Depuis le 1er février, la jeunesse birmane défie les soldats. Malgré une escalade de la violence, ils et elles restent déterminé·es à renverser la junte.
« Je me cache, les militaires sont en bas de chez moi. » Dans son appartement, en banlieue de Rangoun, Phyo ne lâche pas son téléphone. Ses ami·es, avec qui elle vient de manifester, lui envoient des photos des soldats qui siègent au pied de son immeuble. L’un d’eux·elles lui transfère une carte de son quartier. Aux quatre coins, des colonnes de camions militaires bloquent les accès. « Je les déteste, j’ai détesté toute mon enfance sous la dictature. Ils ont mis en place un système d’éducation pour nous laver le cerveau », fustige la jeune femme de 28 ans.
Depuis le coup d’État militaire du 1er février dernier, Phyo manifeste tous les jours ou presque dans les rues de Rangoun. Comme des milliers d’autres femmes, elle brandit son htamein, ce bout de tissu traditionnel qu’elle noue autour de la taille, tel un étendard. Cela fait déjà plusieurs semaines que les Birmanes ont pris l’habitude d’étendre leur sarong sur des cordes à linge, aux croisements des grandes avenues et lieux de protestation. Connus pour leur superstition et leur misogynie, les soldats de la Tatmadaw, nom donné aux forces armées birmanes, craignent de perdre leur virilité s’ils passent sous ces cordes. « Il y a le feu dans ma rue, ils brûlent nos sarongs, ils ne supportent pas de les voir », nous informe Phyo, en nous montrant les images.
Tirs le jour, raids la nuit
Avant le putsch du 1er février, elle était interne dans un hôpital public. Mais toute son équipe et ses ami·es ont rejoint le mouvement de désobéissance civile. « Je travaillais dans un centre de dépistage et de prévention du Covid, mais tout a été interrompu », poursuit-elle. Depuis, elle continue son travail dans une clinique privée pour venir en aide aux nombreux·euses contestataires blessé·es. « Le jour, ils nous brutalisent, nous tirent dessus alors que nous sommes sans arme. La nuit, ils mènent des raids et sèment la terreur en venant arrêter les personnes chez elles. Mais nous devons continuer à manifester pour nos droits », assure-t-elle.
Chaque jour, la répression s’intensifie dans tout le pays. Certain·es jeunes, tombé·es sous les balles, sont devenu·es les martyr·es de la révolution. À l’image de la jeune Kyal Sin, surnommée Angel. Cette manifestante de 19 ans portait un tee-shirt « Everything will be OK ! » quand des soldats l’ont abattue, d’un tir à la tête, alors qu’elle tentait de protéger d’autres participant·es, lors d’une manifestation à Mandalay, le 3 mars dernier. Son portrait a fait le tour du monde. Suu Chit l’a croisée quelques fois lors des manifestations. Comme une grande majorité de la jeunesse birmane, elle est prête à tout pour défier les militaires, au péril de sa vie. « Nous vaincrons coûte que coûte, je n’ai aucun doute là-dessus », martèle cette défenseure des droits humains, présidente de l’association The Seagull, qui milite pour la paix. Connue pour son activisme, elle est recherchée et doit changer d’appartements tous les jours pour ne pas être retrouvée. Deux membres de son équipe ont déjà été arrêtés et emprisonnés. « Je ne suis pas en sécurité, mais je n’ai pas peur, rien ne m’arrêtera », jure-t-elle. « Si nous ne protestons pas contre le régime militaire, la prochaine génération grandira avec de mauvais systèmes d’éducation, de santé et de gouvernance comme j’ai pu le vivre quand j’étais petite. Je ne veux pas que mon pays tombe à nouveau dans l’autocratie », explique la militante de 29 ans.
À Rangoun, Maung Maung ne veut rien lâcher, malgré la fatigue qui commence à se faire sentir. Tous les jours, il rejoint les rangs des contestataires, même si sa mère craint pour sa vie. « Ils veulent la guerre. Depuis le début, ils veulent faire réagir la population, mais nous n’avons pas peur », tempère ce guide touristique de 27 ans. « Il y a quelques jours, les soldats ont jeté une grenade devant mon appartement, alors, même si je ne sors pas, je ne suis pas en sécurité. » Et d’affirmer : « On n’a pas le choix, soit on perd notre futur, soit on lutte. Ce ne sont pas des policiers, ni même des militaires, ce sont des terroristes qui sont face à nous. »
Appel à l'aide viral
C’est le premier coup d’État en Birmanie où la jeunesse a accès à Internet, malgré la censure de la junte. Dès les premières heures du mouvement, beaucoup ont ouvert un compte Twitter comme Maung Maung. Très vite, le hashtag #WhatsHappeninginMyanmar est né. Tous les jours, des milliers de photos des manifestations, des blessés, des militaires qui tirent sur la foule circulent. Et des appels à l’aide aussi. « La communauté internationale doit nous aider, nous ne pourrons pas nous en sortir sans eux », plaide le jeune homme.
Si des sanctions ont été prises, l’ONU reste divisée sur la conduite à suivre. Pour Amnesty International, « tout indique que les militaires ont adopté une stratégie consistant à tirer pour tuer afin d’étouffer la contestation. » Selon un communiqué de l’Association d’aide aux prisonniers politiques de Birmanie (AAPP‑B) publié le 8 mars, 1857 personnes ont été arrêtées et 1538 sont toujours en détention depuis le putsch de février. Plus de soixante personnes ont été tuées. Mais ces chiffres pourraient s'envoler aujourd’hui. Dans la nuit de lundi à mardi, l’armée a encerclé le quartier de Sanchaung, à Rangoun, bloquant des centaines de manifestant·es. Selon plusieurs témoignages, des dizaines de personnes ont été arrêtées. « Certains de mes amis sont encore coincés là-bas, mais les voisins sortent manifester », rapporte Phyo. Face aux balles, les Birman·es préfèrent frapper sur des poêles et des casseroles pour montrer leur réprobation. « Ce soir, c'est Sanchaung, demain ce sera un autre quartier. Notre plan est de manifester de manière pacifique. Nous ne voulons pas être gouvernés par eux un seul jour de notre vie. Je suis en colère, je suis triste, mais je suis avant tout déterminée », nous écrit-elle, avant de repartir pour un autre jour de lutte.
Lire aussi l Birmanie : Les déçus de la « Dame de Rangoun »