La septième journée de mobilisation contre la réforme des retraites a réuni 700.000 personnes dans les rues parisiennes selon la CGT. Reportage.
Dans pas moins de 200 villes en France ce mardi, on manifestait aussi pour dire non à la réforme des retraites à l'appel de l'intersyndicale. En parallèle, sur les routes, dans les ports ou encore les raffineries, des grévistes ont répondu au mot d'ordre de « bloquer le pays ». Une mobilisation définitivement placée sous le signe du chiffre 7 : ce 7 mars marque la septième journée de manifestations, et la disposition du projet de loi la plus critiquée – celle du départ à la retraite à l'âge de 64 ans contre 62 actuellement – est contenue dans son article 7, lequel pourrait d'ailleurs être étudié ce jour même au Sénat. A Paris, c'est dans le 7ème arrondissement, métro Sèvre-Babylone, qu'était fixé le rendez-vous qui, n'en jetez plus, a réuni pas moins de 700.000 personnes selon la CGT.
Si l'enjeu était de créer du contraste, le pari est réussi : l'ambiance pain-saucisse – La Rue Ketanou se dégageant du cortège et de ses hauts parleurs a de quoi trancher avec ce quartier très chic de la rive gauche d'où se sont ébranlé·es les manifestant·es en direction de la place d'Italie dans le 13ème arrondissement. Des employé·es de boutiques de luxe s'extirpent des rideaux tirés des vitrines pour l'occasion afin d'immortaliser le moment avec leurs téléphones. « Heureusement qu'ils manifestent pour nous », lance une vendeuse de vêtements à sa collègue, visiblement pas trop contrariée de ne pas accueillir de clientes.
« En-dessous du Smic, c'est de la survie, c'est pas une vie. »
Claudie, 62 ans, accompagnante d'enfants en situation de handicap.
Dans la foule de dizaines de milliers de manifestant·es, on croise des jeunes, des moins jeunes, des cheminot·es, des infirmier·ères, des profs, des ouvrier·ères, des habitué·es de la contestation sociale comme des novices. « Libraires en colère, y en a marre des bas salaires », entonne un petit cortège déterminé. A ses côtés, on croise, Claudie, « bientôt 62 ans », qui attrape l'oeil avec sa pancarte « Les femmes ne sont pas des dindes, la farce amère ne passera pas, non c'est non ! »
« Je ne vois pas pourquoi les femmes devraient payer le prix fort de cette réforme alors que les hommes gagnent déjà mieux leur vie », développe-t-elle quand on amorce la conversation. La dernière fois, celle qui est depuis peu accompagnante d'enfants en situation de handicap en CDD s'était rendue à la manifestation avec une pancarte là encore tournée vers les femmes, grandes perdantes de la réforme préparée par le gouvernement : « Ménage + grossesse + emploi = trois vies en une bien usantes. » En ce qui la concerne, Claudie ne saurait dire quand elle pourra partir et avec quel montant de pension. « Là, j'ai besoin de gagner des trimestres parce que j'ai fait des études, j'ai commencé tard, j'ai fait du temps partiel, énumère-t-elle. Je vais tenir autant que je peux. J'ai fait une simulation mais il faut que je la refasse parce que c'est compliqué avec au moins trois caisses de retraite différentes. » Et d'indiquer que, pour elle, une retraite acceptable correspondrait au Smic : « En-dessous, c'est de la survie, c'est pas une vie. »
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Défendre des principes d'égalité
Alors qu'un « pink bloc » LGBT entonne un joyeux « même si Macron ne veut pas nous on est là, pour l'honneur des travailleurs et pour une retraite heureuse » en marchant direction place d'Italie, le point d'arrivée de la manifestation, on tombe sur un jeune homme en robe d'avocat, qui préfère passer le relais de l'interview à ses consœurs de l'Union des jeunes avocats (UJA) quand il apprend que c'est pour Causette. Anne-Laure Casado, 36 ans et présidente du syndicat et Olivia Roche, 32 ans et vice-présidente, toutes deux membres du barreau de Paris, nous expliquent être là pour défendre « les principes d'égalité de l'UJA, remis en question par cette réforme qui sanctionne les femmes avant tout, quelle que soit leur profession ».
Sans savoir encore si le régime autonome des avocat·es disparaîtra avec la réforme, vu les allers-retours des amendements sur le sujet, Anne-Laure Casado et Olivia Roche expliquent qu'a priori, l'allongement de la durée de cotisation et le recul de l'âge légal concerneront tout de même la profession. « Au sein de la profession comme ailleurs, ce sont les avocates qui sont pénalisées par la parentalité en ce qu'elles voient leurs carrières hachées », observe Olivia Roche. Face à l'inflexibilité du gouvernement, Anne-Laure Casado affirme garder « l'espoir que néanmoins, il finisse par entendre ce que la rue a à lui dire ».
« Il faut se battre pour nos acquis sociaux, qui doivent être préservés pour nos enfants. »
Marie François, conseillère municipale déléguée à la Culture et au Patrimoine de Chevilly-Larue dans le Val-de-Marne
Même optimisme chez Marie François, conseillère municipale déléguée à la Culture et au Patrimoine de Chevilly-Larue dans le Val-de-Marne, venue avec conjoint et enfants. « La mobilisation est très forte, il y a beaucoup de personnes qui ne sont pas habituées des manifs, je pense qu'Emmanuel Macron ne peut que nous entendre… Même si ça me pose question qu'il ne soit jamais en France lors des journées de mobilisation [le président finit actuellement une tournée de visites en Afrique, ndlr]. » L'élue du Parti communiste vise le renoncement du gouvernement à la réforme mais puisque « cela semble un peu utopique » ne ferme pas la porte à « d'autres formes de négociations ». En jetant un œil aux trois enfants qui l'accompagne, grève dans les crèches et les écoles oblige, elle soupire : « Il faut se battre pour nos acquis sociaux, qui doivent être préservés pour nos enfants. »
Claudie A droite : Anne-Laure Casado et Olivia Roche L'élue Marie François en famille et entre amis
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