Alors que la mission parlementaire sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales n’a pas encore rendu ses conclusions définitives, la première ministre Élisabeth Borne a annoncé à la veille du 8 mars, la mise en place de 200 « pôles spécialisés » dans les violences conjugales au sein des tribunaux afin de « répondre globalement aux difficultés que rencontrent les femmes victimes de violences ».
« Avoir une réponse complète pour ces femmes victimes de violences ». Après le lancement la semaine dernière de l’expérimentation du « pack nouveau départ » par la ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Isabelle Lonvis-Rome, la première ministre Élisabeth Borne a annoncé – à deux jours du 8 mars – la mise en place de « pôles spécialisés » dans les violences conjugales au sein des tribunaux. « On va mettre en place des pôles spécialisés dans chaque tribunal pour pouvoir mieux traiter ces violences conjugales, pour pouvoir aussi répondre globalement aux difficultés que rencontrent les femmes victimes de violences », a détaillé la première ministre lundi soir sur le plateau de l’émission C à vous sur France 5.
Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait pris l’engagement « de mettre en place un pôle juridictionnel spécialisé ». Il ne s’agira pas de tribunaux spécialisés calqués sur le modèle espagnol mais de pôles spécialisés au sein des tribunaux, a précisé la première ministre qui a reçu les premières conclusions de la mission parlementaire sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Cette dernière avait été confiée à la députée Émilie Chandler (Val d’Oise, Renaissance) et à la sénatrice Dominique Vérien (Yonne, UDI) en septembre dernier.
Interrogée par Causette en novembre 2022, sur la création de tribunaux spécialisés dans le traitement des violences conjugales, Isabelle Lonvis-Rome affirmait de son côté être « très attachée à la notion de spécialisation des forces de l’ordre et des acteurs judiciaires sur les violences intrafamiliales », tout en déclarant à l’époque attendre « de voir ce que conclut la mission [parlementaire, ndlr] dont l’objet est de faire le bilan du traitement judiciaire » des violences conjugales.
Interviewée par Public Sénat fin février, la sénatrice Dominique Vérien estimait de son côté que les dispositions espagnoles – qui font figure de modèle dans la lutte contre les violences conjugales pour les militantes féministes – seraient difficilement adaptables en France. « A Madrid, vous avez un tribunal qui, à tous les étages, traite de violences intrafamiliales, avec des procureurs, magistrats, policiers, psychologues, médecins légistes… Et comme ils n’ont pas les moyens de multiplier ce modèle, dans les autres juridictions vous avez un procureur et un juge dédiés, mais ils ne traitent pas que d’affaires de violences intrafamiliales », expliquait-elle au retour d’un déplacement en Espagne.
Création de 200 pôles
Bien que la mission parlementaire ne rende ses travaux définitifs à la fin du mois, Élisabeth Borne a déjà dévoilé les premiers contours de sa mesure. En tout, 200 pôles seraient créés au sein des 164 tribunaux judiciaires et 36 cours d’appel, a précisé la première ministre à l’Agence France-Presse, rapporte franceinfo. Ces pôles traiteront les dossiers de violences intrafamiliales sur le plan civil et pénal, « avec un dossier unique et des audiences dédiées ». Concernant les moyens humains et financiers alloués à ces pôles, la première ministre a annoncé le recrutement de magistrat·es dédié·es en assurant sur le plateau de C à vous que « des moyens supplémentaires pourront être consacrés à ces pôles ». Élisabeth Borne n'a pas donné pour l’heure plus de précisions ni de date sur la création de ces pôles. « Il n’y aura pas de bâtiment dédié, mais au sein de chaque juridiction, une équipe rassemblant un procureur, un juge pénal, un juge aux affaires familiales, éventuellement un juge pour enfant. La nécessité de cette coordination entre civil et pénal, entre le procureur et le juge aux affaires familiales, est apparue lors de notre déplacement en Espagne », soulignait de son côté la sénatrice Dominique Vérien, auprès de Public Sénat fin février.
Réclamée de longue date, la création de ces pôles spécialisés a été saluée par les associations féministes. « Cette annonce est importante et amorce peut être enfin une réforme de la justice que nous appelions de nos vœux depuis longtemps. Nous avons hâte de voir comment ces pôles vont s’organiser et ce qu’ils revêtent en réalité et nous serons attentives à leur mise en place effective », a tweeté ainsi Anne-Cécile Mailfert, présidente et fondatrice de la Fondation des femmes. « Leur mise en place dans les départements est attendue et à suivre », a de son côté déclaré la Fédération nationale solidarité femmes sur Twitter.
Toujours dans l'objectif de mieux protéger les femmes victimes de violences conjugales, Élisabeth Borne a également annoncé le raccourcissement des délais d’ordonnance de protection immédiate. Cette dernière pourra être délivrée par le juge « en vingt-quatre heures » et « sans contradictoire si on pense qu’une femme est réellement en danger », a‑t-annoncé sur le plateau de C à vous. Pour l'heure, une victime de violences conjugales doit déposer une requête auprès du juge aux affaires familiales en vue de la délivrance d'une ordonnance de protection. Une procédure qui peut prendre plusieurs jours.
Une proposition de loi votée à l’Assemblée en décembre
En parallèle de la mission parlementaire, le député Les Républicains (LR) Aurélien Pradié s’était également saisi du traitement judiciaire des violences intrafamiliales. En décembre, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture et contre l’avis du gouvernement sa proposition de loi pour la création d’une juridiction spécialisée dans le traitement des violences intrafamiliales, sur le modèle de l’Espagne. Pour la ministre à l’Égalité, Isabelle Lonvis-Rome, présente dans l’hémicycle lors des débats, la PPL de Pradié constituait « une loi faite à la va-vite », et même « au rabais ». Le texte a depuis été transmis au Sénat, à majorité de droite.