Dans un rap­port, la dépu­tée Émilie Chandler pré­co­nise « des pôles spé­cia­li­sés dans les tri­bu­naux pour l’ensemble des vio­lences intrafamiliales »

La députée Renaissance du Val-d’Oise Émilie Chandler et la sénatrice Union centriste de l’Yonne Dominique Vérien ont remis officiellement leur rapport sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales, à la Première ministre Élisabeth Borne, ce lundi 22 mai. Une loi sera discutée avant l’été.

AN 2766512
La députée Renaissance du Val-d'Oise Émilie Chandler
à l'Assemblée nationale. ©DR

Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales en France. Tel était l’objectif de la mission parlementaire portée par la députée Renaissance du Val-d’Oise, Émilie Chandler, et la sénatrice Union centriste de l’Yonne, Dominique Vérien. Les deux élues viennent de remettre officiellement, ce lundi 22 mai, leur rapport à la Première ministre Élisabeth Borne, que Causette a pu consulter en exclusivité.

Fruit de six mois de travail et de centaines d’auditions, le rapport – qui comporte cinquante-neuf recommandations – ambitionne de faire de la lutte contre les violences intrafamiliales, « une politique publique homogène sur l’ensemble du territoire français ». Pour bâtir leurs recommandations, les élues ont fait le choix de reproduire le parcours d’une victime de violences intrafamiliales en auditionnant victimes, associations, corps médical, police et gendarmerie ainsi que tous et toutes les acteur·rices de la chaîne judiciaire. Pour compléter leur tableau, elles ont également auditionné des associations qui prennent en charge les auteurs de violences intrafamiliales.

Fortes de ces entretiens, Émilie Chandler et Dominique Vérien ont rendu un pré-rapport en janvier dernier au gouvernement. Certaines des propositions émises dans ce document ont été reprises dans leur intégralité dans le plan Égalité, présenté par la Première ministre en mars dernier. Parmi elles, la création de pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales notamment – bien que, dans un premier temps de communication, Élisabeth Borne a créé la confusion en évoquant des pôles spécialisés dans les seules violences conjugales. Entretien avec la députée Émilie Chandler qui détaille à Causette les principales recommandations du rapport. 

Causette : Vous avez officiellement remis votre rapport à la Première ministre Élisabeth Borne. Que va-t-il se passer maintenant ? 
Émilie Chandler : Ce qu’on sait, c’est qu’il y aura une loi avant l’été, conformément au souhait d’Emmanuel Macron. La Première ministre Élisabeth Borne, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti et la ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Isabelle Lonvis-Rome, vont désormais examiner nos recommandations afin de déterminer ce qui relève du réglementaire et ce qui relève du législatif. Pour tout ce qui concerne le règlement, nous n’aurons pas la main dessus. En revanche, pour ce qui relève du législatif, on devrait s’orienter vers une proposition de loi ou un projet de loi sur les violences intrafamiliales avant l’été. Peut-être que cela sera début septembre, mais on sera fixé auparavant sur l’orientation du texte. Le président a assuré qu’il fallait que ce soit rapide. L’urgence, c’est de ne plus avoir de féminicides. 

« Nous devons améliorer le traitement judiciaire en tant que tel pour accélérer les procédures, notamment avec la création des pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales au sein des juridictions »

En tout, vous avez mené plus de trois cents entretiens. Qu’est-ce qui en est ressorti ? 
E. C. : Le premier constat, c’est qu’il faut vraiment faire de cette cause une politique publique homogène sur tout le territoire français. Deuxièmement, il faut qu’il y ait davantage de formation et de montée en compétence de tous les types de professionnels sur le sujet des violences intrafamiliales. Troisièmement, nous devons améliorer le traitement judiciaire en tant que tel, pour accélérer les procédures, notamment avec la création des pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales au sein des juridictions.

Au cours de ces six mois, vous vous êtes déplacées en Espagne, pays régulièrement présenté comme modèle en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Il était d’ailleurs question, au départ, de créer des tribunaux spécialisés calqués sur le modèle espagnol. Élisabeth Borne a pourtant annoncé, le 8 mars, la création de deux cents pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales au sein des tribunaux. Pourquoi avoir retenu des pôles et non des tribunaux ?  
E. C. : Il faut savoir qu’en Espagne, les tribunaux spécialisés dans les violences conjugales traitent exclusivement des affaires pénales et civiles concernant les violences commises sur des femmes dans un couple hétérosexuel. Si l’affaire concerne un couple lesbien ou gay, ou si la victime est un homme, elle sera jugée par le tribunal correctionnel de droits communs. Dans le cadre espagnol, on protège donc uniquement les femmes dans les couples hétérosexuels, ce qui pose, selon moi, quand même une difficulté. Je suis aussi persuadée qu’il n’y a pas besoin d’un tribunal judiciaire spécialisé pour avoir une meilleure organisation et une justice plus rapide. Ce qu’il faut, c’est une meilleure communication et une meilleure coordination entre les acteurs. 

« En Espagne, il a fallu attendre sept ans pour que le dispositif du bracelet anti-rapprochement fonctionne »

Comment s’organiseront ces pôles spécialisés ? Les juges s’occuperont seulement des dossiers de violences intrafamiliales ? 
E. C. : Nous préconisons un pôle spécialisé au sein de chaque tribunal judiciaire, mais aussi de chaque cour d’appel qui traitera à la fois des violences conjugales et des violences faites aux enfants. Dedans, l’ensemble des juges (pénal, application des peines, tutelles, affaires familiales) seraient regroupés au sein d’un comité de pilotage. En ce qui concerne la spécialisation des juges, cela dépendra sans doute de la taille de la juridiction. Il y a des petites juridictions où on a très peu de magistrats. Dans ces cas-là, on peut imaginer que ces derniers feront un peu autre chose. Dans les juridictions plus importantes avec beaucoup de magistrats, là, il pourrait y en avoir qui ne font que ça. Mais nous voulons qu’ils consacrent leur activité principale à la lutte contre les violences intrafamiliales, même s’ils font parfois autre chose à côté. Ils seront également appuyés par des juristes assistants. 

Sur le terrain, les dysfonctionnements des dispositifs tels que les bracelets anti-rapprochement ou les téléphones graves dangers sont régulièrement pointés et remontés dans le cadre des affaires de violences conjugales. Comment expliquez-vous ces manquements ? 
E. C. : Une amélioration des dispositifs est actuellement en cours parce qu’effectivement, il faut les moderniser. Ensuite, il y a eu des dysfonctionnements, car il y a des choses qu’on ne peut pas forcément maîtriser. Par exemple, vous habitez à Paris et vous portez un bracelet anti-rapprochement. Avec les métros ou les transports en commun, vous êtes forcément dans la zone, donc ça va se déclencher de manière intempestive. Ce n’est pas toujours le dispositif le plus adapté, à cause de la densité de la population et des transports. En Espagne, il a fallu attendre sept ans pour que le système fonctionne correctement. 

« Nous voulons renforcer la formation de tous les professionnels intervenant dans le traitement des violences familiales »

L’objectif de votre mission parlementaire est d’améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Vous émettez aussi des recommandations sur l’amélioration du traitement des plaintes ou encore l’accueil des victimes de violences dans les commissariats. Pourquoi avoir lié les deux ? 
E. C. : La mission était très vaste, car on a pris le parti de suivre le parcours de la victime, de la libération de la parole à la condamnation de l’auteur et sa prise en charge, on passe forcément aussi par le dépôt de la plainte. 

Sur ce point justement, en ce qui concerne notamment les plaintes pour violences conjugales, de nombreux dysfonctionnements sont régulièrement pointés, en témoigne par exemple la tentative de féminicide sur Chloé à Blois en décembre 2022, qui s’était vue refuser sa plainte deux heures avant sa violente agression. Ou encore les féminicides en mars dernier de Catherine et Fatiha, qui ont de nouveau mis en lumière les défaillances des forces de l’ordre dans le traitement des plaintes pour violences conjugales.
E. C. : Il y a des féminicides où il n’y avait aucun signe avant-coureur pour lesquels il est très difficile d’intervenir en amont. Et puis il y a ceux, en effet, où il y avait des signes avant-coureurs. Nous proposons d’intégrer les critères du contrôle coercitif au sein de la grille d’évaluation du danger qui comporte des questions que le gendarme ou le policier doit poser à la victime de violences. L’une de nos recommandations concerne aussi le renforcement des formations initiales et continues à l’accueil et à l’accompagnement des victimes pour les policiers et les gendarmes. Plus largement, nous voulons renforcer la formation de tous les professionnels intervenant dans le traitement des violences familiales.

« Les trous dans la raquette sont à chaque fois le résultat d’un manque d’informations au moment où les signaux sont constatés »

Parmi les mesures annoncées par Élisabeth Borne en mars figure la création d’un fichier national des auteurs de violences qui permettra de connaître leurs antécédents judiciaires en croisant les fichiers des ministères de l’Intérieur et de la Justice. Ce fichier permettra, selon vous, d’éviter ces dysfonctionnements ? 
E. C. :
Oui, si l’information circule mieux et rapidement entre les différents professionnels (police, gendarmerie et justice) on est meilleurs parce qu’on évite les trous dans la raquette. Le fichier permettra aussi de connaître en temps réel une information sur un auteur n’importe où sur le territoire. C’est essentiel parce que ces trous dans la raquette sont à chaque fois le résultat d’un manque d’informations au moment où les signaux sont constatés. 

Pourtant, la création de ce fichier avait déjà été annoncée par Jean Castex alors qu’il était Premier ministre après la publication, en 2021, d’un rapport qui pointait les défaillances qui ont précédé le féminicide de Chahinez Daoud brûlée vive en mai de la même année. Pourquoi tant de lenteur ? 
E. C. : Je dirais que c’est difficile à mettre en œuvre. Il existe déjà plusieurs fichiers judiciaires sur le territoire. Il faut les centraliser et tout cela est très complexe techniquement. À la fin de cette année, un premier portail sera opérationnel pour les autorités police-gendarmerie. La mise en place du fichier national accessible à la justice prendra ensuite un peu plus de temps. 

« La prise en charge carcérale des auteurs de violences intrafamiliales n’est pas toujours adaptée »

Dans votre rapport, vous recommandez aussi des campagnes de prévention à l’attention des auteurs de violences conjugales. Vous pensez aussi à leur prise en charge ? 
E. C. : Oui parce que tant qu’on ne traitera pas correctement le sujet des auteurs, on ne s’en sortira pas. On souhaite harmoniser la prise en charge des auteurs de violences conjugales, car actuellement résident de fortes disparités de prise en charge au niveau du territoire. Il faut également réfléchir à la sanction. Est-ce que la prison est toujours la meilleure réponse ? On a aujourd’hui un auteur de violences conjugales sur deux qui récidive après sa sortie de prison. Ce n’est plus acceptable et cela veut dire que la prise en charge carcérale n’est pas toujours adaptée. Pour certains, ça marche et pour d’autres, non. De la même manière, une femme sur deux victimes de violences se retrouvera à nouveau avec un compagnon violent. Il y a là aussi un gros travail à faire sur leur accompagnement [Isabelle Rome a annoncé la mise en place d’un pack nouveau départ en septembre. Il a été mis en place de façon expérimentale en mars dernier. Émilie Chandler nous a précisé ne pas avoir, pour l’heure, de retour du terrain, ndlr]

 « On veut que l’avocat puisse accompagner la victime dès le dépôt de plainte, même lorsque cette dernière n’a pas de moyens »

Dans le cadre des violences faites aux femmes, on sait que le parcours judiciaire peut être un véritable gouffre financier pour les victimes. Vous proposez une indemnisation de l’avocat·e. Comment cela va concrètement se mettre en place ? 
E.C. : On veut que l’avocat puisse accompagner la victime dès le dépôt de plainte, même lorsque cette dernière n’a pas de moyens. Actuellement, un avocat peut être présent au moment du dépôt de plainte. Sauf quand la victime n’a pas les revenus suffisants, là, il ne peut pas intervenir au titre de l’aide juridictionnelle, car ce n’est pas prévu dans la prise en charge des personnes majeures. Pour les mineurs, cet accompagnement est automatique. On souhaite que cela soit le cas aussi pour les victimes majeures de violences intrafamiliales. 

Dans votre rapport, vous proposez d’attribuer la qualité de pupille de la République aux enfants mineur·es victimes par ricochet d'un homicide conjugal. 
E.C. : Un enfant qui vient de perdre sa mère, tuée par son père, se retrouve sans rien. Il est déjà traumatisé, mais si en plus on ne lui donne pas un coup de main, une aide, pour au moins intégrer par exemple un internat d’excellence ou lui offrir un accompagnement psychologique renforcé, alors, l’État passera à côté de ce qu’il lui doit. 

Votre dernière recommandation concerne la création d’un observatoire des violences intrafamiliales dans chaque département. 
E. C. : C’est essentiel. Aujourd’hui, ça n’existe pas dans la lutte contre les violences intrafamiliales. Ces observatoires nous permettront de centraliser toutes les données sur le traitement judiciaire de ces violences collectées sur le territoire. Elles seront ensuite croisées au niveau national sur le modèle de ce qui se fait pour la Protection de l’enfance. Ça permettra de voir les bonnes pratiques mais aussi les dysfonctionnements. De voir aussi comment les acteurs travaillent ensemble au niveau des départements.  

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