Témoignage de Sylvia Apata, juriste, enseignante en relations internationales et secrétaire exécutive de l’organisation CPDEFM1, à Abidjan.
« Le grand Abidjan a été isolé du reste de la Côte d’Ivoire. On recense environ 1 500 cas 2 sur l’ensemble du pays. Ce n’est pas énorme. Et heureusement, car les CHU ne sont pas du tout suffisamment équipés en respirateurs. Le confinement est recommandé, il y a un couvre-feu de 21 heures à 5 heures. Et, officiellement, les lieux publics sont désinfectés la nuit… Officiellement aussi, il y a des indemnités pour les plus pauvres et la distribution de matériel sanitaire… De fait, il y a eu des dons des organisations internationales, mais ils n’arrivent pas vraiment jusqu’à la population. La présidentielle aura lieu à l’automne prochain et il semblerait que le matériel sanitaire soit plutôt distribué par le pouvoir actuel à ses partisans. C’est devenu un enjeu de précampagne électorale. Au début, les cartons permettant d’emballer masques et gels hydroalcooliques étaient estampillés à l’effigie du Premier ministre ! Ça a fait tellement scandale qu’il a dû s’en expliquer sur les réseaux sociaux. Une grande majorité de la population subsiste grâce au travail informel. Donc ils ne peuvent pas respecter le confinement. S’il n’y a pas de compensation financière, ce n’est pas le corona qui va tuer les gens, mais la famine.
Le gros fléau, c’est aussi la recrudescence des violences conjugales. Une étude menée par mon association en 2019 a révélé que 70 % des femmes sont victimes de violences à Abidjan en temps normal. Mais là, c’est catastrophique. D’habitude, les hommes travaillent ou vaquent à leurs occupations, donc les femmes ont un peu de répit. En ce moment, avec le manque d’argent et l’enfermement, ils déversent leur colère. Et nous, nous sommes démunies, car il n’y a pas un seul centre d’hébergement ici. Le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant nous rebat les oreilles avec son soi-disant seul et unique centre. Mais je suis allée voir, il n’a de centre que le nom ! Avec sept fonctionnaires payés à rien faire, car ils n’ont aucun matériel, aucune infrastructure. Il n’y a aucune volonté politique de faire évoluer la situation. Ici, la femme exemplaire, c’est celle qui encaisse les coups et qui se tait. Tant qu’on présentera le mariage comme le seul avenir possible pour les femmes, on ne s’en sortira pas. »
1. Citoyennes pour la promotion et défense des droits des enfants, femmes et minorités.
2. Les interviews ayant été réalisées du 5 au 15 mai, ces chiffres ont probablement évolué entre-temps.