En Pologne, la loi empêche les réfugiées ukrainiennes d’avorter alors que nombre d’entre elles ont été violées par des soldats russes ou des hébergeurs polonais.
« J’ai été violée en Ukraine, je suis en Pologne maintenant et j’ai besoin d’aide. » « Il me faut une contraception d’urgence mais la liste d’attente à l’hôpital polonais est de deux semaines. Je ne veux pas être enceinte dans un pays étranger pendant la guerre, que dois-je faire ? » Des messages comme ceux-là, la journaliste ukrainienne Nastya Podorozhnya en a reçu des dizaines sur la plateforme Martynka, une ligne d’assistance téléphonique via Télégram qu’elle a récemment mis en place pour aider les ukrainiennes réfugiées en Pologne. « On reçoit de plus en plus de questions de refugiées liées à la contraception d’urgence ou à un avortement en Pologne », indique la journaliste ,qui vit en Pologne depuis plusieurs années, dans les colonnes du média ukrainien Zaborona. « Quatre-vingt-dix-neuf Ukrainiennes m’ont déjà contactée depuis le 1er mars pour me demander comment avorter ou obtenir une pilule du lendemain », racontait, le 15 avril, à La Repubblica Justyna Wydrzynska, militante d’Avortement sans frontières, une coalition de plusieurs ONG polonaises et internationales. En Ukraine l’IVG est autorisée jusqu’à la douzième semaine de grossesse.
Depuis le début de l’invasion russe, le 24 février, la Pologne a vu passer près de trois millions d’Ukrainien·nes, dont deux millions seraient restés dans le pays et parmi lesquels une majorité sont des femmes et des enfants. Des femmes et des jeunes filles qui ont fui l’horreur. Les bombes bien sûr, mais aussi les soldats russes. Car les viols comme arme de guerre sont devenus une réalité, en témoignent les récits glaçants qui s’accumulent depuis des semaines.
« De nombreuses réfugiées ne veulent pas parler de viol auprès de la police. Elles sont prêtes à croire en leur propre culpabilité plutôt qu’en la culpabilité de la personne qui était censée les aider et leur donner un abri »
la militante polonaise Maja Stasko.
Certaines d’entre-elles sont arrivées en Pologne enceinte de leurs violeurs. Et alors qu’elles pensaient être en sécurité en Pologne, se retrouvent désormais confrontées à la loi polonaise anti-IVG qui restreint l’avortement légal aux cas de grossesses mettant en danger la santé de la mère, et de viols. Mais ceux-ci sont souvent difficilement prouvables aux yeux de la loi, peu encline à les reconnaitre. D’autres ukrainiennes sont tombées enceintes en Pologne car piégées par des hommes polonais misant sur leur confiance et promettant l’hospitalité, pour en réalité les violer. « De nombreuses réfugiées ne veulent pas parler de viol auprès de la police. Elles sont prêtes à croire en leur propre culpabilité plutôt qu’en la culpabilité de la personne qui était censée les aider et leur donner un abri », affirme la militante polonaise Maja Stasko interrogée par Zaborona.
Lenteur du système judiciaire polonais
Au-delà de se heurter à une des législations les plus strictes de toute l’Union européenne en matière d’avortement, les victimes se confrontent aussi à la lenteur et aux défaillances du système judiciaire polonais pour les cas de violence sexuelles. Une situation qui rend très difficile pour une femme de prouver qu'elle a été violée et donc d'avoir accès à un avortement légal. Comme le dénonce Nastya Podorozhnya dans les colonnes du média ukrainien : « Le mois dernier, une Ukrainienne de 19 ans s’est tournée vers la police de Wroclaw. La jeune fille, qui a fui la guerre, a déclaré qu’elle avait été hébergée par un homme de 49 ans mais qu’elle avait ensuite été violée. La police et les procureurs ont recueilli des preuves, procédé à un examen médical et à un interrogatoire. Une semaine plus tard, le tribunal a statué qu’il n’y avait pas eu de violence contre la jeune fille parce qu’elle n’avait pas résisté activement. Le juge a changé l’accusation de viol en exploitation sexuelle dans une situation de dépendance. » En Pologne, le crime d’exploitation sexuelle est moins sévèrement puni, environ trois ans de prison contre douze ans pour viol. Et ne rentre pas dans la législation permettant l'accès à l'avortement.
Des conditions qui poussent certaines Ukrainiennes à renoncer à l'idée de fuir leur pays. « Des volontaires qui se sont rendus à Bucha ont rapporté que les femmes violées là-bas ont peur de venir en Pologne. Elles connaissent nos lois et les craignent. Elles préfèrent plutôt essayer de se débrouiller là-bas, dans un pays encore ravagé par la guerre », explique Justyna Wydrzynska dans les colonnes de La Repubblica.
« Clandestinité de l’avortement »
Et pour celles qui ont fait le choix de fuir en Pologne, une « clandestinité de l’avortement » s’est organisée selon les mots de Nastya Podorozhnya. La journaliste a ainsi récemment lancé Martynka, une ligne d’assistance téléphonique via Telegram, qui vient en aide aux réfugiées ukrainiennes, assure leur sécurité ou les met en contact avec des réseaux militants comme Women on Web ou Women Help Woman, susceptibles de leur fournir des pilules du lendemain.
Selon Nastya Podorozhnya, au moins 54 femmes ayant vécu des grossesses non désirées qui avaient fui la guerre en Ukraine se sont tourné vers Women Help Woman. Les médicaments peuvent être envoyés par la poste après une téléconsultation avec un médecin étranger, qui donne son accord. En Pologne, aider une femme à avorter est un crime qui peut valoir aux « coupables » jusqu’à trois ans de prison.