photo Tracy 1
© En Avant toutes

“Ceci n’est pas un mes­sage d’amour”, la nou­velle cam­pagne qui visi­bi­lise les vio­lences conju­gales chez les ados

L’association En avant toutes vient de lan­cer sa nou­velle cam­pagne de sen­si­bi­li­sa­tion sur les vio­lences conju­gales à des­ti­na­tion des ados. Un public mas­si­ve­ment tou­ché, mais qui reste hors des radars des struc­tures d’accueil clas­siques. On fait le point avec Aurélie Garnier-​Brun, direc­trice du déve­lop­pe­ment et de la com­mu­ni­ca­tion d’En avant toutes.

Causette : Pourquoi avoir fait le choix de vous adres­ser plus spé­ci­fi­que­ment aux ado­les­centes et aux jeunes femmes ?
Aurélie Garnier-​Brun : Avec En avant toutes, on a mon­té Commentonsaime.fr, un tchat d’accompagnement des per­sonnes vic­times de vio­lences géré par des professionel·les salarié·es de notre asso­cia­tion. La rai­son pour laquelle on a déci­dé de créer cet outil, c’est parce qu’on a déci­dé de cibler les jeunes femmes. Au moment de la créa­tion du tchat, on a fait une étude de ter­rain autour de dif­fé­rentes struc­tures et elles ont toutes dit la même chose : les jeunes sont sur­re­pré­sen­tées par­mi les vic­times de vio­lences et, pour autant, elles ne se tournent pas vers les struc­tures et les ins­ti­tu­tions exis­tantes. On estime aujourd’hui, d’après l’enquête Enveff*, qu’une jeune femme sur sept vit des vio­lences au sein du couple, pour une femme sur dix tous âges confon­dus. Ce sont des publics qui sont par­ti­cu­liè­re­ment vul­né­rables et par­ti­cu­liè­re­ment isolés. 

Pourquoi ne se tournent-​elles pas vers des asso­cia­tions ou struc­tures exis­tantes ?
A. G.-B. : L’une des rai­sons, c’est que les cam­pagnes clas­siques ne leur res­semblent pas for­cé­ment. Dans notre ima­gi­naire col­lec­tif, quand on pense à une femme vic­time de vio­lences, on a tous et toutes en tête l’image un peu cli­chée d’une femme bat­tue qui serait qua­dra­gé­naire, mariée, avec enfants, dans une mai­son pavillon­naire en ban­lieue, avec le visage cou­vert de bleus. Les vio­lences, c’est évi­dem­ment ça, mais pas seule­ment. Donc, l’enjeu de cette cam­pagne, c’était aus­si de chan­ger les repré­sen­ta­tions qu’on peut avoir sur les vio­lences conju­gales, à plein de niveaux. Et l’une de celles qu’on vou­lait chan­ger, c’était le fait qu’on peut vivre des vio­lences quand on est jeune.

Aviez-​vous déjà mené des cam­pagnes à des­ti­na­tion des ado­les­centes et des jeunes femmes ?
A. G.-B. : Oui, ça fait quatre ans qu’on sort des cam­pagnes sur ce sujet. L’an der­nier, c’était “Donnons le meilleur”, qui s’adressait direc­te­ment aux parents et jouait sur le contraste entre l’image qu’ils pou­vaient avoir de la rela­tion de leur fille ver­sus ce qu’il s’y pas­sait en réa­li­té. Dans toutes nos cam­pagnes, dont “Ceci n’est pas un mes­sage d’amour”, on aime bien décons­truire des notions pré­con­çues qu’on peut avoir autour de l’amour, en recon­si­dé­rant tout ce qui peut être consi­dé­ré comme “roman­tique”. On a lan­cé cette cam­pagne avec Amours soli­taires, le compte Instagram de Morgane Ortin, qui a envi­ron 800 000 abonné·es et qui plaît aux jeunes. On avait com­men­cé pen­dant le confi­ne­ment, et on avait repris des tex­tos qui pou­vaient, sous cou­vert d’amour pas­sion­né, être des mes­sages vio­lents : “Je peux pas vivre sans toi”, “Si tu me quittes, je me sui­cide”, “Dis-​moi avec qui tu es”, “Je veux plus que tu aies des potes gar­çons”, “Envoie-​moi un nude… L’idée, c’était de reprendre ces décla­ra­tions “pas­sion­nées” pour décons­truire avec Morgane Ortin et sa com­mu­nau­té les vio­lences qui pour­raient se cacher der­rière. Ce qui per­met aus­si d’atteindre une cible de jeunes très por­tées sur les ques­tions d’amour, de couple, de rela­tions. L’enjeu, c’est aus­si d’arriver à ce qu’on repense, col­lec­ti­ve­ment, ce qui est roman­tique et ce qui relève de la violence. 

Quelles formes prennent les vio­lences conju­gales chez les adolescent·es et les jeunes adultes ? 

A. G.-B. : On a fait une étude sur notre tchat en com­pa­rant ce que pou­vaient vivre les dif­fé­rentes tranches d’âge. Et ce qu’on a pu voir, c’est que les moins de 25 ans vivent plus de cyber­vio­lences et de vio­lences sexuelles que leurs aînées qui, elles, vont davan­tage vivre des vio­lences phy­siques, ver­bales, admi­nis­tra­tives, éco­no­miques, etc. Dans cet ima­gi­naire à défaire, il y a donc un enjeu sur ce que sont les vio­lences : pas seule­ment un coup, des bleus ou du sang, mais aus­si plein de choses qui, aujourd’hui, ne sont pas consi­dé­rées comme telles et qui pour­tant le sont. Par cette cam­pagne, on a aus­si vou­lu visi­bi­li­ser la ques­tion des cyber­vio­lences, qui sont un type de vio­lences. Ce qui est inté­res­sant, c’est que l’espace cyber est aus­si une nou­velle façon d’exercer ces vio­lences. On peut sou­vent avoir le dis­cours : “C’est la faute des jeunes, des réseaux sociaux, de TikTok, des filles qui envoient des pho­tos d’elles nues”, etc. En fait, pas du tout : le numé­rique ne crée pas de vio­lences, mais une per­sonne vio­lente a accès à un nou­vel espace pour exer­cer ces violences.

Vers qui peuvent se tour­ner ces jeunes victimes ?

A. G.-B. : Notre tchat a vrai­ment été créé pour ça, pour qu’il puisse par­ler aux jeunes, avec une équipe de professionel·les salarié·es. C’est l’un des prin­ci­paux outils natio­naux, fait sur mesure pour les spé­ci­fi­ci­tés de ce public. Aujourd’hui, il est ouvert du lun­di au mer­cre­di de 10 heures à minuit, et les jeu­dis et ven­dre­dis de 10 heures à 21 heures. Et on tra­vaille à ce qu’il soit ouvert de plus en plus tard, parce qu’on sait que les besoins sont là. D’ailleurs, cette cam­pagne n’est pas qu’un outil de sen­si­bi­li­sa­tion, c’est aus­si une cam­pagne d’appel aux dons et à la géné­ro­si­té. Car on a besoin du sou­tien du grand public pour pou­voir ren­for­cer nos actions et étendre, à terme, les horaires d’ouverture de notre tchat. Sans les dons du public, on ne peut rien faire. Et on le voit : dès qu’on étend un peu les horaires, il y a du monde qui vient. Aujourd’hui, sur le tchat, on arrive à accom­pa­gner 6 000 à 7 000 jeunes par an. Mais com­pa­ré à l’ampleur des besoins, ce n’est rien.

* Enquête natio­nale sur les vio­lences envers les femmes en France.

Lire aus­si I Aurélie Garnier-​Brun : “La grande majo­ri­té des vio­lences sexistes et sexuelles dans les Outre-​Mer sont tues ou ne vont pas jusqu’au judiciaire”

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.