Mise à jour du 15/03/21 – 17h : Marina Ovsyannikova a été condamnée ce mardi après-midi à une amende de 30 000 roubles (243 euros) et a été libérée, a indiqué un tribunal moscovite. La journaliste russe était jugée pour sa vidéo enregistrée dans laquelle elle violait les lois sur les manifestations. Elle risquait dix jours de détention. Ce qui signifie qu’elle n’a pas – pour l'heure – été inculpée du crime de publication « d’informations mensongères » sur l’armée russe.
Plus tôt dans l'après-midi, Emmanuel Macron a réclamé à Moscou « toute la clarté » sur la situation de Marina Ovsyannikova. « Nous allons lancer des démarches visant à offrir une protection, soit à l’ambassade, soit asilaire, à votre confrère », a déclaré le président français devant la presse, ajoutant qu’il aurait « l’occasion lors de [son] prochain entretien avec le président Poutine de proposer cette solution de manière directe ».
La journaliste et productrice de télévision russe Marina Ovsyannikova a été arrêtée pour avoir fait irruption, lundi soir en direct dans le journal télévisé le plus regardé de Russie, avec une pancarte critiquant l’offensive militaire du Kremlin en Ukraine. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky a remercié son geste invitant les « Russes à se battre ».
Elle s’appelle Marina Ovsyannikova et est devenue en l'espace de six secondes le symbole des opposant·es russes à l’offensive en Ukraine. Lundi 14 mars au soir, cette journaliste et productrice de télévision russe de 44 ans a brandi en direct une pancarte contre la guerre en Ukraine pendant Vremia (« Le temps »), le journal télévisé de la puissante chaîne télévisée russe Perviy Kanal. Un rendez-vous quotidien suivi chaque jour par des millions de Russes.
C’est une scène rarissime dans un pays où la liberté de la presse est considérée comme un poison démocratique par le Kremlin. Alors que la présentatrice Ekaterina Andreïeva présente son journal du soir, une femme blonde surgit derrière elle, portant une large pancarte où sont peints les drapeaux de l’Ukraine et de la Russie. Dessus, on peut lire noir sur blanc : « Non à la guerre. Ne croyez pas la propagande. On vous ment, ici. Les Russes sont contre la guerre ». Imperturbable, la présentatrice du journal continue de parler quelques secondes pendant que Marina Ovsyannikova scande « Arrêtez la guerre ! » avant que la chaîne s’empresse de diffuser à la hâte un reportage sur les hôpitaux, mettant fin au direct sur le plateau.
Désir de paix
Dans une vidéo enregistrée avant son action et diffusée ensuite par l’ONG de défense des droits des manifestant·es OVD-Info, Marina Ovsyannikova – qui est née à Odessa, ville portuaire du sud de l’Ukraine -, explique que son père étant Ukrainien et sa mère Russe, elle n’arrivait pas à voir les deux pays comme des ennemis. Marina Ovsyannikova, également mère de deux enfants, portait d’ailleurs dans cette vidéo un collier aux couleurs de l'Ukraine et de la Russie, signifiant son désir que les deux nations doivent vivre en paix.
La journaliste dénonce également la position des médias russes qu’elle accuse d’être des organes de propagande du Kremlin. « Malheureusement, j’ai travaillé pour Pervy Kanal, faisant de la propagande pour le Kremlin. J’en ai très honte aujourd’hui, poursuit-elle dans la vidéo enregistrée. J’ai honte d’avoir honte que des mensonges soient diffusés à la télévision, honte d’avoir permis que le peuple russe soit “zombifié” ». En Russie, à la télévision, les rares médias autorisés évoquent le conflit ukrainien, mais toujours avec des mots choisis. L’invasion en Ukraine y est présentée et justifiée comme une opération spéciale de libération et de « dénazification ».
Réactions politiques
La séquence du journal télévisé se propage depuis hier soir comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux où des internautes du monde entier saluent le courage extraordinaire de cette femme, dans un contexte de brutale répression russe. De son côté, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a remercié le geste de Marina Ovsiannikova dans une vidéo publiée quelques heures plus tard : « Je suis reconnaissant envers ces Russes qui ne cessent d’essayer de transmettre la vérité. […] Tant que votre pays ne s’est pas complètement fermé au monde entier, se transformant en une très grande Corée du Nord, vous devez vous battre. Vous ne devez pas laisser passer votre chance. »
Léonid Volkov, un proche de l’opposant russe Alexeï Navalny, emprisonné depuis l’an dernier après avoir survécu à un emprisonnement, a déclaré sur Twitter que son mouvement politique Solidarnost était « prêt à payer toute amende » qui serait infligée à Marina Ovsyannikova.
Lourde peine
Pour avoir dénoncé l'offensive et la propagande russe, la journaliste risque gros. Peu de temps après la diffusion en direct de la séquence télévisée, l'ONG OVD-Info, qui traque les arrestations des opposant·es en Russie, a rapporté que Marina Ovsyannikova a été arrêtée et emmenée au commissariat. « Une enquête internet est en train d’être menée sur cet incident », a, de son côté, précisé laconiquement la chaîne russe dans un communiqué. Depuis le début de l’intervention russe en Ukraine, le 24 février, plusieurs milliers de manifestant·es ont ainsi été arrêté·es en Russie.
Un geste d’autant plus héroïque que, selon l’agence de presse Tass, la journaliste pourrait être lourdement poursuivie pour avoir « discrédité l’utilisation des forces armées russes ». Le Parlement russe a en effet fait voter le 4 mars une nouvelle loi prévoyant de lourdes peines pouvant aller jusqu’à quinze ans de prison pour la diffusion de ce que les autorités considèrent comme de « fausses informations » sur l’armée – dès que le mot « guerre » est prononcé. Dans leur tentative de contrôler toute information au sujet du conflit, les autorités ont aussi bloqué la plupart des médias indépendants, ainsi que les principaux réseaux sociaux comme Twitter, Facebook et plus dernièrement Instagram. Résultat, les Russes n’ont désormais accès qu’à la version délivrée par le Kremlin et les médias contrôlés par ce dernier, dont la chaîne télévisée Perviy Kanal.