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Marina Ovsyannikova brandit une pancarte dénonçant l’intervention militaire russe en Ukraine, pendant le journal télévisé de la chaîne publique de Russie, Pervy Kanal, le 14 mars 2022. ©Capture d'écran Pervy Kanal

« Ne croyez pas la pro­pa­gande » : le geste héroïque de Marina Ovsyannikova en plein jour­nal télé­vi­sé russe

Mise à jour du 15/​03/​21 – 17h : Marina Ovsyannikova a été condam­née ce mar­di après-​midi à une amende de 30 000 roubles (243 euros) et a été libé­rée, a indi­qué un tri­bu­nal mos­co­vite. La jour­na­liste russe était jugée pour sa vidéo enre­gis­trée dans laquelle elle vio­lait les lois sur les mani­fes­ta­tions. Elle ris­quait dix jours de déten­tion. Ce qui signi­fie qu’elle n’a pas – pour l'heure – été incul­pée du crime de publi­ca­tion « d’informations men­son­gères » sur l’armée russe.
Plus tôt dans l'après-midi, Emmanuel Macron a récla­mé à Moscou « toute la clar­té » sur la situa­tion de Marina Ovsyannikova. « Nous allons lan­cer des démarches visant à offrir une pro­tec­tion, soit à l’ambassade, soit asi­laire, à votre confrère », a décla­ré le pré­sident fran­çais devant la presse, ajou­tant qu’il aurait « l’occasion lors de [son] pro­chain entre­tien avec le pré­sident Poutine de pro­po­ser cette solu­tion de manière directe ».

La jour­na­liste et pro­duc­trice de télé­vi­sion russe Marina Ovsyannikova a été arrê­tée pour avoir fait irrup­tion, lun­di soir en direct dans le jour­nal télé­vi­sé le plus regar­dé de Russie, avec une pan­carte cri­ti­quant l’offensive mili­taire du Kremlin en Ukraine. Le pré­sident ukrai­nien, Volodymyr Zelensky a remer­cié son geste invi­tant les « Russes à se battre »

Elle s’appelle Marina Ovsyannikova et est deve­nue en l'espace de six secondes le sym­bole des opposant·es russes à l’offensive en Ukraine. Lundi 14 mars au soir, cette jour­na­liste et pro­duc­trice de télé­vi­sion russe de 44 ans a bran­di en direct une pan­carte contre la guerre en Ukraine pen­dant Vremia (« Le temps »), le jour­nal télé­vi­sé de la puis­sante chaîne télé­vi­sée russe Perviy Kanal. Un rendez-​vous quo­ti­dien sui­vi chaque jour par des mil­lions de Russes. 

C’est une scène raris­sime dans un pays où la liber­té de la presse est consi­dé­rée comme un poi­son démo­cra­tique par le Kremlin. Alors que la pré­sen­ta­trice Ekaterina Andreïeva pré­sente son jour­nal du soir, une femme blonde sur­git der­rière elle, por­tant une large pan­carte où sont peints les dra­peaux de l’Ukraine et de la Russie. Dessus, on peut lire noir sur blanc : « Non à la guerre. Ne croyez pas la pro­pa­gande. On vous ment, ici. Les Russes sont contre la guerre ». Imperturbable, la pré­sen­ta­trice du jour­nal conti­nue de par­ler quelques secondes pen­dant que Marina Ovsyannikova scande « Arrêtez la guerre ! » avant que la chaîne s’empresse de dif­fu­ser à la hâte un repor­tage sur les hôpi­taux, met­tant fin au direct sur le plateau. 

Désir de paix 

Dans une vidéo enre­gis­trée avant son action et dif­fu­sée ensuite par l’ONG de défense des droits des manifestant·es OVD-​Info, Marina Ovsyannikova – qui est née à Odessa, ville por­tuaire du sud de l’Ukraine -, explique que son père étant Ukrainien et sa mère Russe, elle n’arrivait pas à voir les deux pays comme des enne­mis. Marina Ovsyannikova, éga­le­ment mère de deux enfants, por­tait d’ailleurs dans cette vidéo un col­lier aux cou­leurs de l'Ukraine et de la Russie, signi­fiant son désir que les deux nations doivent vivre en paix. 

La jour­na­liste dénonce éga­le­ment la posi­tion des médias russes qu’elle accuse d’être des organes de pro­pa­gande du Kremlin. « Malheureusement, j’ai tra­vaillé pour Pervy Kanal, fai­sant de la pro­pa­gande pour le Kremlin. J’en ai très honte aujourd’hui, poursuit-​elle dans la vidéo enre­gis­trée. J’ai honte d’avoir honte que des men­songes soient dif­fu­sés à la télé­vi­sion, honte d’avoir per­mis que le peuple russe soit “zom­bi­fié” ». En Russie, à la télé­vi­sion, les rares médias auto­ri­sés évoquent le conflit ukrai­nien, mais tou­jours avec des mots choi­sis. L’invasion en Ukraine y est pré­sen­tée et jus­ti­fiée comme une opé­ra­tion spé­ciale de libé­ra­tion et de « déna­zi­fi­ca­tion ».

Réactions poli­tiques 

La séquence du jour­nal télé­vi­sé se pro­page depuis hier soir comme une traî­née de poudre sur les réseaux sociaux où des inter­nautes du monde entier saluent le cou­rage extra­or­di­naire de cette femme, dans un contexte de bru­tale répres­sion russe. De son côté, le pré­sident ukrai­nien Volodymyr Zelensky a remer­cié le geste de Marina Ovsiannikova dans une vidéo publiée quelques heures plus tard : « Je suis recon­nais­sant envers ces Russes qui ne cessent d’essayer de trans­mettre la véri­té. […] Tant que votre pays ne s’est pas com­plè­te­ment fer­mé au monde entier, se trans­for­mant en une très grande Corée du Nord, vous devez vous battre. Vous ne devez pas lais­ser pas­ser votre chance. »

Léonid Volkov, un proche de l’opposant russe Alexeï Navalny, empri­son­né depuis l’an der­nier après avoir sur­vé­cu à un empri­son­ne­ment, a décla­ré sur Twitter que son mou­ve­ment poli­tique Solidarnost était « prêt à payer toute amende » qui serait infli­gée à Marina Ovsyannikova. 

Lourde peine 

Pour avoir dénon­cé l'offensive et la pro­pa­gande russe, la jour­na­liste risque gros. Peu de temps après la dif­fu­sion en direct de la séquence télé­vi­sée, l'ONG OVD-​Info, qui traque les arres­ta­tions des opposant·es en Russie, a rap­por­té que Marina Ovsyannikova a été arrê­tée et emme­née au com­mis­sa­riat. « Une enquête inter­net est en train d’être menée sur cet inci­dent », a, de son côté, pré­ci­sé laco­ni­que­ment la chaîne russe dans un com­mu­ni­qué. Depuis le début de l’intervention russe en Ukraine, le 24 février, plu­sieurs mil­liers de manifestant·es ont ain­si été arrêté·es en Russie. 

Un geste d’autant plus héroïque que, selon l’agence de presse Tass, la jour­na­liste pour­rait être lour­de­ment pour­sui­vie pour avoir « dis­cré­di­té l’utilisation des forces armées russes ». Le Parlement russe a en effet fait voter le 4 mars une nou­velle loi pré­voyant de lourdes peines pou­vant aller jusqu’à quinze ans de pri­son pour la dif­fu­sion de ce que les auto­ri­tés consi­dèrent comme de « fausses infor­ma­tions » sur l’armée – dès que le mot « guerre » est pro­non­cé. Dans leur ten­ta­tive de contrô­ler toute infor­ma­tion au sujet du conflit, les auto­ri­tés ont aus­si blo­qué la plu­part des médias indé­pen­dants, ain­si que les prin­ci­paux réseaux sociaux comme Twitter, Facebook et plus der­niè­re­ment Instagram. Résultat, les Russes n’ont désor­mais accès qu’à la ver­sion déli­vrée par le Kremlin et les médias contrô­lés par ce der­nier, dont la chaîne télé­vi­sée Perviy Kanal. 

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