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Lori Lightfoot, élue maire de Chicago (Illinois), sur la scène de l’arène Wintrust, pour son investiture, le 20 mai. © Eugénie Baccot/ Divergence pour Causette

Lori Lightfoot : la nou­velle maire de Chicago

L’annonce de sa vic­toire a fait le tour du monde. À 56 ans, elle est la pre­mière femme noire les­bienne à la tête de la troi­sième plus grande ville des États-​Unis. Qu’il s’agisse des vio­lences poli­cières, des droits des femmes et des per­sonnes LGBT ou de sa vie de famille, Lori Lightfoot entend ne rien lâcher. 

Dans un stade bon­dé, le lun­di 20 mai 2019, après la pres­ta­tion d’un orchestre jouant au vio­lon At Last, de la chan­teuse Etta James, Lori Lightfoot, veste bleu clair sur les épaules, monte enfin sur la scène de l’arène Wintrust, à Chicago (Illinois), accla­mée par des cen­taines de par­ti­sans. Des prières et des béné­dic­tions d’un imam, d’un rab­bin, d’un prêtre et d’une pas­teure émaillent la céré­mo­nie. À ses côtés, son épouse, Amy Eshleman, leur fille de 11 ans, Vivian, ain­si que sa mère, ses frères et ses sœurs. 

Alors qu’elle n’avait jamais can­di­da­té à une élec­tion aupa­ra­vant, Lori Lightfoot a été élue avec 74 % des voix pour ce scru­tin muni­ci­pal. Si elle vit aujourd’hui à Chicago, elle a gran­di dans l’Ohio, où ses deux parents se sont connus après avoir démé­na­gé du Sud ségré­ga­tion­niste, où ils avaient pas­sé leur enfance dans les années 1920. Son père, ancien agri­cul­teur, fut, par la suite, à la fois concierge et bar­bier, et sa mère tra­vaillait comme secré­taire médicale.

Avocate et pro­cu­reure, Lori Lightfoot a été à la tête d’une task force (groupe de tra­vail) pour réfor­mer la police, créée par le pré­cé­dent maire, fin 2015, à la suite du meurtre d’un ado­les­cent noir, Laquan McDonald, par un poli­cier blanc. Le pre­mier poli­cier de la ville, en ser­vice, à avoir été recon­nu cou­pable du meurtre d’un Noir amé­ri­cain. Elle a alors pro­duit un rap­port d’enquête sur les morts en garde à vue, sur les allé­ga­tions d’usage exces­sif de la force et sur le racisme sys­té­mique, qui gan­grène la police de Chicago. 

Lors de son dis­cours d’investiture, elle a rap­pe­lé ses valeurs et s’est enga­gée à rendre Chicago « plus forte, plus juste et plus pros­père », et à débar­ras­ser la ville de la ­cor­rup­tion et de la violence. 

« C'est un moment historique »

Malgré les applau­dis­se­ments, les habitant·es de Chicago n’oublient pas les pro­blèmes endé­miques de la ville. Certain·es adoptent donc la posi­tion du « wait and see » (on attend de voir) sur les actions de la nou­velle maire. C’est le cas de Keymani Hill, jeune homme noir de 22 ans, membre de l’association Black Workers Matter : « Je suis là aujourd’hui, car c’est un moment his­to­rique de voir une femme les­bienne noire à la tête de la ville. Elle veut créer une école de poli­ciers sup­plé­men­taire, alors que, selon moi, elle devrait ouvrir de nou­velles écoles pour les enfants. Mais on sera là pour le lui rap­pe­ler. » April Sanders, une poli­cière noire de 37 ans, est venue avec ses parents et sa fille Summer, âgée de 8 mois. Elle est opti­miste : « Je crois que si une per­sonne peut faire bou­ger les choses, c’est elle. Elle sou­haite vrai­ment en finir avec la ségré­ga­tion, don­ner de meilleures écoles à nos enfants. Elle veut aus­si réfor­mer la police et on en a besoin. On doit faire un meilleur tra­vail dans les quar­tiers sen­sibles, être plus juste et équi­table. » 


Droite dans ses bottes

À la veille de son inves­ti­ture, le 20 mai, la nou­velle maire de Chicago, Lori Lightfoot, a accor­dé une inter­view à Causette. 

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Lori Lightfoot à son QG de cam­pagne.
© Eugénie Baccot/​Divergence pour Causette

Causette : Pensez-​vous que votre élec­tion est un signe de rejet de la haine ?

Lori Lightfoot : Nous avons fait des pro­grès notoires sur le vivre-​ensemble. En m’élisant, les habitant·es de Chicago ont recon­nu que notre diver­si­té était une de nos grandes forces. Le fait d’avoir gagné dans la tota­li­té des cin­quante arron­dis­se­ments de la ville est une preuve de plus que la popu­la­tion veut un vrai changement.

Certain·es vous reprochent de n’avoir jamais été élue aupa­ra­vant, est-​ce une force ?

L. L. : Je pense que ne pas venir de l’intérieur a été une grande force dans cette cam­pagne. Je ne réponds à per­sonne à part aux habitant·es de la ville. Les élec­teurs et élec­trices vou­laient quelqu’un de « unbought and unbos­sed » – que l’on ne peut pas ache­ter et qui n’a pas de patron – pour citer Shirley Chisholm [la pre­mière femme poli­tique amé­ri­caine noire à être entrée au Congrès en 1968. Lori Lightfoot reprend ici le titre de son auto­bio­gra­phie, ndlr]. Je res­te­rai droite dans mes bottes. Et je vais tra­vailler dur pour répondre aux attentes de celles et ceux qui m’ont per­mis cette vic­toire retentissante.

Des asso­cia­tions LGBTQI+ ont célé­bré votre vic­toire, notam­ment car, désor­mais, les jeunes femmes les­biennes et les jeunes femmes noires ver­ront une femme qui leur res­semble à un poste de lea­der poli­tique. Est-​ce cru­cial dans notre société ?

L. L. : Oh, je pense que c’est consi­dé­rable. On a fait beau­coup de pro­grès concer­nant les droits des per­sonnes LGBTQI+. Je lisais ce matin un article sur la léga­li­sa­tion du mariage entre per­sonnes de même sexe dans le Massachusetts. La Cour suprême a sui­vi et c’est désor­mais la loi dans l’État. Malgré cela, beau­coup trop d’enfants se sentent encore isolé·es avec une forte part de jeunes LGBTQI+ qui se retrouvent sans abri, par­ti­cu­liè­re­ment les jeunes racisé·es, mais aus­si les per­sonnes trans qui sont atta­quées de toute part. J’espère vrai­ment que mon élec­tion appor­te­ra de l’espoir, de l’optimisme, par­ti­cu­liè­re­ment aux jeunes qui luttent pour faire leur coming out. Je suis consciente que nous devons encore et tou­jours nous battre, nous battre, nous battre, pour être sûr·es que tout le monde ait l’opportunité de jouir d’une réelle liber­té d’aimer qui ils ou elles veulent. 

Quels sont vos pro­jets pour réduire la vio­lence à Chicago ?

L. L. : Avec mon équipe, nous vou­lons que l’épidémie de vio­lences soit appré­hen­dée comme une crise de san­té publique. La vio­lence avec armes dévaste des familles, brise des com­mu­nau­tés et enterre les rêves des enfants, pris·es en otages dans leur propre quar­tier. Je veux qu’ils et elles puissent sor­tir par un beau jour enso­leillé d’été et pro­fi­ter des richesses de cette ville, s’amuser avec leurs ami·es au coin de la rue. Certaines familles, qui vivaient dans le South Side, ont déjà migré dans d’autres villes. On doit inver­ser cet exode qui sape la vita­li­té de notre ville. Les citoyen·nes ne devraient pas vivre dans des quar­tiers qui res­semblent à des zones de guerre. Cela pro­voque des trau­ma­tismes à vie, qui se répandent comme un virus. Pourquoi est-​ce impor­tant de l’expliquer ain­si ? Parce que cela nous oblige à regar­der les racines de la violence. 

Jusqu’à mon inves­ti­ture, on a donc, en prio­ri­té, ten­té de sen­si­bi­li­ser les forces de l’ordre, les ser­vices sociaux, les com­mu­nau­tés reli­gieuses, les asso­cia­tions, à cette pro­blé­ma­tique. Nous allons conti­nuer dans ce sens. Dans ce but, nous allons mettre en place un bureau de la sûre­té publique qui sera char­gé de déve­lop­per une stra­té­gie de pré­ven­tion de la vio­lence. Nous sou­tien­drons éga­le­ment les vic­times et les témoins de vio­lences. Et nous ferons tout pour que les professionnel·les de la ville soient formé·es aux soins des psychotraumatismes.

Vous avez tra­vaillé sur le racisme sys­té­mique et les abus de pou­voir dans la police. Allez-​vous continuer ?

L. L. : Oui, car nous devons encore réfor­mer la police. J’ai été à la tête de la Police Accountability Task Force (une équipe char­gée d’enquêter sur les méthodes de la police de Chicago) en 2015 et en 2016. On a fait un grand nombre de recom­man­da­tions, comme celle d’évaluer et d’améliorer la for­ma­tion des poli­ciers quant au res­pect des jeunes gens. Nous avons aus­si recom­man­dé plus de trans­pa­rence, notam­ment avec une poli­tique de divul­ga­tion des vidéos d’arrestations, qui per­met­tra à la popu­la­tion d’être mieux infor­mée et aux enquê­teurs de s’appuyer sur des preuves concrètes. Ce tra­vail a été repris par le dépar­te­ment de la Justice sous l’administration Obama. Il y a eu quelques pro­grès, mais il y a encore beau­coup à faire.

Vous avez aus­si pro­mis de cas­ser le cycle infer­nal de cor­rup­tion à Chicago. Comment allez-​vous procéder ?

L. L. : Avec la signa­ture d’un ordre exé­cu­tif, je vais lever les pri­vi­lèges aux­quels avaient droit nos maires d’arrondissement. Ils avaient le pou­voir de dire oui ou non à n’importe quel·le habitant·e. Si un habi­tant ou une habi­tante vou­lait un signe « stop » dans sa rue, si une PME sou­hai­tait chan­ger la devan­ture de sa bou­tique… On en est arri­vé à un point où ces maires contrô­laient tous les aspects de la vie d’un arron­dis­se­ment, du ramas­sage des pou­belles à la mise en place de la pel­le­teuse à neige. Cela a mené non seule­ment à un niveau de cor­rup­tion signi­fi­ca­tif, car trop d’élus ont uti­li­sé leur pou­voir pour leur propre béné­fice, mais cela a aus­si sapé la confiance de la popu­la­tion dans le gouvernement.

Chicago est une « ville sanc­tuaire ». [Cela signi­fie que Chicago refuse de livrer ses habitant·es sans papiers à la police de l’immigration.] Comment allez-​vous conti­nuer de pro­té­ger les exilé·es ?

L. L. : En tant que maire, je dois affir­mer et réaf­fir­mer que Chicago est vrai­ment une « ville sanc­tuaire » : il faut repré­ci­ser les droits des migrant·es dans notre ville, mais aus­si s’assurer que nous fai­sons tout ce que nous pou­vons pour être une terre d’accueil à tous les niveaux. Nous sommes une ville d’exilé·es. Celles et ceux qui viennent ici veulent une vie meilleure et nous devons les pro­té­ger. Il faut aus­si s’assurer que nous avons des loge­ments à des prix abor­dables, une bonne sécu­ri­té publique, que les exilé·es ne sont pas exploité·es, notam­ment avec de bas salaires.

Le Sénat de l’Alabama a voté, le 15 mai, une loi cri­mi­na­li­sant l’avortement, même en cas de viol. Que pensez-​vous que cela dise de l’état du pays ?

L. L. : Si nous, les femmes, n’avons plus la pos­si­bi­li­té de contrô­ler nos corps, nous sommes des esclaves. Le corps des femmes et le droit de choi­sir doivent être sacro-​saints. Je ne veux pas que Vivian, ma fille, vive dans un monde où elle ne pour­ra pas contrô­ler les cir­cons­tances dans les­quelles elle don­ne­ra ou non nais­sance à son enfant. C’est une telle atteinte aux droits civiques de base des femmes. Nous devons résis­ter pour que plus jamais cela n’arrive. En Géorgie, en Alabama, le but des conser­va­teurs est d’aller jusqu’à la Cour suprême pour faire régres­ser les droits des femmes. Ils pensent qu’ils arri­ve­ront à éli­mi­ner ain­si le droit à l’avortement. En fait, cela va même plus loin que l’avortement. Ils veulent affai­blir les femmes, ils ne veulent plus qu’elles aient la pos­si­bi­li­té d’avoir du pou­voir, le contrôle de leur vie, l’accès au tra­vail… Si on revient en arrière sur l’avortement, cela aura des effets néga­tifs en cas­cade. Donc, on ne peut pas se taire ! Il faut agir ! On doit en appe­ler aux entre­prises pour qu’elles boy­cottent ces États. Par exemple, l’industrie du ciné­ma, qui va encore tour­ner en Géorgie ou en Alabama à cause de leur taux d’impôts très bas. Nous devons affir­mer nos valeurs et être clair·es : il ne peut y avoir aucun recul, quel qu’il soit sur les droits des femmes !

Votre famille est-​elle un sou­tien essen­tiel ? Pensez-​vous que votre man­dat de maire va chan­ger votre vie avec votre femme et votre fille ?

L. L. : Je n’aurais jamais pu en arri­ver là sans l’amour et le sou­tien de ma femme, Amy, et de ma fille, Vivian. On s’écrit chaque jour pour s’assurer que cha­cune va bien, mais aus­si pour veiller à ce que toutes les trois, en tant que famille, nous allons bien. On va se trou­ver des cré­neaux pour pas­ser des moments seule­ment entre nous. Mais, oui, c’est sûr que notre vie a chan­gé et on savait que cela allait se pro­duire. Je vais faire atten­tion à ce que les chan­ge­ments soient posi­tifs. Ma fille a seule­ment 11 ans, je veux qu’elle gran­disse et qu’elle vive une enfance nor­male. Nous ferons les mêmes choses que nous fai­sons depuis qu’elle est petite : elle ira en colo­nie de vacances, elle ran­ge­ra sa chambre quand on lui deman­de­ra et je lui cour­rai tou­jours après quand elle n’aura pas fait ses devoirs… Nous ferons tout pour conser­ver notre intimité.

Que vous ont appris vos parents ?

L. L. : Ma mère, Ann, et mon père, Elijah, ont tra­vaillé très très dur et ils ont sacri­fié beau­coup pour être sûr·es que mes frères, mes sœurs et moi-​même puis­sions avoir des oppor­tu­ni­tés qu’eux n’ont jamais eues dans leur vie. Ils m’ont appris beau­coup sur l’importance de l’éducation et de la famille. Ce sont les valeurs fon­da­men­tales que j’ai por­tées avec moi toute ma vie. 

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