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Aurélie Garnier-Brun

Aurélie Garnier-​Brun : « La grande majo­ri­té des vio­lences sexistes et sexuelles dans les Outre-​Mer sont tues ou ne vont pas jusqu'au judiciaire »

Dans un rapport publié mardi 11 juillet, l'association féministe En Avant Toutes montre que les violences sexistes et sexuelles sont plus nombreuses dans les territoires ultramarins que dans l'Hexagone. Aurélie Garnier-Brun, directrice du développement et du mécénat de l'association, explique à Causette l'objectif d'une telle étude et la situation sur le terrain des associations locales luttant contre les violences sexistes et sexuelles.

Causette : Qu'est ce qui vous a poussé à réaliser cette enquête ?
Aurélie Garnier-Brun : Notre association a monté, en 2016, le premier tchat commentonsaime.fr, pour accompagner les personnes victimes de violences sexistes et sexuelles. Avec lui, on a inventé la méthode de "l'écoute à l'écrit". On a choisi l'écrit pour ses nombreux avantages en terme d'anonymat et de facilitation de la parole, surtout pour des générations à l'aise avec le numérique. Pendant le confinement il y a eu une intensification des violences sexiste et sexuelles, et on a vu la fréquentation de notre tchat exploser. On a remarqué de nombreuses réponses venant de personnes vivant en Martinique.
Certaines personnes parvenaient à se confier beaucoup plus facilement grâce à l'écrit, la confidentialité et la sécurité que permet un dispositif en ligne. Cela nous a fait prendre la mesure de l'étendue des besoins et des spécificités de certains territoires d'outre-mer. Cependant, chacun d'entre eux est unique et c'était important de creuser leurs spécificités pour créer une extension du chat adaptée et pertinente.
Nous avons pris le temps d'étudier quels étaient les besoins et comment ils se manifestaient. Le rapport de 2017 du Conseil économique social et environnemental sur les Outre-Mer (CESE), montre que les taux de violence dans les Outre-Mer sont jusqu'à sept fois plus élevés qu'en Hexagone. Mais c'est compliqué d'avoir une approche uniquement quantitative. Ces chiffres concernent le judiciaire, les personnes qui ont fait la démarche de porter plainte, d'aller au tribunal ... c'est une petite partie de l'iceberg. La grande majorité des violences sont tues ou ne vont pas jusqu'au judiciaire. Nous avons donc recherché des informations qualitatives en interrogeant les expertes et experts locaux·ales, les associations et structures présentes sur les territoires.

Dans votre étude on remarque qu'il existe un facteur culturel qui diffère dans chaque territoire. Par exemple l'ancrage familial, qui pousserait certaines victimes à demeurer dans le domicile. Il y a aussi des facteurs géographiques. Comment les associations tentent d'y remédier ?
A.G-B : Certaines problématiques se retrouvent systématiquement sur les territoires d'outre-mer. Cependant, on sait que les violences sexistes et sexuelles sont un enjeu systémique qui se retrouve dans tous les pays du monde et trouve son origine, comme l'a dit Françoise Héritier, dans la domination masculine et les discriminations. L'idée ce n'est donc pas de stigmatiser les territoires mais de les comprendre et de déterminer les facteurs de vulnérabilité communs. Les violences sur ces différents territoires trouvent leur origine dans des causes historiques, comme la colonisation, ou des causes démographiques.
Il y a aussi un enjeu géographique pour la plupart des îles. Certains territoires sont enclavés, les personnes y sont isolées et auront beaucoup de difficultés à se tourner vers une structure. Le tchat permet de dépasser cet enjeu d'accessibilité. Dans les territoires enclavés, il y a un phénomène d'interconnaissance. C'est difficile de parler, de se rendre dans une association, de porter plainte... le policier peut être un ami du conjoint violent par exemple. On se préoccupe de la réputation de sa famille, on subit parfois des pressions. L'anonymat d'un tchat en ligne permet d'avoir accès à une première écoute en toute sécurité.

Il y a des communautés locales religieuses qui luttent contre les violences, comme en Polynésie française par exemple...
A.G-B : Effectivement, cela permet de créer des communautés très fortes. En Nouvelle Calédonie, l'association « Case juridique kanak » fait beaucoup de sensibilisation à ce propos. Ces associations sont des partenaires pertinents car leur ancrage local est fort et leur parole légitimée. Des initiatives, comme « La croix bleue » en Polynésie française, qui accompagne les auteurs de violences souffrant d'une dépendance à l'alcool dans leur démarche de guérison, sont des dispositifs qui fonctionnent bien car très adaptés aux pratiques locales. D'où l'importance de collaborer ensemble.

Est-ce que le manque de moyens alloués aux associations locales complique la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ?
A.G-B : Bien sûr. À La Réunion en 2002, une femme sur deux n'avait jamais parlé des violences qu'elle avait vécues. Aujourd'hui trois quarts des personnes victimes de violences sexistes et sexuelles en ont déjà parlé. Les choses bougent sur chacun de ces territoires mais cela crée également de gros besoins en accompagnement. Depuis le mouvement #MeToo, on parle beaucoup de la libération de la parole, nous, en tant qu'association, on milite aussi pour ce qui se passe une fois qu'on a parlé : l'accompagnement des victimes dans leur parcours de reconstruction et de sortie des violences sexistes et sexuelles. Depuis le Grenelle contre les violences de 2019, en Martinique, le nombre de places d'hébergement d'urgence a triplé. Pourtant, ces avancées positives restent insuffisantes face à l'ampleur des besoins. On déplore toujours, dans de nombreuses associations, un grand nombre de burnout et un turn-over important. En Guyane ou à Mayotte beaucoup de bénévoles sont par exemple des expatriés qui viennent de l'Hexagone.
Ces associations nous alerte régulièrement sur le manque de moyens, notamment sur la question des jeunes, notre cœur d'expertise. Pour les capter, il faut être sur les réseaux sociaux, faire des campagnes de communication spécifiques. Mais aujourd'hui, la moitié de ces associations n'ont même pas de de sites internet ou de page Facebook. Elles n'ont pas les moyens de créer des postes de communication et ne sont pas assez outillées pour mettre cela en place.

Il y a un vrai manque de structures pour les personnes LGBTQIA+. Comment s'explique selon vous cette situation ?
A.G-B : Il y a un tabou, qui s'il n'est pas propre aux territoires d'outre-mer y est plus fort qu'en métropole. Je pense notamment à l’île de la Réunion, où un centre d'hébergement à destination des personnes LGBTQIA+, a été incendié en février 2023. Horizon, une association LGBTQIA+ de l'île, a vu son nombre d'adhérents et d'adhérentes tripler ces dernières années, ce qui signifie aussi que la question est de plus en plus visible. Mais les rares associations LGBTQIA+ sur les territoires d'outre-mer nous ont aussi rapporté leur difficulté à recruter des bénévoles. Ça reste compliqué d'être identifié à la communauté queer et il existe très peu de chiffres sur les violences qu'elle subit

Mis à part le numérique et la prévention, quels moyens préconisez-vous pour rendre encore plus efficace la lutte contre les violences faites aux femmes dans ces territoires ?
A.G-B : Il faut renforcer les moyens des associations locales. Le bon fonctionnement du numéro 39 19 est aussi essentiel, il permet là encore une grande accessibilité et une sécurité rassurante. Il faut aussi renforcer les campagnes de communication et de sensibilisation autour de la prévention et sensibilisation des violences sur ces territoires.

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