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The Squad (« la brigade »), composée de quatre élues démocrates issues des minorités, en conférence de presse au Capitole, à Washington, le 15 juillet 2019. De gauche à droite : Ilhan Omar, Alexandria Ocasio-Cortez, Rashida Tlaib et Ayanna Pressley © Brendan Smialowski AFP

Élections amé­ri­caines : the futur is female

Le 3 novembre, le monde entier aura les yeux rivés sur l’élection pré­si­den­tielle amé­ri­caine qui dépar­ta­ge­ra deux vieux mâles blancs. Mais, depuis les élec­tions de mi-​mandat de 2018, c’est essen­tiel­le­ment avec des jeunes femmes raci­sées, que la révo­lu­tion se pré­pare. De élues pro­gres­sistes secouent le pay­sage poli­tique. Leurs objec­tifs : déga­ger Trump et chan­ger le Parti démocrate. 

Cori Bush – rien à voir avec George père et fils – n’a pas lou­pé son mois d’août. Cette ancienne infir­mière, pas­teure et acti­viste au sein du mou­ve­ment Black Lives Matter a, coup sur coup, gué­ri du Covid et rem­por­té une pri­maire face au baron local en poste depuis vingt ans. Pas mal ! La pre­mière cir­cons­crip­tion du Missouri, où elle a concou­ru, vote démo­crate depuis tou­jours. Sa qua­li­fi­ca­tion face au sor­tant William Lacy Clay lui assure qua­si­ment une vic­toire lors des pro­chaines légis­la­tives, pré­vues le 3 novembre en même temps que la pré­si­den­tielle et des­ti­nées à renou­ve­ler toute la Chambre des repré­sen­tants et un tiers du Sénat. Dans quelques semaines, elle devrait faire ses pre­miers pas au Congrès et être la pre­mière femme noire à sié­ger pour son État. Après avoir mené cam­pagne sur le ter­rain et, Covid oblige, par­fois depuis son lit, Cori Bush brûle désor­mais de s’atteler à sa future tâche. « Je n’allais pas lais­ser cette mala­die m’arrêter dans mon com­bat, a‑t-​elle racon­té dans une inter­view sur la chaîne ABC, le 21 août. J’avais peut-​être tem­po­rai­re­ment per­du mon souffle, mais la plu­part des citoyen·nes de ce pays s’étoufferont pour de bon si on ne fait rien. » 

Lire aus­si : États-​Unis : cinq élues bou­le­versent le pay­sage politique 

L’Amérique est à cran, déchi­rée par de très fortes ten­sions raciales, et les élec­tions à venir s’annoncent déci­sives. Le 3 novembre, le monde entier aura les yeux rivés sur le duel pré­si­den­tiel entre Donald Trump et Joe Biden, deux hommes blancs de 74 ans et 77 ans… Même si l’un des deux can­di­dats est net­te­ment moins flip­pant que l’autre, l’affiche n’a rien de bien exci­tant. Mais au cœur du pays, une nou­velle garde four­bit ses armes. Et elle fait plai­sir à voir et à entendre. 

Une pro­fonde colère

New York, Missouri, Michigan…, de plus en plus de novices aux idées pro­gres­sistes, comme Cori Bush, s’imposent dans les duels démo­crates. Comme une bonne nou­velle n’arrive jamais seule, ces nou­velles voix sont fémi­nines. Ces deux der­nières années aux États-​Unis, les femmes ont ces­sé de faire de la figu­ra­tion en poli­tique. Si on rem­bo­bine, on voit que tout part d’elles et de leur colère devant l’arrivée de Trump au pou­voir. Le pre­mier mou­ve­ment de pro­tes­ta­tion de grande ampleur a été mené par des femmes. La Women’s March du 21 jan­vier 2017, orga­ni­sée le len­de­main de l’investiture offi­cielle, a ras­sem­blé plus de 4 mil­lions de per­sonnes dans tout le pays. « Trump a mis tout le monde dans la rue : les femmes, les jeunes et les défenseur·euses du cli­mat, détaille Célia Belin, cher­cheuse invi­tée à la Brookings Institution et autrice du livre Des démo­crates en Amérique. Mais très vite, elles se sont dit que ça n’était plus suf­fi­sant, qu’il fal­lait s’impliquer davan­tage dans la vie poli­tique en se pré­sen­tant aux élec­tions. » Et ça a mar­ché. D’après les don­nées col­lec­tées par le Center for American Women and Politics de l’université Rutgers, dans le New Jersey, en 2018, 182 femmes démo­crates ont obte­nu la nomi­na­tion de leur par­ti pour les élec­tions à la Chambre des repré­sen­tants. Au total, elles sont 88 à y défendre les cou­leurs démo­crates. « Lors des pri­maires pour les élec­tions de mi-​mandat en 2018, on a vu la vic­toire d’un grand nombre de femmes, toutes meur­tries par l’arrivée de Donald Trump et bien déci­dées à s’emparer du pou­voir, rap­pelle Célia Belin. C’était une vague démo­crate, une vague de femmes, une vague de nou­veaux visages. » Cette année, 183 can­di­dates sont en lice. 

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© Pascal Sonnet /​Hans Lucas

Quand elle arri­ve­ra à Washington, Cori Bush pour­ra donc comp­ter sur ses sœurs de lutte, en poste depuis deux ans : les membres que la presse et le micro­cosme poli­tique ont bap­ti­sés « The Squad » ou « la bri­gade », en fran­çais. Mais ça sonne moins bien… Une dream team com­po­sée de quatre élues issues des mino­ri­tés : Alexandria Ocasio-​Cortez, élue du Bronx et du Queens à New York et la plus connue du lot ; Rashida Tlaib, élue dans le Michigan ; Ilhan Omar, qui repré­sente le Minnesota ; et Ayanna Pressley pour le Massachusetts. Quatre femmes fortes. Quatre femmes fières. Et, évi­dem­ment, fémi­nistes, radi­cales et en colère. Quatre femmes qui viennent sur­tout bous­cu­ler les codes de l’esta­blishment. « Elles ont fait explo­ser l’image habi­tuelle de l’élue poli­tique, ana­lyse la poli­tiste Melissa Deckman. Elles se situent dans une logique de confron­ta­tion et savent manier leurs comptes Twitter ou Instagram à la per­fec­tion. » Avec leur aisance et leurs récits per­son­nels tou­chants (lire page 52), elles créent un lien plus direct avec leur élec­to­rat. « Jusqu’à pré­sent, les figures fémi­nines emblé­ma­tiques du Parti démo­crate, comme Hillary Clinton ou la pré­si­dente de la Chambre des repré­sen­tants, Nancy Pelosi, étaient sur­tout issues de grandes familles rom­pues aux codes poli­tiques. Avec les membres de The Squad, on change de registre », pour­suit Melissa Deckman. La pro­fes­seure de science poli­tique, Kelly Dittmar, membre du Center for American Women and Politics, lui emboîte le pas : « On assiste à l’arrivée de nou­veaux pro­fils qui collent à la grande diver­si­té raciale, sociale et idéo­lo­gique du par­ti et du pays. »

Place aux femmes racisées

Coller à la réa­li­té démo­gra­phique des cin­quante États amé­ri­cains, voi­là l’enjeu cru­cial. D’après les pro­jec­tions du bureau amé­ri­cain du recen­se­ment, d’ici à une qua­ran­taine d’années, les mino­ri­tés noires, asia­tiques et his­pa­niques repré­sen­te­ront la majo­ri­té de la popu­la­tion. Le Parti démo­crate a com­pris que son salut élec­to­ral ­pas­se­rait par le renou­vel­le­ment et la place accor­dée aux femmes en géné­ral, et aux femmes noires ou raci­sées en par­ti­cu­lier. De toute façon, aux États-​Unis, l’électeur démo­crate de base, la cible ultime, est une élec­trice. Une élec­trice noire même. En 2017, Tom Perez, le pré­sident de l’instance diri­geante du Parti démo­crate, le DNC, avait esti­mé que les femmes noires étaient « la colonne ver­té­brale du par­ti ». Le choix de Kamala Harris comme colis­tière de Joe Biden s’inscrit dans cette logique de recon­nais­sance de leur poids poli­tique. En face, le Parti répu­bli­cain campe sur sa ligne en se ven­dant comme la valeur refuge des mâles blancs per­sé­cu­tés. Quelques très rares femmes, y com­pris raci­sées, ont déjà occu­pé des fonc­tions de pre­mier plan dans le camp conser­va­teur, bien enten­du. Condoleezza Rice, par exemple, a été conseillère à la Sécurité natio­nale entre 2001 et 2005 aux côtés de George W. Bush – mais elle fait figure d’exception. Ah si, il y a aus­si Candace Owens, jeune femme noire de 31 ans et figure mon­tante de la droite dure, qui a créé le Blexit, mélange de Black et Exit, un mou­ve­ment des­ti­né à encou­ra­ger les femmes raci­sées à ne pas voter démo­crate jus­te­ment. Dans les rangs du pou­voir légis­la­tif, les bancs répu­bli­cains res­tent mono­chromes et mas­cu­lins. Un seul chiffre résume tout : pour cette man­da­ture au sein de la Chambre des repré­sen­tants, on compte – accrochez-​vous bien – 90 % d’hommes blancs ! Bienvenue au boys’ club. Côté démo­crates, ils ne sont que 38 %.

Lire aus­si : Politique amé­ri­caine : où en sont les féministes ? 

Plus de poids pour la gauche

La mixi­té par­mi les élu·es et candidat·es du Parti démo­crate n’est pas venue toute seule. Elle est le résul­tat du tra­vail de ter­rain mené par un comi­té d’action poli­tique indé­pen­dant bap­ti­sé Justice Democrats. Fondé en 2017 par d’anciens membres de la cam­pagne de Bernie Sanders, la figure tuté­laire de la gauche amé­ri­caine, ce groupe a mené un tra­vail de fond pour iden­ti­fier les candidat·es capables de défier les démo­crates cen­tristes dans leurs cir­cons­crip­tions et les sou­te­nir finan­ciè­re­ment, afin de pous­ser la Chambre des repré­sen­tants le plus à gauche pos­sible. Pour le moment, le Parti démo­crate reste très centre droit. Mais toute la stra­té­gie vise à influer sur la ligne majo­ri­taire pour modi­fier le rap­port de force. Joe Biden a d’ailleurs repris cer­taines pro­po­si­tions dans son pro­gramme. « Ces deux cou­rants ont besoin l’un de l’autre, estime Melissa Deckman. Pour le moment, l’unité se fait autour d’un seul but : battre Trump. »

Justice Democrats défend l’assurance mala­die uni­ver­selle, l’instauration d’un salaire horaire mini­mal à 15 dol­lars, l’annulation de la dette étu­diante ou la mise en place d’un Green New Deal, afin d’allier tran­si­tion éco­lo­gique et retom­bées éco­no­miques pour le plus grand nombre. Autant de sujets désor­mais défen­dus par les membres de The Squad. 

Mathieu Magnaudeix, cor­res­pon­dant à l’époque de Mediapart aux États-​Unis et auteur du livre Génération Ocasio-​Cortez, a sui­vi de près la nais­sance de ce cou­rant. Il se sou­vient : « L’équipe de Justice Democrats a lan­cé un appel à can­di­da­tures en vue des élec­tions de mi-​mandat et reçu dix mille réponses. Ils ont mené une sorte de cas­ting en fonc­tion des pro­fils et une dizaine de per­sonnes sont lar­ge­ment sor­ties du lot, dont AOC [Alexandria Ocasio-​Cortez, ndlr], qui a bluf­fé tout le monde. » Rashida Tlaib, Ilhan Omar ou Cori Bush fai­saient aus­si par­tie des recrues de 2018. Après un pre­mier échec, Cori Bush a été à nou­veau sou­te­nue par Justice Democrats cette année, elle a pu lever trois fois plus d’argent via un sys­tème de dons indi­vi­duels et mener une cam­pagne plus effi­cace. Un sys­tème volon­ta­riste dont la France ferait peut-​être bien de s’inspirer, non ? « Chez nous, les nomi­na­tions sont beau­coup plus cor­na­quées par les par­tis poli­tiques avec des logiques de cou­rants et de syn­thèse, répond Mathieu Magnaudeix. Le mode de scru­tin joue beau­coup. Aux États-​Unis, la logique de la pri­maire est bien plus sys­té­ma­tique, ce qui per­met de faire éclore plus de nou­veaux chal­len­gers. » Résultat, on attend tou­jours notre AOC. 

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