MARDi sur le camp oct 2020
Une bénévole de l'association MARDi avec un exilé, le 20 octobre à Paris © Marine Delatouche

Après l’évacuation du cam­pe­ment de Saint-​Denis, les asso­cia­tions de san­té peinent à atteindre les exilé·es

Des asso­cia­tions médi­cales conti­nuent à se mobi­li­ser pour appor­ter des soins aux exilé·es resté·es à la rue après le déman­tè­le­ment du camp de Saint-​Denis (Seine-​Saint-​Denis) le 17 novembre, mais l’acharnement poli­cier entrave leur mission.

Porte d’Aubervilliers, au nord-​est de Paris. Deux camions sta­tionnent près du jar­din Anaïs Nin, au milieu du bal­let inces­sant des voi­tures. L’un est un camion de Médecins du Monde et l’autre, à vingt mètres, un four­gon de gen­dar­me­rie. « La pré­sence poli­cière n’incite pas les per­sonnes à venir », souffle Paul Alauzy, char­gé, pour l’association, de la veille sani­taire migrants et de la per­ma­nence psy.

Ce mer­cre­di 16 décembre, en début d’après-midi, quelques hommes s’avancent timi­de­ment vers le véhi­cule à la colombe blanche sur fond bleu. Ahmad Adam vient consul­ter pour des maux de ventre. Ce Soudanais de 38 ans, bon­net noir sur le crâne, vivait sur le cam­pe­ment de Saint-​Denis déman­te­lé mar­di 17 novembre. Depuis, il dort « par­tout. La semaine der­nière, je suis par­ti prendre une douche et quand je suis reve­nu, ma tente avait été déchi­rée par la police. »

L’évacuation du cam­pe­ment du pont de l’A1 était cen­sée mettre à l’abri 3 000 migrant·es majo­ri­tai­re­ment ori­gi­naires d’Afghanistan et d’Afrique de l’Est. Près d’un mil­lier d’entre elles et eux n’a pas été pris en charge et reste sans solu­tion d’hébergement. Chassé·es et violenté·es par la police, les demandeur·euses d’asile se sont éparpillé·es dans le nord de la capi­tale et sont tou­jours contraint·es de se cacher.

« Depuis l’évacuation, c’est dur pour les per­sonnes de nous trou­ver et pour nous d’aller à leur ren­contre même si on est très mobile avec les maraudes », ajoute Paul Alauzy. Photos à l’appui, il témoigne de lieux « dif­fi­ciles d’accès. Il faut par­fois esca­la­der des bar­rières. Comment les secours feraient-​ils pour venir ? C’est dans cette situa­tion que l’on per­çoit les angles morts de la crise et l’absence de poli­tique d’accueil. »

La petite équipe de méde­cins et infir­miers rece­vait une qua­ran­taine de per­sonnes lors de chaque veille sani­taire à Porte de Paris, à Saint-​Denis. En deux heures, seules douze se pré­sentent ce jour-​là. « Il y a eu beau­coup de mises à l’abri dont des per­sonnes qu’on sui­vait depuis long­temps », recon­naît François Bournerias, méde­cin béné­vole et chef de ser­vice hos­pi­ta­lier retrai­té. Mais ces héber­ge­ments, sou­vent tem­po­raires, n’expliquent pas à eux seuls cette « période plu­tôt creuse ». Le col­lec­tif Solidarité Migrants Wilson, avec qui les asso­cia­tions médi­cales échangent pour iden­ti­fier les per­sonnes dans le besoin, estime à six cents le nombre d’exilés à la rue en cette mi-décembre.

Des sui­vis médi­caux interrompus

« On espère qu’il y a moins de besoins, que dans les gym­nases et les hôtels, les per­sonnes voient une assis­tante sociale ou un méde­cin, mais on n’en est pas cer­tain », déve­loppe Aurélie Bonnet, béné­vole à MARDi (Medical aid for refu­gees and dis­pla­ced people). L’ONG bri­tan­nique inter­vient en appui de Médecins du monde et voyait jusqu’à 150 per­sonnes par jour sur le camp. L’interne en méde­cine géné­rale s’inquiète de la rup­ture des sui­vis médi­caux qu’a engen­dré le déman­tè­le­ment du camp.

« On voyait tous les deux jours ceux qui avaient des plaies pour refaire leurs pan­se­ments. Pour d’autres qui avaient des trai­te­ments psy­chia­triques, on allait ache­ter des médi­ca­ments à la phar­ma­cie. Il y avait moins d’isolement, moins de pré­ca­ri­té dans le sens où on pou­vait les aider et qu’ils pou­vaient venir nous voir faci­le­ment, détaille-​t-​elle. Le jour de l’évacuation, il res­tait pas mal de per­sonnes assez fra­giles, men­ta­le­ment ou phy­si­que­ment, qui ne sont pas mon­tées dans les bus. Ils ont été bru­ta­li­sés par les poli­ciers, mis à genoux, gazés. De cer­tains, nous n’avons aucune nou­velle. » Paul Alauzy se sou­vient avoir reçu « plu­sieurs patients en état de choc ».

MARDi oct 2020
Les béné­voles soignent « les petits bobos » © Marine Delatouche

Par leur mobi­li­té et leur pré­sence sur le ter­rain, les deux équipes incarnent un pre­mier maillon essen­tiel de la chaîne médi­cale auprès des migrants qu’ils peuvent redi­ri­ger vers les per­ma­nences d’accès aux soins de san­té (PASS) ou les urgences. « On soigne les petits bobos, on donne des médi­ca­ments, on essaye de pis­ter des patho­lo­gies psy­cho­lo­giques lourdes », expose le méde­cin de Médecins du Monde. Ces patho­lo­gies psy­chiques peuvent prendre la forme, selon Aurélie Bonnet, de dépres­sions, de troubles de l'humeur, de crises d'angoisse et même d'idées sui­ci­daires. Côté corps, les patho­lo­gies les plus fré­quentes sont liées aux condi­tions de vie : pro­blèmes res­pi­ra­toires, de toux, den­taires ou encore dou­leurs abdo­mi­nales et gas­triques. La Covid-​19 fait, elle, désor­mais par­tie des risques du quo­ti­dien. Si, lors du pre­mier confi­ne­ment, la pan­dé­mie était un sujet de craintes par­ti­cu­lier, réfugié·es et béné­voles s’y sont aujourd’hui comme habitué·es. Les premier·ères se pré­sentent masqué·es aux seconds, qui conti­nuent de leur dis­tri­buer gel hydro­al­coo­lique et pro­vi­sions de masques. « Si l’un d'entre eux pré­sente des symp­tômes Covid, pré­cise Aurélie Bonnet, nous l'orientons vers un centre de dépis­tage gratuit. »

Lire aus­si l Île de Lesbos : « Avec d’autres réfu­giés, nous avons mon­té une struc­ture de pré­ven­tion contre le Covid-19 »

Des pro­blèmes de san­té qui perdurent

Sous l’un des deux bar­nums, un jeune éry­thréen vient consul­ter. Il désigne avec un doigt son œil gauche qui le pique depuis deux semaines. Abakar, béné­vole qui pré­fère res­ter ano­nyme, tra­duit en fran­çais et en arabe, l’une des langues offi­cielles de l’Érythrée. Cinq minutes plus tard, l’homme repart avec du col­lyre dans son sac à dos. Peu après lui arrive un Afghan de 25 ans, pas­sé par l’Autriche avant d’atterrir à Paris il y a deux ans. Ahmad a l’allure d’un étu­diant. Il souffre du genou depuis des années. « Je suis dubli­né, l’OFII m’a dit que je n’avais droit à rien », résume-​t-​il. Après sa consul­ta­tion, il récu­père des médi­ca­ments et une crème.

« On arrive à trai­ter ce qu’on voit. Il y a une part impor­tante de dou­leurs chro­niques liées à des trau­ma­tismes subis sur le tra­jet migra­toire et aux condi­tions d’hygiène pas satis­fai­santes qui pour­raient être trai­tées dif­fé­rem­ment pour prendre en compte leur corps, leur vie, eux en tant qu’humains. Je ne connais pas d’association qui per­mette un accès à un kiné ou à un ostéo », regrette Aurélie qui inter­vient auprès des migrants depuis octobre.

Avant de ran­ger le maté­riel, Paul s’entretient au télé­phone avec l’association France Terre d’Asile dans l’espoir de trou­ver une solu­tion d’hébergement d’urgence pour un jeune homme tout juste arri­vé du Tigré (Éthiopie) en guerre. Il observe, les yeux hagards, l’agitation autour de lui. Après plu­sieurs minutes d’échanges télé­pho­niques tra­duits, il com­prend qu’il sera emme­né vers un centre d’hébergement d’urgence le len­de­main. En repar­tant, il tend sa main à Paul. « Ce n’est pas très « Covid » mais je ne pou­vais pas refu­ser cette poi­gnée de main. »

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