Témoignage : Durant le confi­ne­ment, il a fal­lu aller cher­cher les élèves sur leur ter­rain, WhatsApp ou Discord

Anna, 37 ans, a connu le métier de prof sous toutes les cou­tures. Pour le meilleur et pour le pire. Mais encore jamais sous l’angle de la crise sani­taire. Une grande pre­mière pour cette ensei­gnante dans un col­lège rural audois.

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© Camille Besse

« J’ai fait une pré­pa lit­té­raire à Montpellier et j’ai eu un coup de foudre pour l’histoire-géo. Après mon capes, comme beau­coup de jeunes profs, j’ai été para­chu­tée là où per­sonne ne veut aller : dans une ZEP de l’académie de Créteil. Première claque… Quand on est ensei­gnant, on est un peu sco­laire. On fait ce métier par voca­tion, parce qu’on a envie de trans­mettre. Pour moi, cet idéal a été quelque peu mal­me­né au départ. Le cli­mat, l’urbanisme, tout était assez violent. L’épreuve du feu, en somme. Mais c’était aus­si très posi­tif. Les équipes sont jeunes, l’ambiance sym­pa et dyna­mique. Il y a beau­coup d’entrain et d’initiatives pour sor­tir les élèves, leur faire décou­vrir d’autres horizons.

J’ai ren­con­tré mon mari à cette époque, en salle des profs. Et puis il y a plein d’élèves en demande, très atta­chants. Quand la mayon­naise prend, on a vrai­ment le sen­ti­ment de faire un métier très humain. Je suis res­tée trois ans à Créteil et je n’ai jamais reçu autant de cadeaux que quand j’en suis par­tie. Dans ces quar­tiers popu­laires, l’école est quand même per­çue par les familles comme un moyen de s’en sor­tir. Paradoxalement plus que dans l’établissement où j’exerce aujourd’hui. Ici, il y a pas mal de familles où les deux parents ne tra­vaillent pas. Le chô­mage est assez pré­sent, donc l’école… ils n’y croient plus trop.

“J’ai vingt-​huit élèves par classe. Je suis bien sou­vent dans l’incapacité de m’adapter à ceux qui sont en situa­tion de han­di­cap

Après Créteil, j’ai été mutée dans l’académie de Montpellier comme prof rem­pla­çante. Pas facile. T’es un peu le bouche-​trou de ser­vice. Sauf quand tu restes un an. Mais c’est rare. Moi, ce que j’aime, c’est créer du lien avec les élèves. Et quand tu restes quinze jours, ça ne marche pas. Y a que dans L’Instit [série télé­vi­sée, ndlr] que ça fonc­tionne ! Ensuite, avec mon mari, on a eu envie de par­tir ensei­gner à l’étranger. On est res­té quatre ans au lycée fran­çais de Tunis. Changement radi­cal d’ambiance. Des élèves CSP++++ : fran­çais, bina­tio­naux, tuni­siens issus de l’élite. Le niveau était excellent, mais cer­tains étaient tota­le­ment décon­nec­tés de la réalité.

Je suis ren­trée en France après la nais­sance de mon pre­mier enfant. Il y a six ans. Et j’ai été à nou­veau rem­pla­çante avant de démar­rer là où je suis actuel­le­ment, dans l’Aude. C’est un col­lège qui méri­te­rait d’être en REP [réseau d’éducation prio­ri­taire], mais il n’en a pas l’appellation… Huit cents élèves, avec d’énormes contrastes sociaux et cultu­rels. Nous ­accueillons notam­ment des enfants en situa­tion de han­di­cap au sein d’Ulis (Unités loca­li­sées pour l’inclusion sco­laire). Ces enfants ont des cours spé­ci­fiques, mais sont aus­si inté­grés dans les classes. Évidemment, sur le papier, c’est génial. Mais c’est un vœu pieux… Je ne suis pas for­mée pour les accueillir au mieux. Et ils devraient être accom­pa­gnés par les AESH [Accompagnants des élèves en situa­tion de han­di­cap]. Mais ce n’est pas du tout sys­té­ma­tique. J’ai vingt-​huit élèves par classe. Dont pas mal en grande dif­fi­cul­té. Aussi les Ulis, je suis bien sou­vent dans l’incapacité de réel­le­ment m’adapter à leurs particularités.

En ce moment, je me pose pas mal de ques­tions sur mon métier. La réa­li­té est loin de mon idéal… L’institution Éducation natio­nale est très sclé­ro­sante. J’aimerais des effec­tifs plus réduits en classe, et une meilleure recon­nais­sance… Je me suis mise à racon­ter mon quo­ti­dien de prof en BD 1. C’est une bonne échap­pa­toire. Je rigole de situa­tions par­fois absurdes. Dans l’absolu, j’aimerais bien pas­ser à mi-​temps pour me consa­crer à cette pra­tique artis­tique. Le col­lège c’est bruyant, c’est violent. Je me sens agres­sée quand les élèves se parlent super mal entre eux. Mais il y a aus­si de vrais moments de satis­fac­tion, lorsqu’ils sont réac­tifs, qu’ils s’intéressent, posent des ques­tions. Quand je vois qu’ils ont un déclic. Quoi qu’il en soit, je ne me vois pas faire ce métier jusqu’à 67 ans.

“Chaque ensei­gnant suit quinze familles. On est cen­sés les appe­ler trois fois par semaine pour les plus en difficulté”

En atten­dant, depuis le début du confi­ne­ment, on s’adapte. Chaque ensei­gnant suit quinze familles. On est cen­sés les appe­ler trois fois par semaine pour les plus en dif­fi­cul­té… Je ne le fais pas for­cé­ment parce que, même pour eux, ça fait beau­coup. Pour vous dire le niveau de décro­chage de cer­tains, alors qu’on était en mars, pas mal d’entre eux ne connais­saient même pas leurs iden­ti­fiants Pronote. Au départ, de toute façon, ENT et Pronote [logi­ciels de vie sco­laire] mar­chaient très mal. Il a fal­lu aller cher­cher les élèves sur leur ter­rain : WhatsApp ou Discord 2. Et puis tout le monde n’a pas d’ordi, sans par­ler des impri­mantes. Ajoutez à cela que c­­ertaines par­ties des Corbières sont en zone blanche… C’est pas l’idéal ! Moi, j’ai fait les classes vir­tuelles avec le Cned. J’envoyais mes cours, ensuite, les élèves posaient des ques­tions par visio. J’ai essayé de faire des choses plus inter­ac­tives, plus amu­santes. Des quiz, des réfé­rences de films his­to­riques à regarder.

Clairement, à par­tir de la fin des vacances de Pâques, j’ai eu beau­coup moins de retours. Moi-​même, j’ai com­men­cé à avoir des migraines oph­tal­miques. Mon grand est au CP. Il fal­lait aus­si que je le fasse tra­vailler ! J’ai consta­té que j’avais beau­coup moins de patience avec lui qu’avec mes élèves ! Globalement, la direc­tion a plu­tôt bien réagi à la situa­tion. La vie sco­laire a bien relayé les familles et fait le lien avec l’assistante sociale pour celles qui ren­con­traient le plus de dif­fi­cul­tés. Des ordis leur ont même été prêtés.

Le 7 mai, dix jours avant la ren­trée, on a fait une grosse réunion Zoom avec les soixante profs de l’établissement. Micros cou­pés pour tout le monde. Heureusement, car der­rière, mon fils hur­lait qu’il ne vou­lait pas s’habiller. Au pro­gramme : un nou­veau plan de cir­cu­la­tion pour que les élèves se croisent le moins pos­sible, des places atti­trées dans les salles pour chaque gamin qui res­tent toute la jour­née dans la même classe (ce sont les profs qui bougent), deux masques pas jour pour les ensei­gnants, qu’on ne doit ni tou­cher ni enle­ver avant la pause, les élèves, eux, doivent avoir les leurs. À la can­tine, ils seront deux par table, ser­vis à leur place, et c’est cha­cun sa gourde. Il y aura un fla­con de gel hydro par salle et du dés­in­fec­tant. Les sani­taires seront net­toyés après chaque récré. Et ils tra­vaillent sur la ques­tion du papier et du savon dans les toi­lettes. Si au moins cette crise pou­vait per­mettre que les toi­lettes des col­lèges ne soient plus des zones de per­di­tion… ce serait déjà ça ! » 

1. Ma vie de prof, d’Anna Chronique, City édi­tions, Coll. Idéo, février 2020. Anna chro­nique BD sur Facebook. Annachroniquebd sur Instagram.
2. Plateformes de dis­cus­sion orale et écrite.

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