annie edson taylor american daredevil
Carte postale d’Annie avec son fameux tonneau, au bas des chutes. © AKG Images

Annie Edson Taylor : le grand saut du haut des chutes du Niagara

Un siècle avant le sau­teur extrême autri­chien Felix Baumgartner, Annie Edson Taylor a, elle aus­si, accom­pli un saut his­to­rique, le jour de ses… 63 ans. Enfermée dans un ton­neau, elle s’est jetée du haut des chutes du Niagara. Et, ô miracle, elle a survécu. 

Annie Edson Taylor, sur­nom­mée pour la pos­té­ri­té « la Reine de la brume », avait une cer­taine pré­di­lec­tion pour jouer les têtes brû­lées. Trop tôt orphe­line, elle gran­dit dans un pen­sion­nat et dévore des romans d’aventures. À 18 ans, elle se marie, tombe enceinte, perd son enfant, puis son époux. Seule à 20 ans, sa vie est devant elle. Déterminée à conci­lier sa voca­tion d’enseignante et son âme de voya­geuse, elle met les voiles. D’Albany (État de New York), elle arrive à Austin, dans le Texas. 

Le sang-​froid d’une tête brûlée

C’est là que, pour la pre­mière fois, elle connaît la peur, la vraie. Dans une forêt, entre San Antonio et Austin, des voleurs prennent d’assaut sa dili­gence. Devant son refus de leur don­ner les 800 dol­lars cachés dans son man­teau, les gang­sters lui mettent un revol­ver sur la tempe. Elle leur répond : « Tirez ! De toute façon, je serai bien­tôt soit sans cer­velle, soit sans argent. » Soufflés, les voleurs décampent. Avec cette trempe à la John Wayne, Annie par­court pen­dant près de qua­rante ans toute la côte Est du pays : elle donne des cours de fran­çais, de danse, de sport chez des par­ti­cu­liers, dans des ins­ti­tu­tions ou des écoles. Mais les années – et la forme phy­sique – pas­sant, les pos­tu­lants se font rares. 

En 1900, Annie a 62 ans et plus un radis en poche. S’il faut se refaire, c’est main­te­nant ou jamais. Lorsqu’elle apprend que l’Exposition pan­amé­ri­caine de Buffalo – sorte d’Exposition uni­ver­selle géante – se tient à 40 kilo­mètres des chutes du Niagara, elle décide d’y ten­ter sa chance. Lui vient alors cette idée folle et far­fe­lue : « Passer les chutes du Niagara dans un ton­neau 1. » Un exploit jamais vu, et ban­kable, croit-​elle : son récit, ses pho­tos sou­ve­nirs s’arracheraient comme des petits pains, sa for­tune serait assu­rée. Persuadée qu’elle sur­vi­vra à une chute de 57 mètres et au ter­rible fra­cas des flots qui l’attend en contre­bas, Annie engage un mana­ger et conçoit seule son ton­neau de 73 kilos en chêne blanc du Kentucky. Non sans avoir préa­la­ble­ment fait le test avec une petite chatte, res­sor­tie grog­gy mais vivante de l’aventure, elle se lance, le 24 octobre 1901. Un bateau les dépose, elle et son ton­neau, sur la rivière, à dis­tance pru­dente du pré­ci­pice. Elle pré­sage alors du pire : « En entrant dans le ton­neau, je ne me dis pas, comme l’aurait fait Dante : “Vous qui entrez, lais­sez toute espé­rance”, mais ce que j’affronte comme inévi­table […], c’est la vie ou une mort horrible. » 

Dans le chau­dron bouillon­nant des chutes

Après une heure en ton­neau sur les rapides – « une sen­sa­tion agréable » –, Annie tombe dans le vide. Blottie, le corps bar­dé de cous­sins, elle convoque l’Esprit saint. « Un sen­ti­ment d’une hor­reur abso­lue. » Elle s’évanouit presque tout de suite. Plongé, secoué pen­dant vingt minutes dans le chau­dron 2 bouillon­nant des chutes, le ton­neau est repé­ré par le capi­taine d’un bateau de tou­risme jus­te­ment bap­ti­sé… Maid of the Mist3, « la Demoiselle des brumes » ! Quand le cou­vercle s’ouvre, Annie entend la rumeur : « La femme est vivante ! » Sonnée, le front en sang, elle est muette, mais elle sait qu’elle a réussi.

Hélas, la veuve désar­gen­tée n’a pas tiré de son aven­ture ce qu’elle en escomp­tait. Après des années de spec­tacles et de pho­tos sou­ve­nirs dans les foires, entre femmes à barbe et nains man­chots, son fameux mana­ger la mène en bateau, se rem­plit les poches et s’en va… empor­tant avec lui le pré­cieux ton­neau ! Après s’être essayée à la voyance, elle meurt, à 82 ans, dans un hos­pice. Par la suite, nombre de casse-​cou ont ten­té de réité­rer son exploit, seuls ou à deux, dans des ton­neaux en fer­raille ou en bois. Mais c’est bien la vieille Annie qui fut la pre­mière effron­tée à avoir eu le cou­rage de trem­per ses jupons dans les plus célèbres cas­cades d’Amérique ! 

1. C’est ce qu’on peut lire dans le récit de ses aven­tures, Over the Falls, Annie Edson Taylor’s Story of Her Trip.

2. Le chau­dron d’une cas­cade est l’étendue d’eau, sou­vent pro­fonde et bouillon­nante, for­mée au pied des chutes. 

3. Maid of the Mist (« la Demoiselle des brumes ») ren­voie à une légende amé­rin­dienne. Une belle jeune fille, Lelawala, se serait jetée dans les chutes pour fuir un mariage for­cé et aurait été recueillie dans les bras du dieu Tonnerre, qui l’attendait dans la brume. 


Over the Falls, Annie Edson Taylor’s Story of Her Trip, 1902. Disponible en télé­char­ge­ment gra­tuit sur archive.org. 

Queen of the Mist. The Forgotten Heroine of Niagara, de Joan Murray. Éd. Beacon Press,128 pages, 2000.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.