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Valérie Hayer ©DR

Dix ans du Rana Plaza : pour l’eurodéputée Valérie Hayer, « l’Europe est un mar­ché puis­sant qui a les moyens de chan­ger les règles du jeu de la mondialisation »

Dix ans après l’effondrement du Rana Plaza qui a pro­vo­qué la mort de 1 138 ouvrier·ières au Bangladesh, la dépu­tée euro­péenne Renaissance Valérie Hayer pro­pose un « méca­nisme équi­table » pour que les mul­ti­na­tio­nales de l’industrie tex­tile rému­nèrent digne­ment les travailleur·euses qui fabriquent nos vête­ments à l'autre bout du monde. 

Il y a dix ans, le 24 avril 2013, le Rana Plaza, usine de fabri­ca­tion tex­tile, s’effondrait dans la ban­lieue de Dacca, capi­tale du Bangladesh, tuant plus de 1 130 per­sonnes – prin­ci­pa­le­ment des ouvrières – et en bles­sant plus de 2 000. Tous·toutes tra­vaillaient pour le compte de sous-​traitants de grandes marques de vête­ments occi­den­tales comme Camaïeu, H&M, Primark ou Mango. 

Avec l’effondrement du bâti­ment de huit étages – l’une des pires catas­trophes indus­trielles de notre his­toire contem­po­raine – , le monde décou­vrait avec effroi, les sales des­sous de la fast fashion, fabri­quée prin­ci­pa­le­ment au Bangladesh dans des condi­tions bafouant les droits humains. Après la catas­trophe, les prin­ci­pales mul­ti­na­tio­nales de la mode ont signé avec des syn­di­cats locaux et inter­na­tio­naux un accord sur la sécu­ri­té des bâti­ments et la pré­ven­tion des incen­dies. La France s’est, elle, dotée en 2017 d’une loi sur le devoir de vigi­lance des entre­prises, qui engage la res­pon­sa­bi­li­té des grands indus­triels fran­çais vis-​à-​vis de leurs sous-​traitants, y com­pris à l’étranger, en matière de droits humains, de san­té et de pro­tec­tion de l'environnement.

Dix ans après le drame du Rana Plaza, la dépu­tée euro­péenne Renaissance de Mayenne Valérie Hayer sou­haite aller plus loin. Elle s’est ren­due à Dacca début avril dans le cadre d’une mis­sion par­le­men­taire pour ren­con­trer des acteur·rices du sec­teur de l'industrie tex­tile et défendre sa pro­po­si­tion légis­la­tive visant à ins­tau­rer un « méca­nisme équi­table aux fron­tières » pour les mul­ti­na­tio­nales qui vendent sur le sol euro­péen des pro­duits fabri­qués à l’autre bout du monde. Valérie Hayer explique à Causette en quoi ce méca­nisme per­met­tra d’améliorer les condi­tions de tra­vail des travailleur·euses. 

Causette : Vous por­tez une pro­po­si­tion légis­la­tive pour rendre l'industrie tex­tile plus équi­table à tra­vers une meilleure rému­né­ra­tion des travailleur·euses au Bangladesh et ailleurs. Sur quoi porte-​t-​elle pré­ci­sé­ment ?
Valérie Hayer : On est par­ti d'un constat assez simple : sur notre mar­ché euro­péen, il y a des tas de pro­duits tex­tiles qui sont fabri­qués à l'autre bout du monde par des tra­vailleurs qui vivent dans des condi­tions de tra­vail extrê­me­ment dif­fi­ciles, notam­ment avec des salaires qui sont très en des­sous du seuil d'extrême pau­vre­té. À tra­vers ce « méca­nisme équi­table aux fron­tières » nous vou­lons que les mul­ti­na­tio­nales, qui sou­haitent impor­ter des pro­duits sur notre mar­ché, s'assurent que leurs tra­vailleurs à l'autre bout du monde dans leur chaîne d'approvisionnement soient payés au moins au niveau du seuil d'extrême pau­vre­té défi­ni par la Banque mon­diale.
Je vais vous don­ner un exemple très concret que j'ai pu obser­ver lors de mon dépla­ce­ment au Bangladesh. Là-​bas, les employés du sec­teur tex­tile qui tra­vaillent dans le cadre de la mon­dia­li­sa­tion sont payés en géné­ral 2,50 $ par jour. Or, le seuil d'extrême pau­vre­té défi­ni par la Banque mon­diale au Bangladesh est de 3,65 $. C'est-à-dire que les tra­vailleurs sont payés 1,15 $ en des­sous du seuil d'extrême pau­vre­té. Avec le méca­nisme équi­table que je pro­pose, on deman­de­ra aux mul­ti­na­tio­nales soit d’augmenter le salaire de leurs tra­vailleurs au Bangladesh, donc de les payer 1,15 $ par jour en plus, soit de payer une charge auprès de l'Union euro­péenne équi­va­lente à la différence. 

Lire aus­si I Bangladesh : les nippes de la honte

Où en-​est votre pro­po­si­tion de loi ? 
V.H. : Elle a été adop­tée par la com­mis­sion des bud­gets du Parlement euro­péen le 17 avril der­nier. Il faut savoir qu’elle s’inscrit plus lar­ge­ment dans un rap­port sur les res­sources propres du bud­get euro­péen dans lequel nous devions trou­ver des idées pour ali­men­ter ce bud­get. L’ensemble de ce rap­port sera sou­mis au vote des 705 dépu­tés au mois de mai. On ver­ra à ce moment-​là si l’idée est sou­te­nue. Si c’est le cas, ce sera à la com­mis­sion euro­péenne d’en faire une pro­po­si­tion de loi concrète avec des modalités. 

Concernant ces moda­li­tés, sait-​on d'ores-et-déjà de quelle manière s’effectueront les contrôles ? 
V.H. : Cela fera l’objet de dis­cus­sions si cette idée devient une pro­po­si­tion concrète. On peut ima­gi­ner que ces contrôles passent par les États membres de l'UE par les­quels les pro­duits tran­sitent ou par une agence spé­ci­fique euro­péenne. Tout cela est à réfléchir. 

« On a vu au Bangladesh que lorsque s'exerce une pres­sion inter­na­tio­nale, par exemple sur les ques­tions de sécu­ri­té, les condi­tions de tra­vail s’améliorent. »

Lors de votre mis­sion par­le­men­taire au Bangladesh, vous avez ren­con­tré des représentant·es de l’Organisation inter­na­tio­nale du tra­vail mais aus­si des indus­triels comme H&M, Inditex (Zara) et Fair Group, la plus grande orga­ni­sa­tion d’exportateurs tex­tile. Qu’est-ce qui est res­sor­ti de ces échanges ? 
V.H : La volon­té d’améliorer les rému­né­ra­tions des tra­vailleurs. Depuis l’effondrement du Rana Plaza, il y a eu une amé­lio­ra­tion des condi­tions de tra­vail en matière de sécu­ri­té notam­ment. Du moins en ce qui concerne les entre­prises qui tra­vaillent à l’exportation, car j’ai vu des sys­tèmes élec­triques vétustes dans des entre­prises qui s’adressent uni­que­ment au mar­ché natio­nal. Sur ce point, je crains qu’un deuxième Rana Plaza se pro­duise un jour car il n’y a pas la pres­sion inter­na­tio­nale dans ce sec­teur.
Sur l’importation, on a vu au Bangladesh que les condi­tions changent et s’améliorent en matière de sécu­ri­té avec la pres­sion inter­na­tio­nale. Mais si les condi­tions de sécu­ri­té se sont amé­lio­rées, ce n’est pas le cas des condi­tions de tra­vail. La rému­né­ra­tion des tra­vailleurs n’a presque pas été trai­tée en dix ans. J’ai ren­con­tré des ouvriers qui tra­vaillent au moins dix heures par jour, six jours sur sept, et n’ont pas de quoi vivre dignement. 

« Ce méca­nisme est avant tout un moyen de pres­sion sur les mul­ti­na­tio­nales pour les pous­ser à aug­men­ter les salaires. »

Selon votre méca­nisme, deux choix s’offriront donc à un indus­triel tex­tile : mieux rému­né­rer les travailleur·euses au sein de sa chaîne de sous-​traitance ou payer l’Union euro­péenne. N’avez-vous pas peur que de nom­breux indus­triels pré­fèrent payer l’UE plu­tôt que d’augmenter les salaires de leurs travailleur·euses ? 
V.H. : Je pense qu’ils auront tout inté­rêt à mieux payer leurs tra­vailleurs parce qu’il y a une attente de plus en plus forte des consom­ma­teurs. Il y a aus­si une demande des sous-​traitants eux-​mêmes. Ceux que j'ai ren­con­trés m'ont plu­sieurs fois dit : « Plus nos tra­vailleurs sont payés, plus ils sont pro­duc­tifs ». C’est donc dans l’intérêt de tous. Si ces entre­prises décident de payer l'UE, on s’arrangera pour que cet argent revienne direc­te­ment aux tra­vailleurs. Il ne faut pas oublier que ce méca­nisme est avant tout un moyen de pres­sion sur les mul­ti­na­tio­nales pour les pous­ser à aug­men­ter les salaires. On va aus­si tra­vailler sur un filet de sécu­ri­té de manière à ce que l’augmentation des salaires ne se réper­cute pas sur des horaires accrus. 

Fin mars, le par­le­ment euro­péen orga­ni­sait un défi­lé de mode éthique pour sen­si­bi­li­ser à la pro­ve­nance de nos vête­ments, avec le mes­sage « atten­tion à ce que vous por­tez ». Adhérez-​vous à cette res­pon­sa­bi­li­sa­tion du consom­ma­teur ?
V.H. : Je pense que c’est impor­tant de res­pon­sa­bi­li­ser les consom­ma­teurs. Ce que je constate aus­si, c’est que les consom­ma­teurs sont de plus en plus vigi­lants et regar­dants sur la pro­ve­nance de leurs vête­ments, mais aus­si sur les condi­tions de tra­vail dans les­quelles ils sont pro­duits. C’est en tout cas notre res­pon­sa­bi­li­té, en tant que par­le­men­taires, d’alerter et d’informer sur la réa­li­té des condi­tions de tra­vail de ces ouvriers qui nous habillent tous les jours et qui sont très loin de nous. 

Lire aus­si I Au Parlement euro­péen, un défi­lé de mode pour inter­pe­ler les citoyen·nes sur les condi­tions de fabri­ca­tion de leurs vêtements

Mi-​septembre, la pré­si­dente de la Commission euro­péenne Ursula von der Leyen a dévoi­lé les contours d’un plan pour éra­di­quer du sol euro­péen les pro­duits issus ou par­tiel­le­ment du tra­vail for­cé. La pro­po­si­tion de loi que vous por­tez s’inscrit-elle dans ce plan ? 
V.H. : Oui, tout cela est com­plé­men­taire. L’Europe est un mar­ché puis­sant qui a les moyens de chan­ger les règles du jeu de la mondialisation. 

En 2017, la France adop­tait une loi sur le devoir de vigi­lance, enga­geant la res­pon­sa­bi­li­té des grands indus­triels vis-​à-​vis de leurs sous-​traitants, y com­pris à l’étranger. C'est aus­si le cas en Allemagne depuis le mois de jan­vier, tan­dis que les Pays-​Bas ont lan­cé un par­cours légis­la­tif pour une dis­po­si­tion simi­laire. Au niveau euro­péen, le Conseil euro­péen a adop­té en décembre der­nier la direc­tive sur le devoir de vigi­lance à l'échelle euro­péenne. Une légis­la­tion com­mune à l'Europe est donc en cours ?  
V.H. : Oui, il y a des légis­la­tions natio­nales qui ont été adop­tées mais l’idée c’est d’avoir aujourd’hui une légis­la­tion euro­péenne. Cela per­met­tra d'atteindre une cohé­rence totale à l’échelle des 27 États membres sur ce qu’on impose à nos entre­prises en matière de pro­tec­tion du cli­mat et de droits humains. 

Lire aus­si l Environnement : l’Union euro­péenne a adop­té une loi inter­di­sant l'importation de pro­duits issus de la déforestation

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