Des associations médicales continuent à se mobiliser pour apporter des soins aux exilé·es resté·es à la rue après le démantèlement du camp de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) le 17 novembre, mais l’acharnement policier entrave leur mission.
Porte d’Aubervilliers, au nord-est de Paris. Deux camions stationnent près du jardin Anaïs Nin, au milieu du ballet incessant des voitures. L’un est un camion de Médecins du Monde et l’autre, à vingt mètres, un fourgon de gendarmerie. « La présence policière n’incite pas les personnes à venir », souffle Paul Alauzy, chargé, pour l’association, de la veille sanitaire migrants et de la permanence psy.
Ce mercredi 16 décembre, en début d’après-midi, quelques hommes s’avancent timidement vers le véhicule à la colombe blanche sur fond bleu. Ahmad Adam vient consulter pour des maux de ventre. Ce Soudanais de 38 ans, bonnet noir sur le crâne, vivait sur le campement de Saint-Denis démantelé mardi 17 novembre. Depuis, il dort « partout. La semaine dernière, je suis parti prendre une douche et quand je suis revenu, ma tente avait été déchirée par la police. »
L’évacuation du campement du pont de l’A1 était censée mettre à l’abri 3 000 migrant·es majoritairement originaires d’Afghanistan et d’Afrique de l’Est. Près d’un millier d’entre elles et eux n’a pas été pris en charge et reste sans solution d’hébergement. Chassé·es et violenté·es par la police, les demandeur·euses d’asile se sont éparpillé·es dans le nord de la capitale et sont toujours contraint·es de se cacher.
« Depuis l’évacuation, c’est dur pour les personnes de nous trouver et pour nous d’aller à leur rencontre même si on est très mobile avec les maraudes », ajoute Paul Alauzy. Photos à l’appui, il témoigne de lieux « difficiles d’accès. Il faut parfois escalader des barrières. Comment les secours feraient-ils pour venir ? C’est dans cette situation que l’on perçoit les angles morts de la crise et l’absence de politique d’accueil. »
La petite équipe de médecins et infirmiers recevait une quarantaine de personnes lors de chaque veille sanitaire à Porte de Paris, à Saint-Denis. En deux heures, seules douze se présentent ce jour-là. « Il y a eu beaucoup de mises à l’abri dont des personnes qu’on suivait depuis longtemps », reconnaît François Bournerias, médecin bénévole et chef de service hospitalier retraité. Mais ces hébergements, souvent temporaires, n’expliquent pas à eux seuls cette « période plutôt creuse ». Le collectif Solidarité Migrants Wilson, avec qui les associations médicales échangent pour identifier les personnes dans le besoin, estime à six cents le nombre d’exilés à la rue en cette mi-décembre.
Des suivis médicaux interrompus
« On espère qu’il y a moins de besoins, que dans les gymnases et les hôtels, les personnes voient une assistante sociale ou un médecin, mais on n’en est pas certain », développe Aurélie Bonnet, bénévole à MARDi (Medical aid for refugees and displaced people). L’ONG britannique intervient en appui de Médecins du monde et voyait jusqu’à 150 personnes par jour sur le camp. L’interne en médecine générale s’inquiète de la rupture des suivis médicaux qu’a engendré le démantèlement du camp.
« On voyait tous les deux jours ceux qui avaient des plaies pour refaire leurs pansements. Pour d’autres qui avaient des traitements psychiatriques, on allait acheter des médicaments à la pharmacie. Il y avait moins d’isolement, moins de précarité dans le sens où on pouvait les aider et qu’ils pouvaient venir nous voir facilement, détaille-t-elle. Le jour de l’évacuation, il restait pas mal de personnes assez fragiles, mentalement ou physiquement, qui ne sont pas montées dans les bus. Ils ont été brutalisés par les policiers, mis à genoux, gazés. De certains, nous n’avons aucune nouvelle. » Paul Alauzy se souvient avoir reçu « plusieurs patients en état de choc ».
![Après l’évacuation du campement de Saint-Denis, les associations de santé peinent à atteindre les exilé·es 2 MARDi oct 2020](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/12/MARDi-oct-2020-1024x683.jpeg)
Par leur mobilité et leur présence sur le terrain, les deux équipes incarnent un premier maillon essentiel de la chaîne médicale auprès des migrants qu’ils peuvent rediriger vers les permanences d’accès aux soins de santé (PASS) ou les urgences. « On soigne les petits bobos, on donne des médicaments, on essaye de pister des pathologies psychologiques lourdes », expose le médecin de Médecins du Monde. Ces pathologies psychiques peuvent prendre la forme, selon Aurélie Bonnet, de dépressions, de troubles de l'humeur, de crises d'angoisse et même d'idées suicidaires. Côté corps, les pathologies les plus fréquentes sont liées aux conditions de vie : problèmes respiratoires, de toux, dentaires ou encore douleurs abdominales et gastriques. La Covid-19 fait, elle, désormais partie des risques du quotidien. Si, lors du premier confinement, la pandémie était un sujet de craintes particulier, réfugié·es et bénévoles s’y sont aujourd’hui comme habitué·es. Les premier·ères se présentent masqué·es aux seconds, qui continuent de leur distribuer gel hydroalcoolique et provisions de masques. « Si l’un d'entre eux présente des symptômes Covid, précise Aurélie Bonnet, nous l'orientons vers un centre de dépistage gratuit. »
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Des problèmes de santé qui perdurent
Sous l’un des deux barnums, un jeune érythréen vient consulter. Il désigne avec un doigt son œil gauche qui le pique depuis deux semaines. Abakar, bénévole qui préfère rester anonyme, traduit en français et en arabe, l’une des langues officielles de l’Érythrée. Cinq minutes plus tard, l’homme repart avec du collyre dans son sac à dos. Peu après lui arrive un Afghan de 25 ans, passé par l’Autriche avant d’atterrir à Paris il y a deux ans. Ahmad a l’allure d’un étudiant. Il souffre du genou depuis des années. « Je suis dubliné, l’OFII m’a dit que je n’avais droit à rien », résume-t-il. Après sa consultation, il récupère des médicaments et une crème.
« On arrive à traiter ce qu’on voit. Il y a une part importante de douleurs chroniques liées à des traumatismes subis sur le trajet migratoire et aux conditions d’hygiène pas satisfaisantes qui pourraient être traitées différemment pour prendre en compte leur corps, leur vie, eux en tant qu’humains. Je ne connais pas d’association qui permette un accès à un kiné ou à un ostéo », regrette Aurélie qui intervient auprès des migrants depuis octobre.
Avant de ranger le matériel, Paul s’entretient au téléphone avec l’association France Terre d’Asile dans l’espoir de trouver une solution d’hébergement d’urgence pour un jeune homme tout juste arrivé du Tigré (Éthiopie) en guerre. Il observe, les yeux hagards, l’agitation autour de lui. Après plusieurs minutes d’échanges téléphoniques traduits, il comprend qu’il sera emmené vers un centre d’hébergement d’urgence le lendemain. En repartant, il tend sa main à Paul. « Ce n’est pas très « Covid » mais je ne pouvais pas refuser cette poignée de main. »