrit avant l’infraction. »
Arrive – après plusieurs mois, voire des années –, le moment de la décision du parquet. À savoir : celle-ci n’est pas toujours communiquée aux plaignant·es – il faut parfois appeler son commissariat ou son parquet ! Dans le cas du classement sans suite – qui concerne 73 % des plaintes pour violences sexuelles en France –, il est possible d’en rester là. Ou de faire appel. Les frais (honoraires d’avocat) ne sont alors plus couverts par l’AJ. On peut aussi se constituer partie civile. L’acte n’est jamais gratuit. Emmanuelle Piet, du CFCV, détaille : « Le doyen du juge d’instruction demande à ce que la victime paie une consignation. C’est une sorte de caution dissuasive. [Comprendre : un moyen d’éviter les poursuites qui risquent de ne mener à rien, ndlr] La consignation est calculée en fonction des revenus. En général, cela tourne autour de 1 500 euros. Mais cela peut aussi être 3 000 euros. »
Coût difficile à estimer à l’avance
À partir de là, le schéma est le même que si le parquet n’a pas classé sans suite et a entamé des poursuites en désignant un·e juge d’instruction. Honoraires d’avocat, aide juridictionnelle, protection juridique, ou encore, forfait. Les estimations deviennent alors plus que hasardeuses. Tout dépend de la complexité du dossier, de l’ancienneté des faits. « Pour des instructions correctionnelles en matière de violences sexuelles, on peut voir des forfaits à 2 000 euros », chiffre l’avocate pénaliste Clotilde Lepetit. Pour d’autres, comme des viols (en cour d’assises, donc), « cela peut être au moins 5 000 à 10 000 euros sur douze mois d’intervention ». Emmanuelle Piet confirme que l’ensemble de la procédure « peut atteindre 30 000 euros ». C’est ce montant maximal qu’énonce Anouk Laubé, « mais ça peut aller beaucoup plus loin », précise-t-elle. « Je dirais qu’une addition normale tourne autour de 4 000 euros, nuance Emmanuelle Piet. Dans certains cas aussi, l’avocate ne fait rien payer et détermine qu’elle prendra 10 % à 15 % des dommages et intérêts si vous gagnez à la fin. »
C’est ce que propose Me Anne Bouillon. « C’est une manière de faire l’effort de trésorerie moi-même », un engagement lié à son « éthique féministe ». Quand on veut, « on trouve toujours des solutions. Je m’adresse parfois aux assurances de responsabilité civile pour les honoraires. Le coût ne doit jamais empêcher de porter plainte. » Les assos le confirment. Elles ont des dispositifs en off pour les femmes non éligibles à l’aide juridictionnelle. Si l’on hésite, il faut insister auprès d’elles.
À cela s’additionne une série de dépenses indirectes. Pour les frais médicaux, tout examen ou expertise demandé par la justice est pris en charge. Mais toute contre-expertise est à la charge des plaignant·es. « Certaines victimes, souligne la sociologue Véronique Le Goaziou, sont obligées de déménager ou d’arrêter leur activité professionnelle à la suite des faits. Il y a aussi les frais d’essence pour aller aux différents rendez-vous avec l’avocat, le coût d’une thérapie… » On peut aussi citer le coût d’une nouvelle procédure en cas de contre-attaque pour diffamation, comme le subissent seize des plaignantes de l’affaire PPDA. La sociologue finit par évoquer un dernier aspect financier des plaintes pour viols et violences sexuelles qu’on n’avait pas soupçonné. « J’ai vu des plaignantes précaires retirer leur plainte dans le cadre de viols conjugaux, parce qu’elles craignaient que leur compagnon aille en prison et ne puisse plus travailler et aider le foyer. » L’effort de survie a un prix que seules les victimes peuvent imaginer.
Collectif féministe contre le viol (CFCV), cfcv.asso.fr, numéro vert : 0 800 05 95 95, du lundi au vendredi, de 10 heures à 19 heures. Appel confidentiel, anonyme et gratuit.
Solidarité Femmes, solidaritefemmes.org, contre les violences sexistes envers les femmes. Numéro vert : 3919, 24 h/24 et 7 j/7. Appel confidentiel, anonyme et gratuit.
- Cette affaire très médiatisée de viols en réunion sur deux mineures à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne) en 1999 et 2000 a été jugée en 2012 puis en appel en 2013.[↩]