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©Kelly Sikkema

Rapport Ciivise : 16 414 témoi­gnages racontent la souf­france conti­nue des vic­times de vio­lence sexuelle dans l'enfance

Forte de plus de 16 000 témoignages, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), publie ce mercredi son rapport sur les conséquences à l’âge adulte, des violences sexuelles subies dans l’enfance. Elle rappelle aussi cinq de ses préconisations pour lutter contre ces violences.

Le 21 septembre 2021, la Commission Indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), initiée par le gouvernement, lançait son appel à témoignages à destination des femmes et des hommes, victimes de violences sexuelles dans leur enfance. Un an plus tard, la Ciivise restitue la parole de ces adultes à travers la publication d’un rapport, ce 21 septembre, sur les conséquences traumatiques de ces violences subies dans leur enfance.

En une année, 16 414 témoignages ont été recueillis. Des milliers de récits qui permettent à la Ciivise de dresser un état des lieux édifiant. Selon le rapport, « ces viols et ces agressions ont profondément et durablement porté atteinte à leur bien-être et à leur développement dans l’enfance jusque dans leur vie d’adulte ». Des conséquences lourdes qui s’immiscent d'ailleurs dans toutes les sphères et tous les pans de l’existence : la santé physique et psychique, les études et le travail, la vie familiale mais aussi affective et sexuelle. 

Qui sont les victimes qui témoignent ? 

Pas moins de 16 414 témoignages ont été récoltés par téléphone, par e-mail, par des questionnaires en ligne ou lors de réunions publiques. Pourtant, ce chiffre serait bien loin de la réalité. La Ciivise estime en effet à 160 000, le nombre d’enfants victimes de violences sexuelles chaque année, le plus souvent dans le cercle familial.

La Ciivise, créée en janvier 2021 à la suite de l’affaire Duhamel et du déferlement du #MetooInceste sur les réseaux sociaux, pointe l’ampleur des violences incestueuses dans notre société. Selon le rapport, 81 % des témoignages concernent en effet des violences subies dans l’entourage familial. Autres chiffres clefs : une majorité de ces adultes ont 44 ans en moyenne et 88 % d’entre eux sont des femmes.

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Le rapport constate que les violences sexuelles intrafamiliales débutent très tôt - une victime sur quatre avait moins de 5 ans au moment des premiers faits - se réitèrent et perdurent dans le temps. Dans les cas d’inceste, lorsque la victime est une fille, l’agression est le plus souvent le père, le grand frère /demi-frère, l’oncle, le grand-père, le cousin ou le beau-père. « Dans l’entourage proche [22 % des témoignages, ndlr] et au sein des institutions [11 %, ndlr], les agresseurs usent de la relation de confiance établie avec la jeune victime pour commettre des violences sexuelles », note le rapport. En revanche, dans l’espace public, les agresseurs sont généralement des inconnus.

Des conséquences sur le long terme

Le rapport de la Ciivise met en évidence à quel point les traumatismes des violences sexuelles dans l’enfance se répercutent avec fracas dans la vie des adultes qui en ont été victimes. Si ces violences sexuelles ont été commises plusieurs décennies avant leur témoignage, cette souffrance reste toujours présente et vive aujourd’hui. « C’est l’histoire d’un crime qui a détruit mon enfance et ma vie d’adulte », affirme l’une d’entre elles dans son témoignage. 

En premier lieu, les violences sexuelles subies dans l’enfance entraînent d’abord des conséquences extrêmement graves sur la santé des victimes, tant sur le plan physique que psychologique, mais aussi neurobiologique. Les troubles psycho-traumatiques se retrouvent chez près de 100 % des personnes victimes de violences sexuelles dans leur enfance. Ainsi, « plus de 8 victimes sur 10 estiment que les violences sexuelles ont eu un impact sur la confiance en soi et sur leur santé psychique », note le rapport qui précise qu’« une victime sur 2 estime que les violences sexuelles ont eu un impact sur sa santé physique ».

Comportements à risque 

Parmi ces troubles, le rapport de la Ciivise pointe des symptômes multiples : conduites d’évitement de lieux, de personnes, d’activités qui rappellent l’agression ou l’agresseur, problèmes de sommeil, hyperactivité, irritabilité, signes de souffrance physique sans cause organique, état de dissociation cognitive, corporelle et émotionnelle. 

89 % des femmes et 85 % des hommes qui ont témoigné auprès de la Ciivise ont ensuite développé des comportements à risque à la suite de ces violences. Troubles alimentaires, problème d’addictions à la drogue, aux médicaments ou à l’alcool, agressivité, tentatives de suicides sont parmi les comportements les plus observés.

L’impact sur la vie affective et sexuelle..

Si les violences sexuelles impactent la santé mentale ou physique des victimes, elles affectent aussi durement leur santé sexuelle à l’âge adulte. Selon la Ciivise, quatre femmes sur dix rapportent des douleurs (vaginisme principalement) dans leurs rapports sexuels et près d’un homme sur trois rapporte des troubles de l’érection. Et plus largement, plus de trois victimes sur dix rapportent une absence de libido, une baisse de libido ou même une absence totale de vie sexuelle.

À l'inverse, pour près d’un homme sur deux – et une femme sur trois – ces violences sexuelles se traduisent par une hypersexualité, une multiplication des partenaires notamment. « Mon adolescence a été une période où mon corps ne m’appartenait plus, je le laissais à la merci du premier qui voulait bien de moi », rapporte une victime dans son témoignage.

… et sur la vie familiale 

Au-delà de la vie affective et sexuelle, les violences vécues dans l’enfance impactent aussi la vie familiale de six victimes sur dix, selon le rapport. Notamment, lorsque ces violences sont intrafamiliales. Parmi les souffrances engendrées, le rapport pointe « la division familiale souvent reprochée à la victime », « la perte de confiance dans la structure protectrice de la famille », « les conflits de loyauté induits » et « le deuil d’une partie de la famille »

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Dans son rapport, la Ciivise établit aussi que les conséquences des violences sexuelles dans l’enfance touchent la parentalité et plus particulièrement le renoncement à la maternité. « Je n’ai absolument pas pu construire de famille. Je n’ai pas eu de désir d’enfant. Ça, ça reste pour moi une profonde interrogation, mais c’était pour moi inconcevable d’être enceinte. C’était l’horreur absolue. J’adore les enfants, j’ai un super contact avec eux, ils se sentent très bien quand je suis dans la protection, mais moi, faire un enfant en moi, c’était juste impossible », témoigne une victime.

Conséquences concrètes 

Les enjeux dépassent aussi le cadre intime. Si pour nombre de victimes, entendues par la Ciivise, l’école ou le travail semblent être des refuges, qui les tiennent éloignées du trauma de ces violences, près d’une victime sur deux rapporte des conséquences sur sa scolarité et plus de quatre victimes sur dix sur leur vie professionnelle. Selon le rapport, certaines d’entre elles ont même dû interrompre leurs études ou leur carrière professionnelle. Des conséquences directes qui permettent d’identifier pour la Ciivise, un phénomène de « double peine ». « Certaines victimes peuvent ainsi se retrouver en situation de précarité parce qu’elles ont dû quitter leur foyer pour fuir leur famille, en raison des violences qu’elles subissaient ou parce que les symptômes du psychotraumatisme les ont contraintes d’exercer des emplois précaires », souligne le rapport.

Vingt préconisations 

La majorité des 16 414 témoignages insiste sur l’importance de lutter contre les violences faites aux enfants. Pour la Ciivise , « ces témoignages imposent que nous contruisions une stratégie de protection pour lutter contre leur impunité, protéger les enfants qui révèlent des violences sexuelles et leur donner les soins qu’ils sont en droit d’attendre ». 

C’est en ce sens, que le 31 mars dernier, lors de la remise de son rapport intermédiaire, la commission avait déjà formulé vingt préconisations. Dans son rapport final, la Ciivise insiste sur cinq d'entre elles, qui nécessitent des moyens financiers. Le temps presse : les discussions budgétaires sur le financement de la sécurité sociale et donc des politiques de solidarité et de santé auront lieu à partir du 26 septembre dans le cadre du projet de loi de finances pour l’année 2023. La première est le repérage systématique des enfants victimes de violences par une stratégie de protection. « Chaque professionnel·le doit, à la place qu’il occupe dans la chaîne de la protection et sans confusion des rôles, permettre la révélation des violences et amorcer la mise en sécurité de l’enfant », indique le rapport.

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La deuxième mesure concerne la création d’une cellule de soutien disponible par téléphone pour les professionnel·les sur l’ensemble du territoire. « Les médecins et professionnel·les de santé doivent pouvoir bénéficier de conseils de pair·es » . La troisième porte sur l’augmentation des moyens de lutte contre la cyber-pédocriminalité. « On compte en France seulement un enquêteur·rice [spécialisé·e, ndlr] pour 2,2 millions de personnes », alerte le rapport.

Dans sa quatrième préconisation, la Ciivise insiste sur la nécessité de la prise en charge des soins spécialisés pour les adultes victimes de violences dans leur enfance. « Le coût des soins est aussi un obstacle à la reconstruction qu’il est indispensable de mieux prendre en compte », souligne le rapport. Pour finir, le rapport de la Ciivise préconise la diffusion d’une grande campagne nationale d’information et de sensibilisation. Car la Ciivise le rappelle, « la prévention des violences sexuelles est une responsabilité collective »

Des mesures entendues par le gouvernement : la secrétaire d’État chargée de l’enfance, Charlotte Caubel, a annoncé ce mercredi dans Le Figaro le lancement début 2023 d’une campagne nationale de lutte contre ces violences. Autre annonce : la création d’une cellule de conseil et de soutien pour les professionnel·les qui démarrera également début 2023.

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