L’enquête inédite « Femmes à abattre », dont le premier volet est publié ce mercredi 8 mars sur le site de Mediapart, décrypte le phénomène encore méconnu du « féminicide politique ».
Pour la première fois, une enquête journalistique se penche sur le phénomène des « féminicides politiques ». Ces élues, militantes, avocates, journalistes, médecins… tuées pour les causes qu’elles ont portées, pour les prises de positions qu’elles ont tenues ou encore pour les paroles publiques qu’elles ont prononcées. Le projet intitulé « Femmes à abattre », dont le premier volet est publié ce mercredi 8 mars sur le site de Mediapart à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes – est porté par une dizaine de journalistes indépendantes du collectif Youpress.
Ensemble et pendant trois ans, elles ont répertorié et analysé avec minutie 287 féminicides politiques dans 58 pays différents à travers le monde. Qu'est-ce qu'un féminicide politique ? « Crime invisible, l'assassinat politique genré consiste à tuer une femme pour la cause qu’elle défend mais aussi parce qu’elle est une femme », peut-on lire sur le site de Femmes à abattre. Pour les recenser, les journalistes ont identifié des spécificités communes comme des menaces avant la mort, des « violences sexuelles ante ou post mortem » on un « acharnement particulier », comme l'explique l'une d'elles, Sophie Boutboul, à franceinter.
Le collectif a ensuite rassemblés ces assassinats dans une base de données, « sur demande, des chercheurs et des ONG pourront prochainement y avoir accès », précise franceinter. Les journalistes ont également interrogé des expert·es, des avocat·es, des survivant·es et des proches de victimes pour décrypter le mécanisme du féminicide politique, « pour comprendre cette mécanique de “silenciation” ultime », écrivent-elles dans Mediapart.
Un phénomène peu défini
Si le féminicide intime et conjugal a fait son chemin dans les représentations collectives, le féminicide politique reste, lui, encore peu défini. « Bien sûr, qu’il soit conjugal, familial ou non-intime, tout féminicide est politique, mais n’est pas forcément un assassinat politique genré, précise le collectif dans Mediapart. L’enjeu démocratique est de taille : au-delà du meurtre, les féminicides politiques sont de véritables bombes à fragmentation qui peuvent toucher d’autres militantes, leurs héritières, jusqu’à l’ensemble de la société ».
Dans le premier volet de cette enquête, on découvre ainsi l’histoire de l’activiste irakienne Lodya Albarty qui, parce qu’elle milite en faveur des droits des femmes en Irak, est menacée de mort depuis plusieurs années jusqu'à être victime d’une tentative d’assassinat en 2020 et doit vivre désormais cachée. Il y a aussi l’histoire d'une autre militante irakienne des droits humains et des droits des femmes, Riham Yacoub tuée deux jours avant la tentative d’assassinat de Lodya Albarty. Ou encore celle de la militante féministe brésilienne très engagée contre le racisme, l’homophobie et les violences policières et conseillère municipale de Rio de Janeiro Marielle Franco, assassinée en 2018.
À l’image de Riham Yacoub ou de Marielle Franco, « les militantes des droits des femmes sont, de loin, la catégorie de militantes les plus assassinées sur la dernière décennie », indique les journalistes du collectif Youpress. « Dans 100 % des meurtres, quand les auteurs étaient connus, les assassins étaient des hommes », précisent-elles.
Violences spécifiques
Les femmes engagées politiquement subissent des violences spécifiques. Des campagnes de haine sexistes se manifestant par des menaces de mort, des accusations d’être de mauvaises mères ou encore des remarques sur leur orientation sexuelle. Et face à ces attaques, l'inaction des autorités subsiste. « D’après les données recueillies, 57 % des victimes de féminicides politiques ont signalé aux autorités avoir été menacées de mort avant d’être tuées », indique ainsi l’enquête, qui s’est aussi intéressée au traitement judiciaire des féminicides politiques. Ces derniers jouissent d’une impunité devant la justice puisque seuls 15 % d'entre eux atteignent le stade du procès.
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Dans le mécanisme des féminicides politiques, Femmes à abattre pointe un mode opératoire courant : « l’overkilling ». C’est-à-dire l’acharnement dans le meurtre puis dans la façon de faire disparaître le corps d'une victime. Selon la base de données constituée par Femmes à abattre en trois ans, 42 % des victimes de féminicides politiques ont ainsi été « sur-tuées », indique le collectif. Ces morts particulièrement brutales sont aussi des avertissements pour celles qui restent et continuent la lutte.
Le travail de Femmes à abattre est publié à partir de ce mercredi sur le site de Mediapart sous la forme d’une enquête en six épisodes ainsi que dans la revue trimestrielle La Déferlante et sur le site d’investigation belge Apache. Le collectif a également lancé une newsletter hebdomadaire et gratuite. Ainsi qu’une cagnotte en ligne sur le site helloasso pour soutenir et financer une éventuelle suite de cette première enquête.