Lamia Haji Bachar Photo HT
Lamia Haji Bachar, à Montpellier en décembre © H.T.

La vie d’après de Lamia Haji Bachar, icône yézi­die sur­vi­vante de Daesh

Alors qu’elle n’avait que seize ans, la jeune femme ori­gi­naire d’Irak a été enle­vée en 2014 par le groupe ter­ro­riste avant de s’enfuir. Récompensée du prix Sakharov deux ans plus tard, Lamia Haji Bachar tente depuis de se recons­truire en Allemagne.

La jus­tice alle­mande a pro­non­cé un ver­dict sans pré­cé­dent le 30 novembre pour la mili­tante des droits humains, Lamia Haji Bachar, et l’ensemble de la com­mu­nau­té yézi­die. Taha Al-​Jumailly, un com­bat­tant dji­ha­diste membre de l’orgagnisation Etat isla­mique (OEI) a été jugé cou­pable de géno­cide et de crime contre l’humanité pour les mas­sacres com­mis contre les Yézidis à par­tir de 2014 en Irak. 

Une pre­mière vic­toire pour la recon­nais­sance inter­na­tio­nale des exac­tions com­mises contre le peuple yézi­di. Et un pre­mier pas pour la recons­truc­tion morale des vic­times à l’image de Lamia Haji Bachar, dis­tin­guée du Prix Sakharov en 2016 avec sa com­pa­triote Nadia Murad. « Ce prix a été l’occasion de faire entendre ma voix et celles de toutes les vic­times yézi­dies, relate-​t-​elle. Et ça a été un moyen d’atteindre une nou­velle audience auprès des dif­fé­rents pays euro­péens. » Adeptes d’une des pre­mières reli­gions mono­théistes, les Yézidis ont été par­mi les prin­ci­pales vic­times des per­sé­cu­tions orches­trées par Daesh.

La pré­sence à Montpellier de Lamia Haji Bachar, ven­dre­di 10 décembre, pour un col­loque sur la pro­tec­tion des mino­ri­tés reli­gieuses orga­ni­sé par l’Institut des droits de l’Homme du bar­reau de la ville et par l’association franco-​libanaise Offrejoie reflète un enga­ge­ment sans faille. Celui d’une ado­les­cente deve­nue porte-​parole d’une cause contre sa volonté.

« C’est impor­tant d’être pré­sente à cet évé­ne­ment pour que le monde sache ce que Daesh m’a fait subir et que ces crimes ne se répètent plus », par­tage Lamia Haji Bachar. Face au public, elle décrit le cal­vaire qu’elle a subi durant vingt mois. A 16 ans, elle a été enle­vée par Daesh à l’école avec sa sœur. La quasi-​totalité de sa famille est tuée. L’adolescente est mariée de force et devient l’esclave sexuelle des fana­tiques qui l’obligent à se convertir.

« Nouvelle vie »

Lamia Haji Bachar est ensuite ven­due à un direc­teur d'hôpital qui abuse aus­si d’elle. Avec deux autres jeunes yézi­dies, elles tentent de s’enfuir et tra­versent un champ de mines. Ses deux cama­rades meurent. La mili­tante des droits humains âgée aujourd’hui de 23 ans sur­vit, mais elle est griè­ve­ment bles­sée au visage et perd l’usage de l'œil droit. 

Grâce à sa ren­contre avec le doc­teur et acti­viste Mirza Dinnayi, cofon­da­teur de l’ONG Air Bridge Irak, elle par­vient à fuir en Allemagne en 2016 pour se faire soi­gner. Un nou­veau lieu de vie, loin des atro­ci­tés. L'icône yézi­die aux yeux noi­settes veut se recons­truire outre-​Rhin où elle réside désor­mais avec son petit frère et sa grande sœur qui ont sur­vé­cu. Elle ne sou­haite pas ren­trer en Irak.

« Mon arri­vée en Allemagne a été très com­pli­quée à cause des bles­sures à mon visage, exprime Lamia Haji Bachar qui a subi de nom­breuses opé­ra­tions chi­rur­gi­cales répa­ra­trices. C’est une nou­velle vie. Tout est com­plè­te­ment dif­fé­rent par rap­port à l’Irak. Je n’avais pas ima­gi­né quit­ter mon pays et venir en Europe. » Malgré le retard pris dans ses études, l'exilée désire deve­nir ins­ti­tu­trice pour « édu­quer les enfants, qui repré­sentent l’avenir. »

Dans cette nou­velle vie, la jeune femme a un quo­ti­dien banal dans la région de Bade-​Wurtemberg. Elle se rend au lycée de 8h jusqu’à 16h et rentre chez pour étu­dier le soir. Ses matières pré­fé­rées en classe sont l’Allemand et les sciences natu­relles. Durant son temps libre, Lamia Haji Bachar aime « se bala­der, faire les maga­sins et aller au ciné­ma » avec ses copines, elles aus­si Yézidies.

Le spectre de Daesh

Avant de s’exprimer lors du col­loque, au pre­mier rang de l'amphithéâtre, Lamia Haji Bachar reste impas­sible. Derrière son masque qui cache les stig­mates témoi­gnant de sa fuite des griffes des fous de Dieu, la jeune femme ne laisse rien pré­sa­ger des épreuves qu’elle a endu­rées. Avec ses bottes et sa tenue beige, l’ancienne pri­son­nière de l’OEI res­semble à une étu­diante ordi­naire. Pourtant, les sou­ve­nirs de sa cap­ti­vi­té res­tent dou­lou­reu­se­ment présents.

« Cela fait plus de cinq années que je souffre. Je suis res­tée sous le joug de Daesh, raconte celle qui ne renonce pas à l’idée de bâtir une famille à l’avenir. C’est très dif­fi­cile ce que j’ai vécu, mais je trouve le cou­rage en me remé­mo­rant le fait que je n’étais pas seule. De nom­breuses filles ont vécu la même chose que moi. Quand je pense à elles, je me dis que je dois conti­nuer à résis­ter. » Lamia Haji Bachar garde l’espoir de voir la jus­tice ren­due contre ses bour­reaux.
La situa­tion en Irak ne s’est pas amé­lio­rée depuis son départ selon elle. Et ce, mal­gré la vic­toire ter­ri­to­riale sur Daesh. L’idéologie fon­da­men­ta­liste per­siste et sévit tou­jours. Dans leur grande majo­ri­té, les Yézidis n’ont pas pu retour­ner dans leurs vil­lages, détruits, et demeurent encore dans des camps. Lamia Haji Bachar alerte : « On dit qu’on a éli­mi­né Daesh mais ses membres sont tou­jours là. »

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