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Chahinez Daoud © Capture d'écran

Féminicide de Chahinez Daoud : la famille attaque l’État pour faute lourde

L’avocat de la famille de Chahinez Daoud a annon­cé, ce ven­dre­di matin au micro de France Bleu, atta­quer l’État pour faute lourde. Il dénonce des « défaillances conster­nantes » dans le fémi­ni­cide de cette femme de 31 ans, brû­lée vive par son ex-​mari en mai 2021.

Au mois de mai pro­chain, le jeu­di 4 mai plus exac­te­ment, cela fera deux ans que Chahinez Daoud est morte. Cette femme de 31 ans, mère de trois enfants, a été bles­sée par balle par son ex-​mari avant qu’il l’immole par le feu en pleine rue à Mérignac en Gironde. Ce 39e fémi­ni­cide de l’année 2021 avait, pour la pre­mière fois, sou­le­vé une indi­gna­tion natio­nale quant aux man­que­ments de la police pour pro­té­ger les vic­times de vio­lences conjugales. 

Un rap­port acca­blant de vingt-​sept pages - dili­gen­té par les minis­tères de l’Intérieur et de la Justice et publié cinq semaines après son assas­si­nat – poin­tait en effet une impres­sion­nante série de dys­fonc­tion­ne­ment. Plus d’un an et demi après sa publi­ca­tion, l’avocat des parents de Chahinez Daoud, Julien Plouton, a annon­cé au micro de France Bleu Gironde, ce ven­dre­di 10 mars, le lan­ce­ment dans les pro­chains jours d'une pro­cé­dure en res­pon­sa­bi­li­té pour faute lourde contre l’État. L’avocat dénonce presque un an « d’erreurs, de défaillances conster­nantes et de négli­gences accu­mu­lées ».

La lita­nie prend ses racines en juin 2020 lorsque l’ex-mari de Chahinez Daoud, Mounir B., est condam­né pour des faits de vio­lences volon­taires com­mis sur cette der­nière en état de réci­dive légale, à une peine de dix-​huit mois de pri­son dont neuf avec sur­sis, avec man­dat de dépôt. Une peine éga­le­ment assor­tie d’une inter­dic­tion d’entrer en contact avec Chahinez Daoud. Pourtant, alors qu’il est incar­cé­ré, Mounir B. appelle très régu­liè­re­ment la jeune femme – jusqu’à quinze fois dans une même jour­née – et lui écrit une lettre de menaces dans laquelle il lui pro­met de reve­nir au domi­cile conju­gal dès sa sor­tie de pri­son, indique Me Plouton. Début août, Chahinez Daoud porte plainte pour har­cè­le­ment télé­pho­nique au com­mis­sa­riat de Bordeaux. Elle retire sa plainte dès le len­de­main mais selon la pro­cé­dure, la police doit infor­mer le par­quet du non-​respect d’obligation de la mesure d’éloignement. Elle ne le fera que le 10 décembre. Le par­quet classe la plainte sans suite sans en infor­mer ni le réfé­rent char­gé des vio­lences conju­gales au sein de la juri­dic­tion, ni le juge d’application des peines.

Deuxième dépôt de plainte 

Entre-​temps, Mounir B. a pu béné­fi­cier d’une mesure de pla­ce­ment exté­rieur quatre mois à peine après son incar­cé­ra­tion. Il est libé­ré le 9 décembre 2021 sous cer­taines condi­tions dont celles de ne pas entrer en contact avec Chahinez Daoud, de suivre une obli­ga­tion de soins et de se rendre à un rendez-​vous men­suel chez son conseiller péni­ten­tiaire. Ni Chahinez Daoud ni son avo­cate ne seront infor­mées de la sor­tie de Mounir B. Désormais et depuis le 1er février 2022, les auto­ri­tés doivent sys­té­ma­ti­que­ment aver­tir les vic­times de vio­lences conju­gales de la sor­tie de pri­son de leur conjoint violent.

Mounir B. res­pecte ses convo­ca­tions mais pas l’interdiction d’entrer en contact avec son épouse. À la mi-​mars, Chahinez porte plainte une nou­velle fois pour vio­lences, cette fois au com­mis­sa­riat de Mérignac, après une agres­sion vio­lente à la sor­tie du super­mar­ché où elle tra­vaille. En juillet 2021, deux mois après sa mort, Le Canard enchaî­né révèle que le poli­cier qui a pris sa plainte avait lui-​même été condam­né pour des vio­lences intra­fa­mi­liales trois mois aupa­ra­vant. Dans la fou­lée de cette plainte, Chahinez Daoud appelle la police pour sou­li­gner la ter­reur dans laquelle elle vit. Le rap­port inter­mi­nis­té­riel indique que la plainte pour vio­lences n’a pas été trans­mise au par­quet. Ne figure dans le cour­rier envoyé à celui-​ci par le poli­cier que la grille d’évaluation du dan­ger et la fiche d’évaluation des vic­times, mal rem­plies et par­tiel­le­ment illisibles. 

Lire aus­si I Près de 25 000 signa­tures pour la péti­tion deman­dant le recen­se­ment des poli­ciers et gen­darmes auteurs de vio­lences envers les femmes

Deux jours plus tard, Chahinez informe le com­mis­sa­riat de Mérignac que son ex-​mari s’est de nou­veau pré­sen­té chez elle, ain­si que devant son lieu de tra­vail. Il a éga­le­ment lais­sé plu­sieurs mes­sages sur son répon­deur. Les forces de l’ordre émettent alors, le 18 mars, un avis de recherche pour inter­pel­ler Mounir B. Pourtant, ce der­nier se rend à deux reprises à ses convo­ca­tions au Service péni­ten­tiaire d’insertion et de pro­ba­tion (SPIP) sans être inter­pel­lé. L’homme violent reste libre. Ce même jour, un comi­té de pilo­tage télé­phone grave dan­ger est orga­ni­sé à Bordeaux pour attri­buer ces dis­po­si­tifs d’alerte aux femmes vic­times de vio­lences conju­gales dans le sec­teur. À la demande du SPIP repré­sen­té lors de cette réunion, le nom de Chahinez Daoud est ajou­té à la liste des vic­times « à sur­veiller ». Mais aucun télé­phone ne lui sera attri­bué. Un mois et demi plus tard, Chahinez Daoud est brû­lée vive en pleine rue.

Une faute lourde de l’État

Tous ces man­que­ments attestent, pour l’avocat de la famille de Chahinez Daoud, d’une faute lourde de l’État. Si Me Plouton a pré­ci­sé à France Bleu Gironde récla­mer un mil­lion d’euros de dédom­ma­ge­ment, sa démarche se veut avant tout sym­bo­lique. Il sou­haite aler­ter sur les défaillances des forces de l’ordre et de la jus­tice dans le trai­te­ment des plaintes pour vio­lences conju­gales. « Malheureusement, l’actualité récente en Gironde [Le récent fémi­ni­cide Catherine tuée par son ex-​compagnon après qu’elle ait por­té plainte à deux reprises pour vio­lences conju­gales, ndlr] nous rap­pelle que mal­gré les efforts qui ont été entre­pris par le gou­ver­ne­ment, mal­gré des dota­tions en terme de maté­riel, il y a encore un tra­vail impor­tant à faire, notam­ment au niveau de la sen­si­bi­li­sa­tion des ser­vices d’enquête, sur la réac­ti­vi­té qu’il faut avoir dans ce genre de dos­sier, a affir­mé l’avocat au micro de France Bleu. On a l’impression que dans ce genre d'affaires, mal­gré les dis­cours, c’est un petit peu "tout change mais rien ne change"et mani­fes­te­ment, aujourd’hui, on n’a pas encore réus­si à endi­guer le phénomène. »

Lire aus­si I Féminicides : elles avaient por­té plainte, les forces de l'ordre ne les ont pas protégées

Depuis l’assassinat de Chahinez Daoud, Mounir B. a été mis en exa­men pour homi­cide volon­taire sur sa com­pagne. Son pro­cès n’a pas encore eu lieu. En jan­vier 2022, les six poli­ciers convo­qués en Conseil de dis­ci­pline pour leur res­pon­sa­bi­li­té dans le fémi­ni­cide de Chahinez Daoud avaient éco­pé de sanc­tions légères allant de l’avertissement à trois jours de sanc­tions avec sursis.

Depuis le mois de jan­vier 2023, le col­lec­tif fémi­niste Nous toutes a recen­sé vingt-​six fémi­ni­cides en France. Parmi eux, au moins deux vic­times avaient dépo­sé plainte pour vio­lences à l’encontre de leur com­pa­gnon ou ex-​compagnon. Pour « évi­ter ces situa­tions » de défaillances menant à des fémi­ni­cides, la pre­mière ministre Élisabeth Borne a annon­cé mer­cre­di – dans le cadre du Plan quin­quen­nal pour l’égalité entre les femmes et les hommes – la créa­tion d’un fichier d’auteur·trices de vio­lences intra­fa­mi­liales pour le mois de novembre, regrou­pant des infor­ma­tions des minis­tères de l’Intérieur et de la Justice. Ce fichier per­met­tra de connaître leurs anté­cé­dents de vio­lences intra­fa­mi­liales. En réa­li­té, la mesure avait été annon­cée en juin 2021 à la suite du rap­port acca­blant sur les défaillances en cas­cade ayant pré­cé­dé le fémi­ni­cide de Chahinez Daoud. Le pro­jet devrait donc enfin voir le jour dans les mois à venir.

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