Amanishakhéto, la guer­rière borgne qui fit trem­bler l’Empire romain

Parmi les femmes les plus puissantes de l’Antiquité, on compte les candaces. Ces reines ont gouverné, il y a deux mille ans, en Nubie, le royaume de Koush, au nord du Soudan actuel. La plus connue est Amanishakhéto, aussi sage que guerrière.

stele of queen amanishakheto from naqa in modern day sudan. 1st century ce. state museum of egyptian art munch
Stèle représentant la candace Amanishakhéto, au centre, au
Ier siècle avant notre ère. © Wikimedia

Les auteurs antiques les nomment candaces, un titre qui provient d’un terme nubien désignant la mère d’un roi. Une candace était une régente un peu spéciale : quand le jeune roi atteignait l’âge adulte, elle conservait toute son autorité. Plusieurs se sont succédé en Nubie, au Ier siècle avant notre ère et au Ier siècle de notre ère. Si bien qu’elles apparaissent comme les grandes figures politiques de l’époque. Les rois et princes qui se trouvaient à leurs côtés ne semblent avoir joué qu’un rôle secondaire. Beaucoup de zones d’ombre demeurent sur l’histoire des candaces, car leur langue, le méroïtique, a sombré dans l’oubli depuis la fin de l’Antiquité et n’a toujours pas été déchiffrée.

Grâce aux recherches archéologiques, on en identifie trois, qui se sont succédé de mère en fille : Amanirenas, Amanishakhéto et Amanitoré. Elles régnaient dans un vaste palais à Méroé, capitale du royaume, au milieu d’un luxuriant domaine. Les dimensions de l’édifice sont exceptionnelles : les fouilles ont montré qu’il ne comptait pas moins de soixante pièces au seul rez-de-chaussée. On peut supposer que ses deux ou trois étages en possédaient tout autant.

À sa mort, chaque candace était ensevelie dans une pyramide précédée d’un temple, dans la nécropole royale. Celle d’Amanishakhéto, la plus célèbre d’entre elles, a été retrouvée au XIXe siècle, hélas pillée. Heureusement, les voleurs avaient oublié une série de bijoux, bien cachés, qui sont aujourd’hui exposés dans un musée à Berlin. Les œuvres d’art récupérées nous montrent que les candaces jouaient un rôle religieux : en tant que grandes prêtresses, elles dirigeaient le culte rendu aux divinités du royaume. Mais leur vraie originalité, en tant que femmes de pouvoir de l’époque, était de commander l’armée, de conduire les expéditions militaires et de négocier les traités de paix, comme les rois. 

Plantureuse souveraine

Ces puissantes cheffes de guerre affirmaient leur redoutable autorité grâce à un art de propagande, tout à leur gloire. Sur les façades des temples, elles se font représenter comme des géantes et dans des poses guerrières. À Naqa, un sanctuaire dédié au dieu lion Apédémak, près de Méroé, la candace Amanitoré, fille d’Amanishakhéto, apparaît en pleine action, en train de décapiter en même temps plusieurs ennemis qu’elle tient par les cheveux. Il s’agissait d’impressionner le peuple. Amanitoré en profite aussi pour afficher sa formidable corpulence : elle est dotée de larges épaules et de hanches puissantes. Plantureuse souveraine, elle en impose.

Amanishakhéto monte sur le trône à la mort ­d’Amanirenas, sa mère, et devient candace à son tour. Elle épouse son frère, suivant la tradition, et règne seule après la mort de celui-ci. Elle entretient d’excel­lentes relations avec une autre reine, la très célèbre Cléopâtre d’Égypte, dont le royaume se trouve au nord de Koush. 

Cependant, en 31 avant notre ère, celui qui va devenir l’empereur Auguste écrase Cléopâtre et prend possession de l’Égypte qu’il transforme en province de ­l’Empire romain. Les Romains pratiquent la ségrégation à l’égard des populations locales, méprisées et corvéables à merci. Certains Égyptiens s’échappent et trouvent refuge dans le royaume de Koush. Ainsi, le propre fils de Cléopâtre tente de fuir, mais il est intercepté et mis à mort par les Romains avant d’y parvenir.

C’en est trop pour Amani­shakhéto. Par solidarité avec le peuple égyptien opprimé, et aussi pour faire ­trembler ses nouveaux voisins romains, elle pénètre avec ses troupes – environ trente mille hommes – dans le sud de l’Égypte, nous rapporte l’écrivain romain Strabon*. L’auteur décrit la candace comme une redoutable cheffe militaire « féroce et borgne », depuis qu’elle a perdu un œil au combat.  

La tête d’Auguste comme paillasson

Au moment où arrivent les troupes de la candace, la population du sud de l’Égypte est en pleine insurrection contre les Romains. Amanishakhéto est accueillie en libératrice. Les légionnaires de la garnison d’Éléphantine, l’actuelle ville ­d’Assouan, sont massacrés jusqu’au dernier. Le peuple en furie en profite pour détruire au passage les statues de l’empereur, symboles de l’oppression romaine. Un colosse de bronze représentant Auguste est décapité sur ordre de la candace. Le corps est fondu, mais Amanishakhéto rapporte la tête de son ennemi à Méroé et la fait enterrer sous le seuil du palais royal. Ainsi, la reine et ses officiers le piétinent chaque jour. Humiliation symbolique mais spectaculaire du maître du monde romain. 

Auguste prépare sa vengeance : il envoie une expédition qui reprend Éléphantine et châtie sévèrement les insurgés. Puis les Romains pénètrent en Nubie. Ils détruisent Napata, la seconde ville du royaume, et son temple dédié au grand dieu Amon. Amanishakhéto est vaincue, mais elle négocie avec sagesse un traité de paix qui lui laisse son royaume, trop éloigné de Rome pour exciter la convoitise de l’empereur. Auguste désire seulement assurer la sécurité de la frontière méridionale de l’Égypte, qui lui appartient. Amanishakhéto s’engage à mettre fin à tout acte d’hostilité. Mais elle ne rend pas la tête de la statue, qu’elle continue de piétiner tous les jours ! Redécouverte au XIXe siècle, sous le seuil de la porte où elle avait été enterrée, l’auguste crâne de bronze est aujourd’hui exposé à Londres, au British Museum. 

Amanishakhéto laissera le trône à sa fille, Amanitoré, une reine bâtisseuse. Cette même Amanitoré deviendra, 2017 ans plus tard, l’héroïne du jeu vidéo Civilisation VI. Et toujours puissante !

* Géographie XVII, 54, de Strabon. 

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