Capture d’écran 2022 01 04 à 17.24.28
Chahinez Daoud © Capture d'écran

Féminicide de Chahinez Daoud : la famille attaque l’État pour faute lourde

L’avocat de la famille de Chahinez Daoud a annoncé, ce vendredi matin au micro de France Bleu, attaquer l’État pour faute lourde. Il dénonce des « défaillances consternantes » dans le féminicide de cette femme de 31 ans, brûlée vive par son ex-mari en mai 2021.

Au mois de mai prochain, le jeudi 4 mai plus exactement, cela fera deux ans que Chahinez Daoud est morte. Cette femme de 31 ans, mère de trois enfants, a été blessée par balle par son ex-mari avant qu’il l’immole par le feu en pleine rue à Mérignac en Gironde. Ce 39e féminicide de l’année 2021 avait, pour la première fois, soulevé une indignation nationale quant aux manquements de la police pour protéger les victimes de violences conjugales.

Un rapport accablant de vingt-sept pages - diligenté par les ministères de l’Intérieur et de la Justice et publié cinq semaines après son assassinat – pointait en effet une impressionnante série de dysfonctionnement. Plus d’un an et demi après sa publication, l’avocat des parents de Chahinez Daoud, Julien Plouton, a annoncé au micro de France Bleu Gironde, ce vendredi 10 mars, le lancement dans les prochains jours d'une procédure en responsabilité pour faute lourde contre l’État. L’avocat dénonce presque un an « d’erreurs, de défaillances consternantes et de négligences accumulées ».

La litanie prend ses racines en juin 2020 lorsque l’ex-mari de Chahinez Daoud, Mounir B., est condamné pour des faits de violences volontaires commis sur cette dernière en état de récidive légale, à une peine de dix-huit mois de prison dont neuf avec sursis, avec mandat de dépôt. Une peine également assortie d’une interdiction d’entrer en contact avec Chahinez Daoud. Pourtant, alors qu’il est incarcéré, Mounir B. appelle très régulièrement la jeune femme – jusqu’à quinze fois dans une même journée - et lui écrit une lettre de menaces dans laquelle il lui promet de revenir au domicile conjugal dès sa sortie de prison, indique Me Plouton. Début août, Chahinez Daoud porte plainte pour harcèlement téléphonique au commissariat de Bordeaux. Elle retire sa plainte dès le lendemain mais selon la procédure, la police doit informer le parquet du non-respect d’obligation de la mesure d’éloignement. Elle ne le fera que le 10 décembre. Le parquet classe la plainte sans suite sans en informer ni le référent chargé des violences conjugales au sein de la juridiction, ni le juge d’application des peines.

Deuxième dépôt de plainte 

Entre-temps, Mounir B. a pu bénéficier d’une mesure de placement extérieur quatre mois à peine après son incarcération. Il est libéré le 9 décembre 2021 sous certaines conditions dont celles de ne pas entrer en contact avec Chahinez Daoud, de suivre une obligation de soins et de se rendre à un rendez-vous mensuel chez son conseiller pénitentiaire. Ni Chahinez Daoud ni son avocate ne seront informées de la sortie de Mounir B. Désormais et depuis le 1er février 2022, les autorités doivent systématiquement avertir les victimes de violences conjugales de la sortie de prison de leur conjoint violent.

Mounir B. respecte ses convocations mais pas l’interdiction d’entrer en contact avec son épouse. À la mi-mars, Chahinez porte plainte une nouvelle fois pour violences, cette fois au commissariat de Mérignac, après une agression violente à la sortie du supermarché où elle travaille. En juillet 2021, deux mois après sa mort, Le Canard enchaîné révèle que le policier qui a pris sa plainte avait lui-même été condamné pour des violences intrafamiliales trois mois auparavant. Dans la foulée de cette plainte, Chahinez Daoud appelle la police pour souligner la terreur dans laquelle elle vit. Le rapport interministériel indique que la plainte pour violences n’a pas été transmise au parquet. Ne figure dans le courrier envoyé à celui-ci par le policier que la grille d’évaluation du danger et la fiche d’évaluation des victimes, mal remplies et partiellement illisibles.

Lire aussi I Près de 25 000 signatures pour la pétition demandant le recensement des policiers et gendarmes auteurs de violences envers les femmes

Deux jours plus tard, Chahinez informe le commissariat de Mérignac que son ex-mari s’est de nouveau présenté chez elle, ainsi que devant son lieu de travail. Il a également laissé plusieurs messages sur son répondeur. Les forces de l’ordre émettent alors, le 18 mars, un avis de recherche pour interpeller Mounir B. Pourtant, ce dernier se rend à deux reprises à ses convocations au Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) sans être interpellé. L’homme violent reste libre. Ce même jour, un comité de pilotage téléphone grave danger est organisé à Bordeaux pour attribuer ces dispositifs d’alerte aux femmes victimes de violences conjugales dans le secteur. À la demande du SPIP représenté lors de cette réunion, le nom de Chahinez Daoud est ajouté à la liste des victimes « à surveiller ». Mais aucun téléphone ne lui sera attribué. Un mois et demi plus tard, Chahinez Daoud est brûlée vive en pleine rue.

Une faute lourde de l’État

Tous ces manquements attestent, pour l’avocat de la famille de Chahinez Daoud, d’une faute lourde de l’État. Si Me Plouton a précisé à France Bleu Gironde réclamer un million d’euros de dédommagement, sa démarche se veut avant tout symbolique. Il souhaite alerter sur les défaillances des forces de l’ordre et de la justice dans le traitement des plaintes pour violences conjugales. « Malheureusement, l’actualité récente en Gironde [Le récent féminicide Catherine tuée par son ex-compagnon après qu’elle ait porté plainte à deux reprises pour violences conjugales, ndlr] nous rappelle que malgré les efforts qui ont été entrepris par le gouvernement, malgré des dotations en terme de matériel, il y a encore un travail important à faire, notamment au niveau de la sensibilisation des services d’enquête, sur la réactivité qu’il faut avoir dans ce genre de dossier, a affirmé l’avocat au micro de France Bleu. On a l’impression que dans ce genre d'affaires, malgré les discours, c’est un petit peu "tout change mais rien ne change"et manifestement, aujourd’hui, on n’a pas encore réussi à endiguer le phénomène. »

Lire aussi I Féminicides : elles avaient porté plainte, les forces de l'ordre ne les ont pas protégées

Depuis l’assassinat de Chahinez Daoud, Mounir B. a été mis en examen pour homicide volontaire sur sa compagne. Son procès n’a pas encore eu lieu. En janvier 2022, les six policiers convoqués en Conseil de discipline pour leur responsabilité dans le féminicide de Chahinez Daoud avaient écopé de sanctions légères allant de l’avertissement à trois jours de sanctions avec sursis.

Depuis le mois de janvier 2023, le collectif féministe Nous toutes a recensé vingt-six féminicides en France. Parmi eux, au moins deux victimes avaient déposé plainte pour violences à l’encontre de leur compagnon ou ex-compagnon. Pour « éviter ces situations » de défaillances menant à des féminicides, la première ministre Élisabeth Borne a annoncé mercredi – dans le cadre du Plan quinquennal pour l’égalité entre les femmes et les hommes – la création d’un fichier d’auteur·trices de violences intrafamiliales pour le mois de novembre, regroupant des informations des ministères de l’Intérieur et de la Justice. Ce fichier permettra de connaître leurs antécédents de violences intrafamiliales. En réalité, la mesure avait été annoncée en juin 2021 à la suite du rapport accablant sur les défaillances en cascade ayant précédé le féminicide de Chahinez Daoud. Le projet devrait donc enfin voir le jour dans les mois à venir.

Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.