En Belgique existent depuis 2017 des Centres de Prise en charge des Violences Sexuelles qui proposent aux victimes un accueil et un suivi complet au niveau médico-légal mais aussi psychologique. Un projet voué à s’étendre sur l’ensemble du territoire belge qu’observent avec intérêt les féministes françaises.
En plein cœur de la capitale belge, entre deux rues étroites de l’historique quartier des Marolles, l’enclave du CHU Saint-Pierre. Parsemés dans l’hôpital mais indépendants de celui-ci, les locaux du CPVS bruxellois accueillent nuit et jour celles et ceux qui ont subi des violences sexuelles. Les différents professionnels du lieux, spécialement formés, proposent une prise en charge globale à ces victimes depuis 2017, date de lancement de ce projet pilote financé par l’Institut de l’Égalité homme femme.
Jugé primordial quant à l'amélioration de l'état des victimes, l'accueil de ces dernières entre ces murs blancs égayés d'affiches colorées se veut aussi doux et respectueux que possible : la personne va d'abord être longuement entendue par une infirmière ou une sage-femme légiste afin que ses besoins soient clairement compris et que la procédure qui s'ensuive lui corresponde au mieux. Celle-ci commence par la gestion de l'aspect médico-légal : contrairement à ce qui est en vigueur dans un hôpital classique, le dépôt d’une plainte n’est ici pas nécessaire pour prélever des échantillons d’ADN de l’agresseur.euse sur la victime. Ceux-ci sont conservés durant six mois, au cas où la personne déciderait finalement d’enclencher une action légale, bien que « d’un point de vue judiciaire, ces prélèvements pèsent moins lourds, même s’ils sont réalisés de la même façon, car ils n’ont pas été demandés par un magistrat, ce dont on informe évidemment les victimes », précise Céline Van Vaerenbergh, sage-femme et coordinatrice du CPVS de Bruxelles. La récolte de preuves, qui se réalisait au préalable avec le Set d’Agression sexuelle (SAS), un kit médical qui obligeait à des examens très complets, a également été adaptée de façon à être la moins intrusive possible – on se contentera par exemple de l’ADN trouvé sur les vêtements de la victime s’il y en a en suffisance, au lieu de lui faire subir un entretien gynécologique. La pièce dans laquelle se réalise l'examen est intimiste, équipé d’un rideau à l'opacité protectrice et à proximité immédiate d'une douche afin que les victimes puissent s’y laver dès l’examen fini.
Suivi complet
![Belgique : une prise en charge complète des victimes de violences sexuelles dans des centres spécialisés 2 CVPS 2](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/CVPS-2-769x1024.jpg)
qui arrivent parfois en pleine nuit
Outre l’examen médico-légal, les victimes reçoivent des soins préventifs : pilule du lendemain, vaccin contre l’hépatite B, traitement prophylaxique contre le VIH, antibiotiques prévenant d'autres MST… Un suivi médical est organisé dans les mois qui suivent les faits pour un rappel de vaccin et un check-up général. Le centre collabore également avec le Planning familial, voisin immédiat de ses locaux rue Haute, lorsqu’un IVG est souhaité.
Une prise en charge qui était techniquement déjà de mise dans les hôpitaux avant la création des CPVS mais dont la qualité était souvent aléatoire, faute de temps et de moyens. Il en va de même pour le suivi psychologique des victimes : « si vous aviez de la chance, on vous filait une liste de psy, sinon on vous renvoyait chez vous sans rien » raconte Céline. Ici, différentes psychologues formées sur le sujet discutent avec les victimes afin de lui offrir un encadrement adéquat. Le nombre de séances – gratuites – de psy par patient·e tourne en moyenne autour de cinq mais peut monter jusqu'à vingt. L'éventuel·le accompagnant·e de ces dernières se voit également offrir une séance s'iel en ressent le besoin.
Selon que la victime souhaite ou non porter plainte, le CPVS contacte ensuite la cellule spéciale EVA, pour Emergency Victim Assistance. Celle-ci est composée de policiers volontaires, formés et sélectionnés spécialement pour ce genre de situations.
![Belgique : une prise en charge complète des victimes de violences sexuelles dans des centres spécialisés 3 CVPS 3](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/CVPS-3-1024x769.jpg)
Le centre prend en charge des personnes ayant subi des actes de violences sexuelles datant d’un mois maximum. « Après 7 jours, on ne peut plus récupérer d’ADN, après deux semaines il devient impossible d’administrer des soins préventifs mais on a opté pour un délai d’un mois : c’est la limite pour désamorcer le déclenchement d’un syndrome de stress post-traumatique. » Elle précise cependant : « ça ne veut pas dire qu’on n’accueille plus les personnes en détresse au-delà de cette période, on va évidemment les écouter et essayer de les rediriger au mieux. »
Une initiative en pleine expansion
En moyenne, une quarantaine de victimes, lesquelles sont des femmes à 90%, sont accueillies chaque mois par le centre, gratuitement et sans distinction de leur lieu de résidence – ni même leur nationalité – Sarah Schlitz, l'actuelle Secrétaire d’État à l'Égalité des chances et à la Diversité ayant mis un point d'honneur à institutionnaliser la prise en charge de femmes sans-papier ces derniers mois.
Malgré leur ancienneté de presque cinq années, les CPVS restent une initiative relativement méconnue de la population, et ce, même dans les milieux sensibilisés à la question. Anna, 24 ans, étudiante et militante féministe, n’a par exemple découvert leur existence qu’il y a quelques mois, lors d’une conférence sur le mouvement #BalanceTonBar, qui dénonce les violences sexuelles dans le monde de la nuit. Ces récentes prises de parole par les victimes de violences sexuelles ont fait naître des demandes de renforcement de liens entre campus universitaires et centres, bien entendus par Sarah Schlitz. « Il est difficile de transposer le modèle des centres actuels, situés en milieu hospitalier, à une université, mais notre plan actuel prévoit que d'ici début 2023, chaque potentielle victime se situera à une heure de route maximum d'un CPVS » déclare la Secrétaire d'État, qui place un tiers de son budget d'une cinquantaine de millions d'euros dans la gestion de ceux-ci.
C'est pour répondre à une demande de la Convention d'Istanbul, texte européen visant à éradiquer les violences faites aux femmes, ratifié en 2016 par la Belgique, que les trois premiers centres ont été crées en 2017 par l'Institut pour l'Égalité. Après deux ans de projet pilote, une enquête de satisfaction a dévoilé que 95% des personnes y ayant transité étaient satisfaites de leur prise en charge, un chiffre plus qu'encourageant qui a engagé la création de trois nouveaux centres dans la foulée. Au nombre de six aujourd'hui, il est prévu d'en implanter quatre nouveaux d'ici début 2023.
Qu’en dit la France ?
Emmanuelle Piette, directrice du Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV) se bat depuis des années pour que des centres similaires à ceux du plat pays soient instaurés dans l’Hexagone. « On a visité très tôt les CPVS belges et on a été vraiment impressionnées par la qualité de la prise en charge : on te file des sous-vêtements propres pour que tu ne rentres pas à poil après avoir dû filé ta culotte pour les prélèvements, les policiers te ramènent en civil pour ne pas ameuter tout le quartier… Ce sont des détails qui peuvent paraître insignifiants mais qui font une différence énorme pour les victimes. » Elle déplore qu'en France, autant au niveau du suivi médical que de l'accueil réservés aux victimes par les gendarmes ou les policiers, « c'est la loterie : s'ils sont sympas, bingo, si tu tombes sur un type qui bat sa femme, tant pis pour toi ».
Selon la militante, la qualité de la prise en charge influe directement le fait que les victimes de violences sexuelles portent ou non plainte : « 50% de celles qui passent par les CPVS portent plainte, contre 10% en moyenne en France, la preuve que l'impact est énorme. Après, ce qui résulte de ces plaintes, c'est encore une autre histoire… »
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