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Une manifestante crie des slogans lors des manifestations du coup d'État militaire., le 9 mars 2021 à Mandalay. © Kaung Zaw Hein / SOPA Images

Birmanie : « On n'a pas le choix, soit on perd notre futur, soit on lutte »

Depuis le 1er février, la jeu­nesse bir­mane défie les sol­dats. Malgré une esca­lade de la vio­lence, ils et elles res­tent déterminé·es à ren­ver­ser la junte.

« Je me cache, les mili­taires sont en bas de chez moi. » Dans son appar­te­ment, en ban­lieue de Rangoun, Phyo ne lâche pas son télé­phone. Ses ami·es, avec qui elle vient de mani­fes­ter, lui envoient des pho­tos des sol­dats qui siègent au pied de son immeuble. L’un d’eux·elles lui trans­fère une carte de son quar­tier. Aux quatre coins, des colonnes de camions mili­taires bloquent les accès. « Je les déteste, j’ai détes­té toute mon enfance sous la dic­ta­ture. Ils ont mis en place un sys­tème d’éducation pour nous laver le cer­veau », fus­tige la jeune femme de 28 ans.

Depuis le coup d’État mili­taire du 1er février der­nier, Phyo mani­feste tous les jours ou presque dans les rues de Rangoun. Comme des mil­liers d’autres femmes, elle bran­dit son hta­mein, ce bout de tis­su tra­di­tion­nel qu’elle noue autour de la taille, tel un éten­dard. Cela fait déjà plu­sieurs semaines que les Birmanes ont pris l’habitude d’étendre leur sarong sur des cordes à linge, aux croi­se­ments des grandes ave­nues et lieux de pro­tes­ta­tion. Connus pour leur super­sti­tion et leur miso­gy­nie, les sol­dats de la Tatmadaw, nom don­né aux forces armées bir­manes, craignent de perdre leur viri­li­té s’ils passent sous ces cordes. « Il y a le feu dans ma rue, ils brûlent nos sarongs, ils ne sup­portent pas de les voir », nous informe Phyo, en nous mon­trant les images.

Tirs le jour, raids la nuit

Avant le putsch du 1er février, elle était interne dans un hôpi­tal public. Mais toute son équipe et ses ami·es ont rejoint le mou­ve­ment de déso­béis­sance civile. « Je tra­vaillais dans un centre de dépis­tage et de pré­ven­tion du Covid, mais tout a été inter­rom­pu », poursuit-​elle. Depuis, elle conti­nue son tra­vail dans une cli­nique pri­vée pour venir en aide aux nombreux·euses contes­ta­taires blessé·es. « Le jour, ils nous bru­ta­lisent, nous tirent des­sus alors que nous sommes sans arme. La nuit, ils mènent des raids et sèment la ter­reur en venant arrê­ter les per­sonnes chez elles. Mais nous devons conti­nuer à mani­fes­ter pour nos droits », assure-t-elle.

Chaque jour, la répres­sion s’intensifie dans tout le pays. Certain·es jeunes, tombé·es sous les balles, sont devenu·es les martyr·es de la révo­lu­tion. À l’image de la jeune Kyal Sin, sur­nom­mée Angel. Cette mani­fes­tante de 19 ans por­tait un tee-​shirt « Everything will be OK ! » quand des sol­dats l’ont abat­tue, d’un tir à la tête, alors qu’elle ten­tait de pro­té­ger d’autres participant·es, lors d’une mani­fes­ta­tion à Mandalay, le 3 mars der­nier. Son por­trait a fait le tour du monde. Suu Chit l’a croi­sée quelques fois lors des mani­fes­ta­tions. Comme une grande majo­ri­té de la jeu­nesse bir­mane, elle est prête à tout pour défier les mili­taires, au péril de sa vie. « Nous vain­crons coûte que coûte, je n’ai aucun doute là-​dessus », mar­tèle cette défen­seure des droits humains, pré­si­dente de l’association The Seagull, qui milite pour la paix. Connue pour son acti­visme, elle est recher­chée et doit chan­ger d’appartements tous les jours pour ne pas être retrou­vée. Deux membres de son équipe ont déjà été arrê­tés et empri­son­nés. « Je ne suis pas en sécu­ri­té, mais je n’ai pas peur, rien ne m’arrêtera », jure-​t-​elle. « Si nous ne pro­tes­tons pas contre le régime mili­taire, la pro­chaine géné­ra­tion gran­di­ra avec de mau­vais sys­tèmes d’éducation, de san­té et de gou­ver­nance comme j’ai pu le vivre quand j’étais petite. Je ne veux pas que mon pays tombe à nou­veau dans l’autocratie », explique la mili­tante de 29 ans.

À Rangoun, Maung Maung ne veut rien lâcher, mal­gré la fatigue qui com­mence à se faire sen­tir. Tous les jours, il rejoint les rangs des contes­ta­taires, même si sa mère craint pour sa vie. « Ils veulent la guerre. Depuis le début, ils veulent faire réagir la popu­la­tion, mais nous n’avons pas peur », tem­père ce guide tou­ris­tique de 27 ans. « Il y a quelques jours, les sol­dats ont jeté une gre­nade devant mon appar­te­ment, alors, même si je ne sors pas, je ne suis pas en sécu­ri­té. » Et d’affirmer : « On n’a pas le choix, soit on perd notre futur, soit on lutte. Ce ne sont pas des poli­ciers, ni même des mili­taires, ce sont des ter­ro­ristes qui sont face à nous. »

Appel à l'aide viral

C’est le pre­mier coup d’État en Birmanie où la jeu­nesse a accès à Internet, mal­gré la cen­sure de la junte. Dès les pre­mières heures du mou­ve­ment, beau­coup ont ouvert un compte Twitter comme Maung Maung. Très vite, le hash­tag #WhatsHappeninginMyanmar est né. Tous les jours, des mil­liers de pho­tos des mani­fes­ta­tions, des bles­sés, des mili­taires qui tirent sur la foule cir­culent. Et des appels à l’aide aus­si. « La com­mu­nau­té inter­na­tio­nale doit nous aider, nous ne pour­rons pas nous en sor­tir sans eux », plaide le jeune homme.

Si des sanc­tions ont été prises, l’ONU reste divi­sée sur la conduite à suivre. Pour Amnesty International, « tout indique que les mili­taires ont adop­té une stra­té­gie consis­tant à tirer pour tuer afin d’étouffer la contes­ta­tion. » Selon un com­mu­ni­qué de l’Association d’aide aux pri­son­niers poli­tiques de Birmanie (AAPP‑B) publié le 8 mars, 1857 per­sonnes ont été arrê­tées et 1538 sont tou­jours en déten­tion depuis le putsch de février. Plus de soixante per­sonnes ont été tuées. Mais ces chiffres pour­raient s'envoler aujourd’hui. Dans la nuit de lun­di à mar­di, l’armée a encer­clé le quar­tier de Sanchaung, à Rangoun, blo­quant des cen­taines de manifestant·es. Selon plu­sieurs témoi­gnages, des dizaines de per­sonnes ont été arrê­tées. « Certains de mes amis sont encore coin­cés là-​bas, mais les voi­sins sortent mani­fes­ter », rap­porte Phyo. Face aux balles, les Birman·es pré­fèrent frap­per sur des poêles et des cas­se­roles pour mon­trer leur répro­ba­tion. « Ce soir, c'est Sanchaung, demain ce sera un autre quar­tier. Notre plan est de mani­fes­ter de manière paci­fique. Nous ne vou­lons pas être gou­ver­nés par eux un seul jour de notre vie. Je suis en colère, je suis triste, mais je suis avant tout déter­mi­née », nous écrit-​elle, avant de repar­tir pour un autre jour de lutte.

Lire aus­si l Birmanie : Les déçus de la « Dame de Rangoun »

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