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© Pierre Petit

Julie-​Victoire Daubié : il y a 160 ans, pre­mière bache­lière de France

Ténacité, intel­li­gence et fémi­nisme… Il y a exac­te­ment 160 ans, le 17 août 1861, à 37 ans, cette Vosgienne devient la toute pre­mière femme à obte­nir le baccalauréat.

Lors de la ses­sion 2021 du bac­ca­lau­réat, près de 51 % des candidat·es étaient des filles. Et elles repré­sen­taient 57 % des admis·es. Pourtant, le fait de pré­sen­ter le bac­ca­lau­réat en tant que femme n’est pas si ancien. Si l’examen est ins­tau­ré en 1809, il fau­dra patien­ter plus d’un demi-​siècle de can­di­dats uni­que­ment mas­cu­lins pour voir la pre­mière femme pas­ser, puis décro­cher le pré­cieux sésame. Ce 17 août marque ain­si le 160e anni­ver­saire de l’obtention du bac­ca­lau­réat par Julie-​Victoire Daubié. 

L’éducation des femmes 

Très tôt, la jeune Vosgienne se sai­sit de la cause des femmes. Née en 1824, elle gran­dit à Fontenoy-​le-​Château, dans une famille issue de la petite bour­geoi­sie catho­lique. Elle côtoie néan­moins la misère des ouvrier·ères, des domes­tiques ou des mères céli­ba­taires, notam­ment au bureau de bien­fai­sance de la ville. Si elle a « peu à voir avec la situa­tion des ouvrières, raconte à Causette Yannick Ripa, his­to­rienne spé­cia­liste de l’histoire des femmes, elle impute, en par­tie, celle-​ci à leur igno­rance, dont souffrent éga­le­ment les femmes de sa propre classe sociale ».

« Cette expé­rience l’a convain­cue que l’éducation des femmes était indis­pen­sable », pour­suit Yannick Ripa. Avant de décro­cher le bac, Julie-​Victoire Daubié obtient ain­si un bre­vet d’institutrice ain­si que le cer­ti­fi­cat de capa­ci­té pour l’enseignement supé­rieur, à seule­ment 20 ans, mais se heurte à une forte réti­cence à la fémi­ni­sa­tion de l’enseignement. À la même époque, elle s’élève contre le manque de qua­li­fi­ca­tions de cer­taines reli­gieuses qui dis­pensent des ensei­gne­ments, mais sont, elles, exemp­tées de diplômes.

Julie-​Victoire Daubié conti­nue ain­si son com­bat en faveur des femmes. En 1859, la jeune femme rem­porte, en can­di­date libre, le pre­mier prix du concours de l’Académie des sciences, belles-​lettres et arts de Lyon por­tant sur l’égalité sala­riale entre les sexes et le tra­vail des femmes pour son mémoire inti­tu­lé La Femme pauvre au XIXe siècle. Elle sur­classe alors vingt-​trois can­di­dats masculins.

Première femme « bachelier » 

Ces expé­riences poussent alors Julie-​Victoire Daubié vers un autre défi : décro­cher le bac. « Aucun texte légis­la­tif ne légi­time l’exclusion fémi­nine de cet exa­men, c’est juste une cou­tume », explique Yannick Ripa. Qu’à cela ne tienne ! Daubié est alors aidée par François Barthélemy Arlès-​Dufour, homme d’affaires très influent dans les milieux aca­dé­miques et à la cour impé­riale, qu’elle a ren­con­tré lors du concours de l’Académie de Lyon. « “Vous vou­lez, mon­sieur, désho­no­rer mon minis­tère ?” se serait esclaf­fé en 1860 Gustave Rouland [le ministre de l’Instruction publique et des Cultes de l’époque, ndlr] », quand Arlès-​Dufour est venu plai­der la cause de Daubié, nous raconte Yannick Ripa.

Selon l’historienne, ce ne sont pas néces­sai­re­ment les prises de posi­tion à charge contre la poli­tique gou­ver­ne­men­tale – que l’on retrouve notam­ment dans La Femme pauvre au XIXe siècle – qui poussent Rouland à s’opposer à la can­di­da­ture de Julie-​Victoire Daubié. Mais bien que, pour lui, « une femme “bache­lier” ! », ce n’est pas pos­sible. « À ses yeux, la pro­po­si­tion n’est pas seule­ment gram­ma­ti­ca­le­ment incor­recte, elle est intel­lec­tuel­le­ment impen­sable […] et crée­rait un fâcheux pré­cé­dent », affirme Yannick Ripa.

L’intervention d’Arlès-Dufour sera payante. Un local spé­cial est réser­vé à Julie-​Victoire Daubié pour les épreuves écrites et elle devient, le 17 août 1861, la pre­mière femme à obte­nir le bac­ca­lau­réat en France. Toutefois, ce n’est pas la fin des embûches. Pour obte­nir son diplôme cer­ti­fié par le minis­tère, il fau­dra l’intervention de l’impératrice Eugénie pour contraindre Rouland à obtem­pé­rer l’année sui­vante. « Et “made­moi­selle Julie-​Victoire Daubié”, ain­si nom­mée en début de cer­ti­fi­cat, se trouve en tant que “sieur Daubié” décla­ré “bache­lier” », raconte l’historienne. L’Académie fran­çaise ne fémi­ni­se­ra le mot « bache­lière » qu’en 1871.

Julie-​Victoire Daubié ne s’arrête pas là. Si les cours uni­ver­si­taires res­tent fer­més aux femmes, rien ne leur inter­dit de pas­ser les exa­mens. Ainsi, en 1871, elle devient la pre­mière licen­ciée ès lettres en France. Cette fois-​ci, si le diplôme sti­pule que Julie-​Victoire est « licen­cié », sans « e », le minis­tère a pris soin de bar­rer « sieur » pour écrire « made­moi­selle ». 

« Féminisme intégral »

« Alors que de nom­breuses pion­nières pra­tiquent un fémi­nisme que l’on peut qua­li­fier d’individualiste – même si leur réus­site contri­bue à faire pro­gres­ser l’émancipation fémi­nine –, Julie-​Victoire Daubié enten­dait, elle, modi­fier le sta­tut de toutes », com­mente Yannick Ripa. L’historienne parle alors du « fémi­nisme inté­gral » de Julie-​Victoire Daubié.

Effectivement, la pion­nière du bac­ca­lau­réat mul­ti­plie les com­bats sur de nom­breux fronts. À Fontenoy-​le-​Château, elle crée une entre­prise de bro­de­rie et y emploie des femmes pauvres dans des condi­tions dignes et avec de bonnes rému­né­ra­tions. Elle mul­ti­plie les confé­rences et les articles sur l’émancipation des femmes et la lutte pour l’égalité des droits. En 1871, elle crée notam­ment l’Association pour le suf­frage des femmes.

Julie-​Victoire Daubié meurt le 26 août 1874, ter­ras­sée par la tuber­cu­lose, alors qu’elle rédige une thèse doc­to­rale sur la condi­tion des femmes dans la socié­té romaine. « Un choix révé­la­teur de sa volon­té d’historiser la hié­rar­chi­sa­tion des sexes », ana­lyse Yannick Ripa. 

Si Julie-​Victoire Daubié est une véri­table pion­nière, son héri­tage met du temps à s’installer. Entre 1861 et 1873, seules quinze femmes obtien­dront le bac. Mais la route est désor­mais ouverte.

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