Céline, infir­mière en psy­chia­trie : « Mon quo­ti­dien, c’est jon­gler en avan­çant sur un fil »

Céline, 37 ans, est infir­mière depuis dix ans. Après plu­sieurs années en ser­vice de psy­chia­trie, elle tra­vaille au sein d’un foyer de post­cure à Paris. Cette struc­ture publique, à che­val entre l’hospitalisation com­plète et le monde exté­rieur,
aide les patient·es à retrou­ver leur rythme.

110 infirmiere camille besse 1
© Camille Besse

« Les dix-​huit patients, hommes et femmes, qui séjournent ici sortent tous “d’intra”, selon notre jar­gon, c’est-à-dire qu’avant d’arriver ici, ils ont été hos­pi­ta­li­sés pour des patho­lo­gies psy­chia­triques diverses (­schi­zo­phré­nie, troubles bipo­laires…). Nous, on inter­vient une fois la crise pas­sée et la mala­die en voie de sta­bi­li­sa­tion. C’est tou­jours l’hôpital même si, vu de l’exté­rieur, notre immeuble moderne ne res­semble pas à un ser­vice hospitalier.

Quand je suis du matin, je com­mence à 6 h 45, je prends le relais des col­lègues de nuit. Autour de 7 h 30, avec l’équipe de jour, qui compte entre deux et six per­sonnes selon les moments de la jour­née, dont des infir­miers et infir­mières, des aides médico-​psychologiques et des édu­ca­teurs et édu­ca­trices, on réveille les patients. Nous, les infir­miers et infir­mières, on est neuf le jour et trois la nuit à se relayer, avec des vaca­tions de douze heures pour l’équipe de jour. On n’est pas trop mal loti en termes d’effectif, mais ça n’est pas comme ça partout !

Parfois, le matin, il faut pas­ser trois fois dans la chambre des patients pour leur dire de se lever. Ce matin, une dame avait du mal à émer­ger. Avec une mala­die psy­chique, sor­tir du lit, c’est par­fois une mon­tagne. Je ne savais pas quoi faire. Une col­lègue m’a conseillé de res­ter jusqu’à ce qu’elle ouvre un œil pour la ras­su­rer. J’essaierai la pro­chaine fois. Il faut fixer un cadre et rap­pe­ler les règles d’hygiène de base en per­ma­nence. Les patients ne sont pas moins propres que la moyenne, mais leur rap­port au corps est alté­ré. Quand on est fra­gi­li­sé psy­chi­que­ment, une simple douche peut être une agression. 

Mon quo­ti­dien, c’est jon­gler en avan­çant sur un fil. Ça a l’air bizarre comme image, mais c’est le propre de la psy­chia­trie : l’adaptation per­ma­nente pour main­te­nir une forme de sta­bi­li­té. Tout peut chan­ger brus­que­ment. Notre but, c’est de les aider à ­retrou­ver des repères et un pro­jet de vie à l’extérieur. On est le camp de base où dor­mir, mais la jour­née, ils sont libres de sor­tir. Certains tra­vaillent dans un Esat (éta­blis­se­ment et ser­vice d’aide par le tra­vail) en blan­chis­se­rie ou en logis­tique. D’autres retournent à la fac ou se forment. La durée maxi­male de séjour chez nous ne dépasse pas dix-​huit mois. Les patients les plus auto­nomes peuvent espé­rer conser­ver leur loge­ment, donc l’assistante sociale du foyer les aide à faire une demande d’allocation adultes han­di­ca­pés (AAH) pour s’en sor­tir finan­ciè­re­ment. Quand vivre seul leur est impos­sible, on les oriente vers des appar­te­ments thé­ra­peu­tiques ou vers un autre foyer.

Une fois que les médi­ca­ments sont dis­tri­bués et que le petit déjeu­ner est pris dans la salle com­mune, je les aide à s’organiser. Je les inter­roge sur leur emploi du temps, leurs rendez-​vous, le temps de tra­jet… Ça paraît ano­din, mais ça ne l’est pas. Tout à l’heure, j’ai vu qu’un des patients angois­sait à l’idée de prendre le métro, même accom­pa­gné d’un soi­gnant, pour se rendre dans un centre de san­té. On lui a pro­po­sé d’aller dans un cabi­net plus proche pour limi­ter le stress du tra­jet. Ça a sem­blé l’apaiser. J’ai la tête rem­plie de détails sur cha­cun des patients. Parfois, je me sou­viens plus de leurs rendez-​vous que des miens ! 

Les contrôles médi­caux sont nom­breux, car des mani­fes­ta­tions physi­ques peuvent s’ajouter à la mala­die psy­chique : baisse de la vision, troubles diges­tifs, ten­sions mus­cu­laires. Il faut prendre en compte la dou­leur et la déco­der en per­ma­nence, car elle signi­fie tou­jours quelque chose. Un patient qui a mal aux dents et ne par­vient pas à le ver­ba­li­ser peut piquer une énorme crise de colère ; une per­sonne très angois­sée peut avoir des dou­leurs dans la poi­trine comme si elle fai­sait un infarctus.

Tout ce sui­vi génère une pape­rasse colos­sale ! Je dois ras­sem­bler les ordon­nances et les résul­tats d’analyse pour les trans­mettre à leurs méde­cins qui ne sont pas au foyer. On a juste un psy­chiatre qui vient la moi­tié de la semaine. Je rédige aus­si plu­sieurs trans­mis­sions* quo­ti­diennes pour l’équipe. Ce n’est pas la meilleure par­tie du bou­lot, mais elle est indispensable.

Ce que j’aime en psy­chia­trie, c’est qu’il n’y a pas de faux-​semblants. Il faut être au clair avec soi-​même pour bos­ser ici, car les patients sont hyper cash. Il y en a un qui réagit au quart de tour dès que je lui parle. Je l’agace et il m’envoie bala­der, mais je ne le prends pas per­son­nel­le­ment. Enfin, j’essaie ! Il faut accep­ter d’être le mau­vais objet, la figure qui cris­tal­lise la colère, même si, par­fois, c’est très dur de se le prendre en pleine figure. Quand ça va trop loin, je recadre. Selon les patho­lo­gies ou le pas­sé des patients – cer­tains ont connu des épi­sodes de vio­lence –, je prends davan­tage de pré­cau­tions. Je n’ai pas peur au quo­ti­dien, je pense peu au dan­ger. Sauf quand il y a des piqûres de rap­pel. L’été der­nier, un patient a mis le feu à sa chambre en plein après-​midi et sans signe avant-​coureur. Depuis, trois des vingt-​quatre lits du foyer sont condam­nés. En février, j’ai enten­du aux infos qu’une infir­mière psy­chia­trique avait été tuée dans les Deux-​Sèvres. Dans ces moments-​là, on repense au contexte par­ti­cu­lier dans lequel on évo­lue. Mais ça ne dure pas et j’essaie d’en par­ler avec mes col­lègues. On vit aus­si des petits moments de grâce. Hier soir, un patient très angois­sé quelques heures plus tôt est pas­sé devant le bureau des soi­gnants. Il allait mieux et a vou­lu mettre une chan­son : Un autre monde, de Téléphone. Tout a sem­blé plus léger d’un coup. » 

* Il s’agit de docu­ments écrits pour trans­mettre les consignes aux dif­fé­rentes équipes dans le but d’assurer la conti­nui­té des soins.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.