« The Future is Female », petite his­toire d’un slo­gan planétaire

Quand les pro­prié­taires de la librai­rie fémi­niste new-​yorkaise Labyris Books ont impri­mé quelques tee-​shirts flan­qués de ce mes­sage en 1975, elles étaient loin de se dou­ter que, près de cin­quante ans plus tard, la phrase serait reprise dans le monde entier. 

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Alix Dobkin © Liza Cowab

Alix Dobkin a enfi­lé un tee-​shirt par-​dessus son col rou­lé bleu clair. Elle l’a ren­tré conscien­cieu­se­ment dans son pan­ta­lon vert. En ce jour de prin­temps 1975, sa com­pagne Liza Cowan veut abso­lu­ment la prendre en pho­to. Celle-​ci aspire à deve­nir pho­to­graphe et pré­pare une confé­rence sur l’histoire les­bienne dans le cadre d’un ras­sem­ble­ment d’activistes en Californie. Elle a pré­vu d’y pré­sen­ter une série de por­traits sur le style ves­ti­men­taire des les­biennes inti­tu­lée What The Well Dressed Dyke Will Wear (« Ce que les gouines bien habillées portent »). Elle demande donc à Alix, autrice-​compositrice et chan­teuse de musique folk, de prendre la pose. Alix s’exécute. 

Symbole du pou­voir féminin 

Appuyée contre la façade de leur mai­son de Potter Hollow, dans l’État de New York, elle arbore fiè­re­ment son tee-​shirt « The Future is Female », ache­té dans une librai­rie du quar­tier de Greenwich Village. Au dos, une hache à double tran­chant – un labrys – est des­si­née. Un sym­bole mytho­lo­gique qui repré­sente le pou­voir matriar­cal et fémi­nin et qui a ins­pi­ré aux fon­da­trices le nom de leur maga­sin. « Marizel Rios et Jane Lurie, nos amies qui tenaient Labyris Books, une librai­rie fémi­niste de New York, ont eu l’idée de ce tee-​shirt, se sou­vient Liza Cowan, jointe chez elle dans le Vermont. Un jour, elles ont séri­gra­phié une cin­quan­taine de vête­ments avec cette phrase pour lever des fonds. » 

Séduite par ce slo­gan, Liza Cowan pro­pose de réa­li­ser 250 badges pour le dif­fu­ser davan­tage. À l’époque, elle gérait une petite entre­prise arti­sa­nale bap­ti­sée White Mare Inc., qui fabri­quait jus­te­ment des badges. Elle a beau se creu­ser les méninges, Liza Cowan ne par­vient pas à se sou­ve­nir de l’identité de la per­sonne à l’origine de cette formule.

Même quarante-​sept ans plus tard, le mys­tère demeure entier. Sans doute les fon­da­trices de Labyris y sont-​elles pour quelque chose ? Mais laquelle a eu l’inspiration pour cette for­mule à la fois poé­tique et mili­tante ? « Je dois dire que je ne sais pas à qui on doit cette phrase, précise-​t-​elle en riant. Je ne sais même pas vrai­ment ce qu’elle signi­fie. C’est pré­ci­sé­ment pour ça que je l’aime, parce qu’il n’y a pas un seul sens à lui don­ner. À l’époque, il y avait beau­coup de slo­gans fémi­nistes drôles ou des­ti­nés à nous faire réflé­chir et celui-​ci en fait par­tie. Je pense que s’il a autant eu de suc­cès, c’est parce qu’il est imprécis. »

C’est peu dire que cette phrase a connu un écho reten­tis­sant. Politique d’abord. Le 21 jan­vier 2017, au len­de­main de l’investiture de Donald Trump, 450 000 femmes mani­festent à Washington à l’occasion de la Women’s March. Si les pan­cartes sont nom­breuses, la pro­messe d’un futur fémi­nin consti­tue le cri de ral­lie­ment. Quelques jours plus tard, le 6 février, Hillary Clinton, bat­tue à la pré­si­den­tielle, fait son retour sur le devant de la scène. « Malgré tous les défis aux­quels nous sommes confron­tés, je reste per­sua­dée que oui, le futur est fémi­nin », lance-​t-​elle dans une vidéo. 

Merchandising

Mais l’écho de cette for­mule est aus­si com­mer­cial. Si vous tapez « The Future is Female » dans Google, le nombre de pro­duits déri­vés risque de vous don­ner le tour­nis. Sweat-​shirts, affiches, agen­das 2022, tasses, gourdes, et même… un tablier de cuisine. 

Comment le tee-​shirt por­té par Alix Dobkin, morte en mai 2021, s’est-il décli­né de la sorte ? Comment un slo­gan inven­té dans une petite librai­rie new-​yorkaise a‑t-​il cir­cu­lé de façon si expo­nen­tielle ? Liza n’a pas recons­ti­tué toutes les pièces du puzzle, mais elle a quand même une petite idée. 

Il y a dix ans, elle a don­né une inter­view à un blog bap­ti­sé Dyke Duds, aujourd’hui fer­mé. Pour illus­trer l’article et mettre en ligne son tra­vail, elle se rend au Centre d’archives les­biennes de New York, qui a gar­dé les néga­tifs de ses pho­tos de l’époque et les numé­rise. Un autre blog, Dapper Q, publie à son tour ces images. « La per­sonne qui tient un compte Instagram bap­ti­sé @h_e_r_s_t_o_r_y [sur la culture les­bienne, ndlr] a pos­té la pho­to d’Alix, com­mente Liza Cowan. Rachel Berks, la fon­da­trice du concept store et site Otherwild consa­cré à la culture queer et aux femmes, l’a repé­ré et a déci­dé d’éditer une nou­velle série de tee-​shirts. Puis la man­ne­quin Cara Delevingne a été pho­to­gra­phiée en 2015 par un papa­raz­zi avec l’un d’eux et c’est deve­nu viral. »

Pour Sylvie Borau, pro­fes­seure de mar­ke­ting à la Toulouse Business School, cette phrase avait tous les atouts pour se trans­for­mer en man­tra mon­dial et faire un car­ton sur Internet. « Elle est à la fois simple, per­cu­tante et symé­trique en termes de sono­ri­té, analyse-​t-​elle. Sur le fond, c’est un mes­sage posi­tif qui donne du pou­voir et qui n’est pas très enga­geant, un peu comme dire qu’on est contre la guerre. » Pourtant, et c’est là tout le para­doxe, à l’époque où elle a vu le jour, cette phrase avait des accents mili­tants. Alix et Liza appar­te­naient toutes deux au cou­rant dit du sépa­ra­tisme les­bien, qui prô­nait la non-​mixité et cher­chait à créer pour les femmes, notam­ment les­biennes, des espaces de tran­quilli­té sans les hommes. 

Pas sûr que, quarante-​sept ans plus tard, toutes les per­sonnes qui boivent leur thé dans une tasse « The Future is Female » aient enten­du par­ler de ce mouvement…

« Si on nous avait dit à Alix et moi, il y a plus de qua­rante ans, que cette pho­to et ce tee-​shirt feraient autant sen­sa­tion dans la pop culture, nous aurions dit que c’était impos­sible », s’amuse Liza Cowan. Consciente que la radi­ca­li­té du slo­gan a aujourd’hui un peu dis­pa­ru, elle n’en tire aucune amer­tume. « La dimen­sion mili­tante et le com­bat du mou­ve­ment les­bien ne sont pas for­cé­ment connus de tout le monde. Mais ça ne m’appartient plus vrai­ment désor­mais. Le monde a chan­gé », admet-​elle avec philosophie.

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