Décès de la jour­na­liste qué­bé­coise Denise Bombardier : celle qui avait osé dénon­cer Matzneff à la télé

L’écrivaine est décé­dée mar­di à l’âge de 82 ans. En 1990, elle avait pris à par­tie Gabriel Matzneff qui se van­tait d’avoir des rela­tions sexuelles avec des mineures. Une indi­gna­tion cou­ra­geuse qui lui aura valu à l'époque nombre de critiques. 

Capture d’écran 2023 07 05 à 16.59.11
Denise Bombardier, au salon inter­na­tio­nal
du livre de Québec en 2013 ©Asclepias

Denise Bombardier est décé­dée à l’âge de 82 ans mar­di 4 juillet, empor­tée par un can­cer ful­gu­rant et « entou­rée des gens qui l’aimaient », a annon­cé sa famille dans un com­mu­ni­qué, évo­quant « sa force extra­or­di­naire, son esprit et son grand humour, qu’elle aura eu jusqu’à la der­nière heure. » Féministe enga­gée, la jour­na­liste et roman­cière qué­bé­coise fut l’une des pre­mières à s’imposer dans le boys club des médias qué­bé­cois à l'orée des années 70. Elle a notam­ment tra­vaillé pen­dant plus de trente ans pour la chaîne de télé­vi­sion fran­co­phone, Radio Canada.

« Femme de parole et de tête, Denise Bombardier était une grande Montréalaise qui avait le cou­rage de ses opi­nions », a salué la maire de Montréal, Valérie Plante, sur Twitter. Un hom­mage jus­ti­fié au regard des prises de posi­tion de Denise Bombardier. Elle avait par exemple osé s’attaquer publi­que­ment à l’écrivain Gabriel Matzneff. C’était en mars 1990 sur le pla­teau d’Apostrophes, l’émission de Bernard Pivot dif­fu­sée sur Antenne 2 qui réunis­sait alors deux à trois mil­lions de téléspectateur·trices.

Denise Bombardier, roman­cière, vient pré­sen­ter son der­nier livre, Tremblement de cœur (Seuil). Parmi les autres écrivain·es invité·es de l’émission : Alexandre Jardin, Catherine Hermary-​Vieille et donc Gabriel Matzneff. À l’époque, l’homme aujourd’hui visé par une enquête pour viols sur mineur·es, est une figure emblé­ma­tique des milieux lit­té­raires et poli­tiques français.

Indignation et complaisance

Le pré­sen­ta­teur Bernard Pivot ques­tionne Matzneff sur la sor­tie de son der­nier ouvrage, Mes amours décom­po­sés (Gallimard) qui fait l’apologie des rela­tions sexuelles avec des mineures : « Pourquoi vous êtes-​vous spé­cia­li­sé dans les lycéennes et les minettes ? Au-​dessus de 20 ans, on voit que ça ne vous inté­resse plus ». Ce der­nier lui répond sans scru­pule : « Je pré­fère avoir dans ma vie des gens qui ne sont pas encore dur­cis, qui sont plus gen­tils. Une fille très, très jeune est plu­tôt plus gen­tille ». La réponse de Matzneff déclenche aus­si­tôt les rires gras des invité·es et du public. Sauf chez Denise Bombardier. Choquée, elle réagit tout de suite. « Je crois que je vis actuel­le­ment sur une autre pla­nète parce que j’arrive d’un conti­nent où il y a un cer­tain nombre de choses aux­quelles on croit. Nous sommes à la fin du XXe siècle, et nous défen­dons le droit des enfants et on les pro­tège. […] Monsieur Matzneff nous raconte qu’il sodo­mise des jeunes filles de 14 ans, 15 ans, qui sont folles de lui. On sait bien que des petites filles peuvent être folles d’un homme avec une aura lit­té­raire. D’ailleurs, on sait que les vieux mes­sieurs attirent des enfants avec des bon­bons », déclare-​t-​elle avant de conclure : « Je crois que s’il était un employé ano­nyme de n’importe quelle socié­té, il aurait des comptes à rendre avec la jus­tice de ce pays ». Sur le pla­teau, autour d’elle, on sou­rit, on rit presque de son indi­gna­tion. De son côté, Gabriel Matzneff la qua­li­fie d’« agres­sive ».

Plus de vingt ans après cette séquence, Denise Bombardier n’avait d’ailleurs tou­jours pas chan­gé d’avis. En 2019 auprès du Parisien, elle revient sur cet épi­sode expli­quant qu’elle avait pré­pa­ré son inter­ven­tion en amont. « J'avais lu le livre de Gabriel Matzneff, Mes Amours décom­po­sés, et j'avais été écœu­rée par ce qu'il décri­vait : Matzneff expli­quait qu'il sodo­mi­sait des petites filles de 14, 15, 16 ans… J'étais sidé­rée qu'on puisse invi­ter l'auteur de ce livre à la télé­vi­sion ! », se souvenait-​elle. Ce cou­rage lui aura tout de même coû­té une cer­taine visi­bi­li­té en France. « Je n'ai plus jamais eu de chro­niques pour mes livres dans cer­tains jour­naux, comme Le Monde. Les – nom­breux – sou­tiens de Matzneff m'ont cari­ca­tu­rée comme une femme mora­li­sa­trice et d'extrême droite », sou­li­gnait Denise Bombardier dans Le Parisien.

Il aura fal­lu attendre Le Consentement de Vanessa Springora en 2020 pour que se brise, enfin, l’omerta autour de Matzneff. Ce livre dans lequel l’écrivaine revient sur la rela­tion trau­ma­ti­sante qu’elle a eue à 14 ans avec Gabriel Matzneff dans les années 80, sous le regard tou­jours com­plai­sant du milieu lit­té­raire, Denise Bombardier l’a lu. « Il y a quelques jours, d'ailleurs, Vanessa Springora m'a envoyé un cour­riel, dans lequel elle me dit que mon inter­ven­tion lui a don­né du cou­rage et l'a aidée à écrire… », glissait-​elle au Parisien il y a quatre ans. Comme quoi, d’un cou­rage à l’autre, il n’y a sou­vent qu’un pas.

Lire aus­si I "Le Consentement" : une adap­ta­tion théâ­trale magis­trale, avec une Ludivine Sagnier incandescente

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.