L’ouverture, pendant l’été 2021, de la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes lesbiennes et seules a motivé des donneur·euses potentiel·les à franchir le cap. Un an après, Causette leur donne la parole.
La pièce est sommairement aménagée. Un lit trône dans un coin, un évier et un urinoir dans un autre. Accrochée au mur, une télévision bas de gamme. Une fiche, accompagnée de dessins, explique la procédure. Ambiance un peu glauque, mais Damien, 32 ans, prend son courage à deux mains. Il attrape la télécommande entourée de plastique et allume le petit écran plat. Au programme : un porno lesbien. Il zappe. Mêmes scénarios. Il zappe. Une autre partie de jambes en l’air, hétéro cette fois. Décidément, c’est pas de bol. Le jeune homme est gay. En cette froide matinée de janvier, il se trouve dans une chambre de l’hôpital Tenon, dans le 20e arrondissement de Paris, pour faire son premier don de spermatozoïdes. « Ça m’a fait marrer. Je n’avais jamais vu de porno lesbien, eh bien… je pense que je suis bien 100 % homosexuel. Le personnel de l’hôpital n’a pas dû intégrer le fait que des mecs gay pouvaient aussi donner », s’esclaffe-t-il en se remémorant la scène, révélant avoir tout de même réussi à venir au bout de son affaire. Et ce, tout en entendant les infirmier·ères s’activer autour de la pièce, située en plein milieu du bâtiment.
Acte militant
Damien s’est décidé à donner ses spermatozoïdes après l’adoption définitive au Parlement, le 29 juin 2021, de la loi relative à la bioéthique ouvrant la procréation médicale- ment assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules. Cette avancée législative, promulguée définitivement le 2 août, a agi comme un coup de fouet pour ce directeur adjoint d’une agence de communication. Ami avec un grand nombre de femmes lesbiennes et seules, il a souhaité les aider « dans un acte militant total ». « C’est tellement facile pour les hommes de donner. Il s’agit d’un geste simple, rapide et ne demandant aucun effort physique », explique le trente- naire. Puis il confie : « J’aimerais bien avoir un enfant dans quelques années. Je considère donc important d’apporter mon aide à la communauté LGBTQI, car je me dis que, plus tard, j’aurai peut-être besoin de la sienne. »
Comme lui, Aurélien, un journaliste gay de 37 ans, a sauté le pas, motivé par l’élargissement de la PMA à toutes les femmes. Il a suffi d’un simple appel téléphonique, en sep- tembre 2021, au Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos) de l’hôpital Jean-Verdier, à Bondy (Seine-Saint-Denis), pour commencer le processus. « J’ai un couple d’amies qui a fait une PMA en Espagne, juste avant que la loi passe en France. Elles m’ont décrit à quel point ça avait été galère et injuste. Quand les choses se sont débloquées ici, j’ai eu peur qu’il n’y ait pas assez de stocks de sperme. Comme c’est un acte qui ne me coûte rien, j’ai décidé d’aider. Je ne sais pas si mon don ira forcément à des lesbiennes, mais dans tous les cas, c’est bien quand même », raconte-t-il. Ce dernier compare tout simplement ce qu’il fait à du bénévolat dans une association, mettant en avant le même geste désintéressé.
Les deux hommes citent la tribune publiée fin septembre 2019 par le journaliste Mathieu Brancourt comme premier élément déclencheur de leur réflexion. Sur le site du HuffPost, il appelait les gays et les bisexuels à « donner [leur] sperme en solidarité de [leurs] sœurs lesbiennes et célibataires » en vue de l’ouverture de la PMA. Ce militant de la première heure n’avait, lui, pas attendu la promulgation de la loi pour donner, préférant agir « de manière artisanale ». Grâce à sa semence, un bébé est né au sein d’un couple de femmes lesbiennes en juin 2021. Auprès de Causette, le jeune homme de 32 ans assure que sa « priorité » est d’aider les femmes lesbiennes et seules. Mais glisse que cela ne l’empêchera pas de donner aussi, « prochainement », dans un Cecos.
Une “chaîne de femmes”
Charline, une visual merchandiser de 31 ans en reconversion professionnelle, a elle aussi donné ses ovocytes à l’hôpital Cochin, à Paris, en mars dernier, mue par son militantisme : la jeune lesbienne était de toutes les manifestations en faveur de l’ouverture de la PMA. Au gré de ses rencontres, elle a formé ce projet dans sa tête, le voyant comme « un acte de générosité et politique ». Au cours du don, les femmes, contrairement aux hommes, doivent réaliser des injections d’hormones pour stimuler les ovaires afin d’aboutir à la maturation de plusieurs ovocytes qu’il faudra enfin ponc- tionner. Pour supporter ce processus, qui peut avoir des effets secondaires, générer de la fatigue ou des nausées, Charline pensait tout simplement « à la personne qui allait recevoir [son] don » : « J’imaginais ainsi une grande chaîne de femmes, reliant toutes les donneuses et les receveuses. » Aujourd’hui installée à Troyes (Aube), elle envisage elle- même d’avoir des enfants plus tard avec cette technique de procréation.
C’est également par solidarité que Blandine, une secrétaire de direction dans une chocolaterie de Blois (Loir-et-Cher), a sauté le pas en avril dernier. Devant un numéro de l’émission La Maison des maternelles, sur France 5, consacré à cette nouvelle loi, la maman de 36 ans s’est souvenue de son intention de donner ses ovocytes, après avoir entendu les difficultés rencontrées par des amies ayant eu recours à une PMA : « J’ai eu la chance d’être deux fois mère. Selon moi, il n’y a rien de plus beau. Alors, je veux rendre service à une femme, qu’elle soit hétérosexuelle, lesbienne ou seule : on a toutes le droit d’avoir un enfant. Si je peux permettre à des gens de vivre ce bonheur, je le fais. »
De son côté, si Pauline a donné ses ovocytes en janvier dernier au CHU de Nantes (Loire-Atlantique), c’est parce qu’elle y a elle-même fait deux PMA pour avoir ses enfants, en raison de l’infertilité de son compagnon. Consciente, pour l’avoir vécu, « du stress et de l’angoisse » que ce parcours peut engendrer, la vétérinaire de 36 ans a décidé de prendre part au don. Avec, également pour motivation, la volonté d’aider face à une demande plus importante de gamètes après le passage de la loi. À sa surprise, tout au long du processus, Pauline a par ailleurs ressenti une sensation de « réparation » : « Mes PMA ont été très anxiogènes, j’ai eu l’impression de ne pas avoir de contrôle, d’être dans une posi- tion de faiblesse. Là, de revenir dans le même CHU, de réaliser des traitements similaires, mais dans une démarche que j’avais choisie, cela a été en quelque sorte réparateur. » Quand le don permet d’aider les autres mais aussi soi-même.
Hausse des dons
En 2021, l’Agence de la biomédecine a constaté « une aug- mentation du nombre de dons de gamètes », nous indique-t- elle : près de 600 hommes ont donné leurs spermatozoïdes et près de 900 femmes, leurs ovocytes. Des chiffres jamais atteints auparavant, les derniers records étant de 404 don- neurs de spermatozoïdes en 2017 et de 836 donneuses d’ovocytes en 2019.
Catherine Guillemain, présidente de la Fédération des Cecos, ne sait pas si l’ouverture de la PMA a agi comme « un déclencheur ». Elle note cependant « une hausse très nette des candidatures de donneurs et donneuses après le passage de la loi ». Selon elle, la vaste campagne d’information menée à l’automne 2021 par l’Agence de la biomédecine, pour sen- sibiliser sur le don de gamètes et les enjeux instaurés par la nouvelle loi, a « visiblement porté ses fruits ». « On espère que ce sera confirmé et suivi », ajoute la médecin, assurant qu’il n’y a pour l’instant pas de tensions concernant les stocks de gamètes, mais plutôt pour répondre au « tsunami » de demandes. L’année dernière, 6 800 nouvelles demandes de la part de couples de femmes et de femmes seules ont été enregistrées en vue d’une PMA avec dons de sperma- tozoïdes, 2 300 consultations ont pu être réalisées, n’ayant abouti qu’à 6 tentatives. Finalement, une seule grossesse était en cours au 31 décembre 2021. Le décret d’application de la loi, publié seulement le 29 septembre 2021 au Journal officiel, et indispensable pour entamer les procédures, explique en partie pourquoi tant de demandes ont tardé à se concrétiser. « Il faut compter le temps de les recevoir, de consulter les dossiers, de faire les démarches juridiques obliga- toires… C’est maintenant que dans la plupart des centres, cela va vraiment commencer en termes de tentatives », précise Catherine Guillemain.
L’ensemble des personnes interrogées décrivent la fierté ressentie au moment de faire le don, la sensation de se sen- tir utile, décuplée par l’enthousiasme et la sollicitude du personnel soignant. Un mélange d’émotions qui poussent la plupart d’entre elles à en parler librement à leur entou- rage. Comme Damien, qui a motivé deux-trois proches à franchir le cap. Ou Charline, qui estime que la continuité de son don est justement d’en discuter : « Dans mon entourage, beaucoup de mes amies n’étaient pas au courant qu’elles pou- vaient faire un don. J’en ai convaincu certaines qui ne veulent pas d’enfants à donner leurs ovocytes. À ma petite échelle, j’en parle, je fais du bruit, pour que cette forme de procréation ne soit ni taboue ni oubliée. » Et vous, motivé·es ?
L’ABC du don
Pour donner ses gamètes, un homme doit avoir entre 18 et 45 ans, une femme entre 18 et 37 ans. Avoir eu, ou non, des enfants n’interdit pas d’en- trer dans le processus. Après avoir contacté le centre de dons, les donneur·euses obtiennent un premier rendez-vous avec l’équipe médicale pour discuter et donner leur consentement. Celui-ci sera suivi d’un bilan médical et d’un entretien avec un·e psychologue.
Pour les hommes, un premier recueil de spermatozoïdes est effectué afin de s’assurer de l’absence d’infection et de vérifier leurs caractéristiques. Jusqu’à cinq recueils peuvent être réalisés. Au bout de six mois, une dernière prise de sang per- mettra de valider l’utilisation des spermatozoïdes. Les femmes doivent, elles, pendant dix à douze jours, réaliser des injections d’hormones afin de stimuler les ovaires et aboutir à la maturation de plusieurs ovocytes. Le prélèvement est réalisé 35 à 36 heures après la dernière injection sous anesthésie locale ou générale.
À partir du 1er septembre, les donneur·euses seront obligé·es d’accepter que leur identité soit dévoilée à l’enfant qui sera né·e de ce don et qui se tournera, à sa majorité, vers une commission pour obtenir ces informations. C. B.