Turquie
Un appel à manifestation le 26 mars contre le retrait de la Convention, par l'association We will stop feminicides.

Convention d’Istanbul : pour­quoi le départ de la Turquie est une très mau­vaise nouvelle

L’annonce, ven­dre­di 19 mars, du retrait de la Turquie du texte inter­na­tio­nal qui lutte contre les vio­lences faites aux femmes sus­cite l’inquiétude de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, qui redoute que cette déci­sion ouvre la voie à d’autres pays. 

Si ce n’était pas aus­si triste, ce serait fran­che­ment iro­nique. La Turquie a été le pre­mier pays à rati­fier la Convention d'Istanbul, texte inter­na­tio­nal qui encadre la lutte contre les vio­lences faites aux femmes et porte le nom de la plus grande ville du pays. C’était en 2012. Neuf ans plus tard, la Turquie est le pre­mier Etat à en sor­tir. Juste après l’annonce de la publi­ca­tion du décret, dans la nuit du 19 au 20 mars, plu­sieurs mani­fes­ta­tions se sont orga­ni­sées dans la plus grande ville du pays ain­si qu’à Ankara, la capi­tale, pour contes­ter cette déci­sion du pré­sident Erdogan. D'autres doivent éga­le­ment se tenir ce week-​end. « Certaines décla­ra­tions du gou­ver­ne­ment avaient son­né l’alerte, com­mente Françoise Brié, la direc­trice géné­rale de la Fédération natio­nale soli­da­ri­té Femmes (FNSF) qui repré­sente la France au sein du GREVIO, un groupe indé­pen­dant char­gé de veiller à la mise en œuvre de la Convention. Le fait que ça devienne effec­tif est catas­tro­phique pour les femmes turques. Et quel sym­bole ter­rible en matière de lutte contre les violences !» 

Lire aus­si l Auprès des femmes turques qui refusent de voir leur pays quit­ter la Convention d’Istanbul

Un texte « moderne » qui fait vriller les conservateurs

Le trai­té fête­ra bien­tôt ses dix années d’existence. 46 pays l’ont signé mais seule­ment 34 l’ont rati­fié et ont adop­té des lois lut­tant contre les vio­lences. La Convention s’appuie sur quatre piliers : des élé­ments pour orga­ni­ser la pré­ven­tion des vio­lences via la for­ma­tion des poli­ciers, par exemple ; des recom­man­da­tions pour la pro­tec­tion des vic­times avec l'instauration de numé­ros d'urgence ; l'engagement à sanc­tion­ner les auteurs de vio­lences et enfin, des sug­ges­tions pour orga­ni­ser une poli­tique natio­nale claire de lutte contre ce fléau. « C’est une feuille de route très com­plète, détaille Françoise Brié. C’est aus­si un texte moderne qui parle de sté­réo­types sexistes et de vio­lences de genre, c’est-à-dire visant les femmes. Il est aus­si beau­coup atta­qué car beau­coup d’opposants le per­çoivent comme un outil qui, je mets des gros guille­mets, "favo­ri­se­rait l’homosexualité et détrui­rait la famille". » 

La simple pré­sence de la notion de genre suf­fit à faire vriller cer­tains conser­va­teurs. Le 8 mars der­nier, le Conseil euro­péen a d’ailleurs accu­sé cer­tains « groupes poli­tiques » de faire « des décla­ra­tions trom­peuses contre le trai­té ». « On assiste à un vrai back­lash depuis 2015, ana­lyse Moana Genevey est char­gée des poli­tiques de genre au sein d’Equinet, un réseau euro­péen pour la pro­mo­tion de l’égalité. Plusieurs pays euro­péens comme la Pologne, la Hongrie ou la Bulgarie mènent des cam­pagnes pour dis­cré­di­ter le trai­té. Tout ceci est pilo­té par Agenda Europe, groupe qui ras­semble des extré­mistes reli­gieux et des hommes d’affaires conser­va­teurs hos­tiles aux droits des femmes, l’avortement ou les droits des per­sonnes LGBT. Je vous invite à lire le rap­port Restaurer l'ordre natu­rel rédi­gé par le par­le­ment euro­péen, qui montre l’aspect orga­ni­sé de ces attaques. » La jeune femme redoute donc que cette déci­sion crée un « effet domi­no » dans les autres pays, notam­ment ceux de l’Union euro­péenne qui ne l’ont tou­jours pas rati­fié. L’UE tente d’ailleurs, en vain, de mettre la pres­sion sur ces récalcitrants.

La perte d’un garde-​fou très précieux

Si on com­prend bien le sym­bole poli­tique très fort, il est plus dif­fi­cile de mesu­rer les effets directs de cette déci­sion pour les femmes turques. On peut tout de même craindre une modi­fi­ca­tion des textes de loi. Bien sûr, le pou­voir ne dit pas qu’il va délais­ser les femmes, mais il pré­fère orga­ni­ser les choses à sa sauce, en consi­dé­rant qu'il n'y a pas besoin de remettre en ques­tions le modèle patriar­cal. Le vice-​président turc, Fuat Oktay, n’a d’ailleurs pas dit autre chose quand il a twee­té : « La pré­ser­va­tion de notre tis­su social tra­di­tion­nel pro­té­ge­ra la digni­té des femmes. Il n’est pas néces­saire de cher­cher le remède en dehors de chez nous, d’imiter les autres. La solu­tion est dans nos tra­di­tions et nos cou­tumes, dans notre essence. » 

Un repli sur soi qui sera for­cé­ment pré­ju­di­ciable aux femmes. Adhérer à la Convention d’Istanbul, c’est accep­ter la visite des experts du GREVIO, par exemple, qui se rendent régu­liè­re­ment sur le ter­rain. « Le pays perd un ins­tru­ment de dia­logue et de pro­gres­sion, regrette Françoise Brié. Quand on voit le sys­tème machiste en place dans le pays, c’est inquié­tant. » En 2020, la Turquie a recen­sé près de 300 fémi­ni­cides, selon le décompte du groupe We Will Stop Feminicide. Début mars, la vidéo d’une femme bat­tue dans la rue par son ex-​mari avait sus­ci­té l’émoi dans le pays. « Les asso­cia­tions ne vont pas arrê­ter leur tra­vail, évi­dem­ment, avance Moana Genevay. Mais ce retrait du trai­té enlève une forme de regard exté­rieur inter­na­tio­nal et retire un pré­cieux garde-​fou. »

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