Couloirs partagés, ateliers de "déconstruction de la masculinité", thérapies de groupe… L'Espagne expérimente depuis une vingtaine d'années la mixité carcérale. Et depuis deux ans, le gouvernement de gauche de Pedro Sánchez encourage davantage l'administration pénitentiaire à "développer" ce type de modules mixtes.
En Espagne, non loin de La Corogne en Galice (nord-ouest), la prison de Teixeiro est l'une des rares en Europe à disposer de quartiers totalement mixtes. Un dispositif destiné à favoriser la cohabitation entre hommes et femmes en vue de leur réinsertion. Dans le quartier Nelson Mandela, 20 femmes et 35 hommes partagent un couloir, leurs cellules côte à côte et participent ensemble quotidiennement à des activités, des formations, des thérapies de groupe et au travail collectif. L'Espagne, considéré en Europe comme une référence en matière de droits des femmes, expérimente depuis des décennies la mixité en milieu carcéral. Encouragée par son président, Pedro Sánchez, l'administration pénitentiaire du pays travaille encore plus depuis deux ans au développement de ce type de modules mixtes.
"Pourquoi la prison serait-elle le seul endroit sans mixité ?", interroge Ambra, détenue du centre pénitentiaire espagnol de Teixeiro, avant d'aller s'entraîner au foot avec des hommes. Seule femme sur le terrain de la prison, Ambra, qui préfère ne pas donner son nom de famille, fait jeu égal avec les 21 joueurs qui l'entourent. "Ça me paraît très bien de cohabiter entre hommes et femmes parce que c'est comme ça, la vie dehors", poursuit Ambra. Tou·tes volontaires pour cohabiter, les détenu·es sont sélectionné·es sur la base de leur comportement. Les personnes condamnées pour violences sexuelles sont exclues de ces initiatives de mixité. "Cela n'a pas de sens de préparer la vie en liberté, avec seulement la moitié de la population", explique Nadia Arias, directrice adjointe de la prison de Teixeiro, qui observe, dans les modules mixtes, une "normalisation du vivre-ensemble entre hommes et femmes". Au total, près de 925 hommes et 202 femmes cohabitent actuellement dans vingt quartiers mixtes du pays. Une proportion de détenu·es qui reste encore très faible par rapport à une population carcérale d'environ 47 000 personnes.
Il n'empêche, Nadia Arias voit dans ce pari des opportunités, notamment de faire en sorte "que les femmes privées de liberté, en nombre bien moindre, puissent accéder aux mêmes services" que les hommes, "de les rendre plus visibles" en prison, "de détecter leurs besoins". Parce que "les comportements machistes se reproduisent en prison comme en dehors", selon Ana Suarez, conseillère en insertion de la fondation Erguet intervenant au sein de l'établissement, la prison de Teixeiro va même jusqu'à proposer des ateliers de "déconstruction de la masculinité".
Ricardo, récidiviste passé par les quartiers d'isolement, s'est vu proposer par l'administration de la prison d'intégrer le module mixte Nelson Mandela, dont il est devenu le référent. "Au début, j'étais un peu réticent car j'avais passé beaucoup de temps en prison avec des hommes", raconte ce détenu de 47 ans qui n'aurait "jamais" pensé connaître un jour la mixité carcérale. Selon lui, la mixité carcérale n'est quand même "pas pour tout le monde". Dans les quartiers ne comptant que des hommes, "un mauvais regard peut déclencher une bagarre, la sortie d'un couteau" et "le respect se gagne en défendant tes affaires", élabore-t-il. Alma est du même avis, et explique pour sa part que les femmes qui vivent dans un module mixte doivent de leur côté savoir "mettre une barrière" avec les hommes pour "se faire respecter".
Malgré ces obstacles, la direction de la prison indique n'avoir déploré "aucun incident grave" dans les quartiers mixtes qui font face à une "forte demande" pour y accéder. Dans le reste de l'Europe, la mixité carcérale reste très limitée. En France, elle est autorisée depuis 2009, mais se cantonne par exemple aux activités, sans zones d'hébergement mixtes. Le ministère français de la Justice a cependant pour ambition de proposer plus d'activités aux femmes, afin de favoriser leur réinsertion professionnelle. Il ne compte jusqu'ici pour ce faire que sur des activités en mixité, proposées actuellement dans 43 établissements pénitentiaires, sur les 54 disposant d'un quartier de femmes.