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©Markus Spiske

Violences sexuelles : paye ta plainte

Combien coûte à un·e plaignant·e une pro­cé­dure judi­ciaire à la suite d’un viol ou d’une agres­sion sexuelle ? Causette a ten­té de démê­ler les fils de cette pelote de flous et de non-​dits. Quelques repères pour les survivant·es dans leur par­cours d’obstacles.

« C’est une info que nous n’avons pas. À ma connais­sance, aucune étude n’a jamais été faite sur le sujet et on n’a pas de don­nées offi­cielles. » Tel est le retour type à la ques­tion « Combien peut coû­ter une pro­cé­dure judi­ciaire pour vio­lences sexuelles ? » Ici, la réponse vient de Véronique Le Goaziou, socio­logue et autrice de Viol, que fait la jus­tice ? (Presses de Sciences Po, 2019). À la même inter­ro­ga­tion, la Fédération natio­nale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF) a répon­du que notre ques­tion a per­mis de réa­li­ser qu’il n’existait en effet aucune bro­chure sur les aspects finan­ciers d’une plainte. Le pro­jet serait désor­mais en discussion.

Jusqu’à aujourd’hui, pour les survivant·es, les infos se trouvent par bribe. « 7 500 euros de frais de jus­tice », pré­ci­sait une vic­time de # MeTooTheatre, dans le cadre du mou­ve­ment #DoublePeine fin 2021 sur Twitter. 2 000 euros pour un acte de jus­tice ponc­tuel, rap­por­tait encore sur Twitter une membre de #MeTooInceste, contre 500 euros pour le même acte, selon une autre vic­time qui témoigne éga­le­ment sur les réseaux sociaux. Tout cela alors que « pour cer­taines, la pro­cé­dure peut être qua­si gra­tuite », rap­pelle Véronique Le Goaziou. Pour y voir plus clair, « il fau­drait lis­ter les coûts qui inter­viennent à chaque étape du pro­ces­sus ». Mission accep­tée.

Le dépôt de plainte

Déposer plainte, « c’est sur le plan finan­cier la phase la moins chère, mais la plus coû­teuse sur le plan moral » pré­vient l’avocate fémi­niste Anne Bouillon. On peut la pré­pa­rer. Établir une chro­no­lo­gie, recen­ser les docu­ments per­ti­nents à appor­ter (lettres de proches, attes­ta­tions médi­cales, conver­sa­tions avec le mis en cause, jour­naux intimes…), défi­nir le lieu où l’on sou­haite dépo­ser plainte. Pour être guidé·e, pour­suit l’avocate, « je recom­mande sou­vent de prendre contact avec une assis­tante sociale en gen­dar­me­rie ou en com­mis­sa­riat ». Il est aus­si pos­sible de recou­rir à des juristes dans les assos, comme le Collectif fémi­niste contre le viol (CFCV) ou Solidarité Femmes. Par ailleurs, cer­tains bar­reaux pro­posent des consul­ta­tions gratuites.

Dernière option, payante cette fois : conve­nir d’un rendez-​vous stra­té­gique avec un·e avocat·e. Clotilde Lepetit fait par­tie d’un cabi­net de péna­listes pari­siennes. Elle a défen­du les vic­times de « la tour­nante de Fontenay-​sous-​Bois1 » et l’une de ses consœurs accom­pagne les plai­gnantes de PPDA. « Dans ces dos­siers, les avo­cats peuvent deman­der 200 euros de l’heure. Au plus bas, 180 euros, au plus haut, 450 euros. Cela dépend de l’état de for­tune du client et de la com­plexi­té de l’affaire. On peut aus­si pro­po­ser un for­fait. » Quoi qu’il en soit, Emmanuelle Piet, pré­si­dente du CFCV, conseille de « fixer un devis par mail » pour évi­ter les mau­vaises sur­prises (« payer 100 balles par demi-​heure de coup de télé­phone et le décou­vrir sur l’addition finale »…). Attention, met en garde une avo­cate, aux « escro­que­ries » de consœurs qui font payer plus cher au titre d’une soi-​disant « spé­cia­li­sa­tion ». Elle ne cor­res­pond à aucune for­ma­tion sup­plé­men­taire pré­cise et ne jus­ti­fie donc aucune surcharge.

Prendre rendez-​vous avec un enquê­teur de bri­gade spécialisé

Pour le dépôt, plu­sieurs options sont ouvertes aux survivant·es. Aller au com­mis­sa­riat – « Ça n’a aucun coût, reprend Me Anne Bouillon.J’en pro­fite pour leur conseiller de prendre rendez-​vous avec un enquê­teur de bri­gade spé­cia­li­sé ». Cela peut pas­ser par le chat du gou­ver­ne­ment Arretonslesviolences.gouv.fr. Ou alors, écrire soi-​même un cour­rier au pro­cu­reur ou à la pro­cu­reure de la République, « c’est alors le prix d’un timbre, mais rare­ment le moyen le plus effi­cace ». Ou enfin, man­da­ter un·e avocat·e pour rédi­ger la plainte. Anouk Laubé est juriste au CIDFF de Paris. « Les tarifs que j’ai déjà obser­vés varient de 600 euros à 800 euros, signale-​t-​elle. Quand les faits sont anciens et répé­tés, les récits peuvent comp­ter 20 à 30 pages et il est donc pré­fé­rable d’être accom­pa­gné par un avo­cat pour struc­tu­rer ses pro­pos. La vic­time pour­ra être gui­dée pour com­plé­ter son cour­rier de toute preuve de sui­vi médi­cal, de pho­tos, jour­naux intimes, attes­ta­tions de témoin… Toutefois, ce recen­se­ment prend du temps, ce qui peut aug­men­ter les hono­raires. » Pour les cas com­plexes, d’autres sources ont énon­cé le mon­tant de 1 500 euros.

Selon la gra­vi­té des faits, la police peut pro­po­ser, au cours de son enquête pré­li­mi­naire, une confron­ta­tion entre mis en cause et plaignant·e. C’est facul­ta­tif. À noter que l’agresseur pré­su­mé n’est jamais ins­tal­lé en face à face avec la vic­time, mais devant celle-​ci et de dos, selon le pro­to­cole d’usage. S’il a été pla­cé en garde à vue (c’est sur­tout le cas pour les viols), il sera assis­té d’un·e avocat·e commis·e d’office. Il est pos­sible d’y aller seul·e – c’est gra­tuit. Avec commis·e d’office – pas for­cé­ment gra­tuit (payant selon les reve­nus). Ou avec un·e avocat·e de son choix – payant. Anne Bouillon pra­tique le tarif mino­ré de 130 euros. Cela peut se chif­frer à 400 euros, voire à 600 euros si le dos­sier est complexe.

Forfaits d’avocat et aides financières

Pour cou­vrir tous les frais expo­sés jusqu’ici (de la pré­pa­ra­tion de plainte à la fin de l’enquête et l’éventuelle confron­ta­tion), certain·es pro­posent des for­faits. « Environ 1 500 euros pour la période », pré­cise Me Clotilde Lepetit. « Entre 1 000 euros et 2 000 euros, de la plainte à l’audience au cor­rec­tion­nel », confirme Anouk Laubé. Période qui dure par­fois plus d’un an. « Cela peut cou­vrir plu­sieurs audi­tions, retrace Me Clotilde Lepetit, l’accompagnement des per­sonnes sur les lieux des faits pour l’enquête de police. Certains dos­siers com­plexes demandent beau­coup d’heures de travail. »

Pour toute cette phase, il existe des méca­nismes d’assistance, publics ou pri­vés. D’abord, l’aide juri­dic­tion­nelle (AJ). « Si vous êtes vic­time de faits cri­mi­nels – viols, atteinte volon­taire à votre vie ou votre inté­gri­té –, vous en béné­fi­ciez de droit », pré­cise d’emblée Me Clotilde Lepetit. C’est-à-dire, sans cri­tère finan­cier. Sinon, le reve­nu fis­cal de réfé­rence de la vic­time, si elle est seule dans son foyer fis­cal, doit être infé­rieur à 11 580 euros et son patri­moine immo­bi­lier au-​dessous de 34 734 euros pour que 100 % de ses frais soient cou­verts par l’AJ. On passe à 55 ou 25 % de frais rem­bour­sés si l’on gagne plus (avec la limite de 17 367 euros annuels). « Il faut deman­der au bureau d’aide juri­dic­tion­nelle de son bar­reau, explique Me Clotilde Lepetit, et le bâton­nier vous délivre un avo­cat com­mis d’office. » Si vous sou­hai­tez prendre votre propre avo­cat, « il faut une attes­ta­tion qui prouve qu’il accepte d’être payé via l’aide juridictionnelle ».

Les assu­rances per­son­nelles déjà contrac­tées peuvent aus­si être mises à contri­bu­tion. Il faut éplu­cher ses contrats d’assurance habi­ta­tion et de carte de cré­dit : « Parfois, elles per­mettent de tou­cher 500 à 1 000 euros pour une infor­ma­tion judi­ciaire. » Anouk Laubé, du CIDFF de Paris, incite à véri­fier sys­té­ma­ti­que­ment « si vous béné­fi­ciez de la pro­tec­tion juri­dique ». Elle retrace « un cas récent où la vic­time avait ain­si droit à un for­fait, et ses frais d’avocat dans le cadre d’un conten­tieux cor­rec­tion­nel étaient cou­verts jusqu’à 1 500 euros. Il faut en revanche y avoir sous­crit avant l’infraction. »

Arrive – après plu­sieurs mois, voire des années –, le moment de la déci­sion du par­quet. À savoir : celle-​ci n’est pas tou­jours com­mu­ni­quée aux plaignant·es – il faut par­fois appe­ler son com­mis­sa­riat ou son par­quet ! Dans le cas du clas­se­ment sans suite – qui concerne 73 % des plaintes pour vio­lences sexuelles en France –, il est pos­sible d’en res­ter là. Ou de faire appel. Les frais (hono­raires d’avocat) ne sont alors plus cou­verts par l’AJ. On peut aus­si se consti­tuer par­tie civile. L’acte n’est jamais gra­tuit. Emmanuelle Piet, du CFCV, détaille : « Le doyen du juge d’instruction demande à ce que la vic­time paie une consi­gna­tion. C’est une sorte de cau­tion dis­sua­sive. [Comprendre : un moyen d’éviter les pour­suites qui risquent de ne mener à rien, ndlr] La consi­gna­tion est cal­cu­lée en fonc­tion des reve­nus. En géné­ral, cela tourne autour de 1 500 euros. Mais cela peut aus­si être 3 000 euros. »

Coût dif­fi­cile à esti­mer à l’avance

À par­tir de là, le sché­ma est le même que si le par­quet n’a pas clas­sé sans suite et a enta­mé des pour­suites en dési­gnant un·e juge d’instruction. Honoraires d’avocat, aide juri­dic­tion­nelle, pro­tec­tion juri­dique, ou encore, for­fait. Les esti­ma­tions deviennent alors plus que hasar­deuses. Tout dépend de la com­plexi­té du dos­sier, de l’ancienneté des faits. « Pour des ins­truc­tions cor­rec­tion­nelles en matière de vio­lences sexuelles, on peut voir des for­faits à 2 000 euros », chiffre l’avocate péna­liste Clotilde Lepetit. Pour d’autres, comme des viols (en cour d’assises, donc), « cela peut être au moins 5 000 à 10 000 euros sur douze mois d’intervention ». Emmanuelle Piet confirme que l’ensemble de la pro­cé­dure « peut atteindre 30 000 euros ». C’est ce mon­tant maxi­mal qu’énonce Anouk Laubé, « mais ça peut aller beau­coup plus loin », précise-​t-​elle. « Je dirais qu’une addi­tion nor­male tourne autour de 4 000 euros, nuance Emmanuelle Piet. Dans cer­tains cas aus­si, l’avocate ne fait rien payer et déter­mine qu’elle pren­dra 10 % à 15 % des dom­mages et inté­rêts si vous gagnez à la fin. »

C’est ce que pro­pose Me Anne Bouillon. « C’est une manière de faire l’effort de tré­so­re­rie moi-​même », un enga­ge­ment lié à son « éthique fémi­niste ». Quand on veut, « on trouve tou­jours des solu­tions. Je m’adresse par­fois aux assu­rances de res­pon­sa­bi­li­té civile pour les hono­raires. Le coût ne doit jamais empê­cher de por­ter plainte. » Les assos le confirment. Elles ont des dis­po­si­tifs en off pour les femmes non éli­gibles à l’aide juri­dic­tion­nelle. Si l’on hésite, il faut insis­ter auprès d’elles.

À cela s’additionne une série de dépenses indi­rectes. Pour les frais médi­caux, tout exa­men ou exper­tise deman­dé par la jus­tice est pris en charge. Mais toute contre-​expertise est à la charge des plaignant·es. « Certaines vic­times, sou­ligne la socio­logue Véronique Le Goaziou, sont obli­gées de démé­na­ger ou d’arrêter leur acti­vi­té pro­fes­sion­nelle à la suite des faits. Il y a aus­si les frais d’essence pour aller aux dif­fé­rents rendez-​vous avec l’avocat, le coût d’une thé­ra­pie» On peut aus­si citer le coût d’une nou­velle pro­cé­dure en cas de contre-​attaque pour dif­fa­ma­tion, comme le subissent seize des plai­gnantes de l’affaire PPDA. La socio­logue finit par évo­quer un der­nier aspect finan­cier des plaintes pour viols et vio­lences sexuelles qu’on n’avait pas soup­çon­né. « J’ai vu des plai­gnantes pré­caires reti­rer leur plainte dans le cadre de viols conju­gaux, parce qu’elles crai­gnaient que leur com­pa­gnon aille en pri­son et ne puisse plus tra­vailler et aider le foyer. » L’effort de sur­vie a un prix que seules les vic­times peuvent imaginer.

Collectif fémi­niste contre le viol (CFCV), cfcv.asso.fr, numé­ro vert : 0 800 05 95 95, du lun­di au ven­dre­di, de 10 heures à 19 heures. Appel confi­den­tiel, ano­nyme et gratuit.

Solidarité Femmes, solidaritefemmes.org, contre les vio­lences sexistes envers les femmes. Numéro vert : 3919, 24 h/​24 et 7 j/​7. Appel confi­den­tiel, ano­nyme et gratuit.

  1. Cette affaire très média­ti­sée de viols en réunion sur deux mineures à Fontenay-​sous-​Bois (Val-​de-​Marne) en 1999 et 2000 a été jugée en 2012 puis en appel en 2013.[]
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