Germaine Tillion, l’engagement en plein cœur

Le 30 mai 1907 nais­sait Germaine Tillion. Cette eth­no­logue de renom, résis­tante pen­dant la Seconde Guerre mon­diale et spé­cia­liste de l'Algérie a allié toute sa vie la soif de connais­sance aux ver­tus de l'engagement. 

© assoc GT Photo G Tillion carte détudiante 1934
Germaine Tillion en 1934. ©AureCou

Il est midi vingt ce 17 juin 1940 lorsque la radio fran­çaise dif­fuse un dis­cours d’une impor­tance grave. La voix de celui qui le déclame se veut grave elle-​aussi. Et pour cause, le maré­chal Pétain vient tout juste d'annoncer aux Français·ses avoir deman­dé l’armistice de la France à Hitler. « Il faut ces­ser le com­bat […] En ces heures dou­lou­reuses, déclare-​il solen­nel­le­ment, je pense aux mal­heu­reux réfu­giés qui, dans un dénue­ment extrême, sillonnent nos routes. »

C’est sur l’une de ces routes jus­te­ment que Germaine Tillion, qui fuit Paris avec sa mère et sa grand-​mère comme tant d’autres Français·es au cours de l’exode, entend le dis­cours de Pétain. La jeune femme de 33 ans, eth­no­logue de pro­fes­sion, qui n’est pour­tant pas ce qu’on peut appe­ler une mili­tante enga­gée, réagit d’une façon radi­cale a l’annonce de l’armistice. Ce jour-​là, Germaine Tillion vomit. 

Un refus phy­sique vis­cé­ral qui déter­mine à cet ins­tant le des­tin de résis­tante qu’elle embrasse par la suite. « Il suf­fit d’une seconde pour qu’une vie bas­cule. Devenir un salaud ou un héros, à quoi cela tient-​il ? Après, le « choix » étant fait, on doit s’y tenir », déclare-​t-​elle au micro de France Culture en 2004. Pour Germaine Tillion, le choix sera de ren­trer à Paris où la jeune femme cherche dès lors à tout faire pour résis­ter à l’occupant alle­mand. Avec d’autres qui refusent comme elle l'Histoire qui se joue, la jeune femme fonde le célèbre Réseau du Musée de l’homme, l’un des pre­miers orga­nismes clan­des­tins de résis­tance, qui orga­nise à la fois l’évasion de prisonnier·ières, la fabri­ca­tion de faux papiers ain­si que du ren­sei­gne­ment pour la France libre basée à Londres. 

Carrière d’ethnologue 

Si Germaine Tillion n’a jamais reven­di­qué un élan mili­tant, on retrouve aisé­ment les racines de son enga­ge­ment dans sa jeu­nesse. Née le 30 mai 1907 dans une famille de la petite bour­goi­sie intel­lec­tuelle, elle passe d’une enfance confor­table à Clermont-​Ferrand à la ban­lieue cos­sue pari­sienne, à quelques pas du bois de Vincennes. A par­tir de 1928, Germaine Tillion, carac­tère aimable et sou­rire facile, s’oriente vers l’ethnologie. C’est là qu’elle ren­contre deux hommes, pro­fes­seurs au Collège de France qui façon­ne­ront à la fois sa for­ma­tion et son enga­ge­ment. Marcel Mauss, « le père de l’anthropologie fran­çaise » qui croit à l’égale valeur des cultures, et Louis Massignon, isla­mo­logue qui s’attèle à redres­ser sans relâche les pré­ju­gés sur la culture musulmane. 

Germaine Tillion étu­die à Koenigsberg en Prusse-​Orientale lorsqu’elle assiste à la mon­tée du nazisme à l’aube des années 30. Elle est alors révul­sée par le racisme assu­mé et théo­ri­sé par les étudiant·es. Quand elle revient à Paris, Germaine Tillion part en Algérie étu­dier la vie et les mœurs d’une com­mu­nau­té ber­bère, les Chaouis. Elle y fait trois longs séjours dans les mon­tagnes arides, sans élec­tri­ci­té, ni radio, ni jour­naux. « La fré­quen­ta­tion de Mauss, l’attention aux humbles et aux réprou­vés, l’expérience directe du nazisme en ascen­sion : la déci­sion [de Germaine Tillion] en 1940 est déci­dé­ment “pré­choi­sie” », écrit Libération en 2019. 

Déportée à Ravensbrück

Novice en la matière, le réseau de résis­tance du Musée de l’homme est rapi­de­ment infil­tré par les agents alle­mands et les arres­ta­tions s’y mul­ti­plient. Nombreux·ses sont d'ailleurs les fusillé·es au Mont-​Valérien. Les résistant·es conti­nuent un temps leurs actions mais rapi­de­ment le groupe est déman­te­lé. Dénoncée par un prêtre – qui attire de jeunes résistant·es grâce à des prêches patrio­tiques et les livre ensuite à la Gestapo contre rému­né­ra­tion -, Germaine Tillion est à son tour arrê­tée en août 1942. Après un an de pri­son, elle est dépor­tée avec sa mère en Allemagne, au camp pour femmes de Ravensbrück. 

Malgré les humi­lia­tions, les tor­tures et les exé­cu­tions quo­ti­diennes, Germaine Tillion conserve sa gaie­té. Elle écrit même une opé­rette pleine d’ironie sur la vie du camp et orga­nise une confé­rence clan­des­tine sur l’ethnologie pour quelques dépor­tées fran­çaises. Germaine Tillion doit cepen­dant sur­vivre au décès de sa mère, qui, un matin de mars, est conduite à la mort. Dès cet ins­tant, Germaine Tllion n’aura plus qu’une seule idée : com­prendre exac­te­ment ce qui s’est pas­sé. En bonne eth­no­logue, elle enquête. Elle inter­roge les dépor­tées libé­rées en même temps qu’elle en avril 1945, elle leur pose maintes ques­tions sur le jour et l’heure de leur arri­vée à Ravensbrück, les tâches qu’elles ont dû effec­tuer ain­si que le nom des déte­nues qu’elles ont vues mou­rir. Une vaste étude eth­no­gra­phique qui ser­vi­ra à nour­rir plus tard son livre Ravensbrück (Seuil, 1973). 

À son retour en France, Germaine Tillion s’engage dans une nou­velle résis­tance, celle du devoir de mémoire. Elle milite dans des asso­cia­tions, assiste au pro­cès des chefs et gar­diens de Ravensbrück et fonde avec David Rousset la Commission inter­na­tio­nale contre le régime concen­tra­tion­naire en 1951. 

Retour en Algérie 

L’année 1954 voit écla­ter la guerre d’Algérie. Son ancien pro­fes­seur, Louis Massignon demande pour elle une mis­sion de trois mois au minis­tère de l’Intérieur de l’époque, François Mitterrand. La voi­là donc repar­tie pour les mon­tagnes ber­bères dans l’espoir de mieux com­prendre la révolte algé­rienne et de mettre son expé­rience eth­no­lo­gique au ser­vice d’une solu­tion de paix. Sur place, Germaine Tillion illustre dans ses études les dys­fonc­tion­ne­ments de la socié­té colo­niale. Elle dénonce en ce sens la pau­vre­té des pay­sans ber­bères et éla­bore le pro­jet des « centres sociaux » qui doivent per­mettre aux Algérien·nes frappé·es par l’exode rural de béné­fi­cier d’une édu­ca­tion cor­recte. Tout au long de la guerre, elle n’aura de cesse de ten­ter un dia­logue en se bat­tant, côté fran­çais, pour faire ces­ser les exé­cu­tions capi­tales tout en ren­con­trant, de l’autre, l’un des meneurs de la lutte armée algé­rienne, Yacef Saâdi. 

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Germaine Tillion entre au Panthéon. Paris, le 27 mai 2015. © RoScO

Germaine Tillion a cent ans lorsqu’elle s’éteint le 19 avril 2008 à son domi­cile de Saint-​Mandé (Val-​de-​Marne). Elle a ter­mi­né sa longue vie comme elle a vécu : entre l’étude eth­no­gra­phique et le mili­tan­tisme. Comme un ultime hon­neur à ce des­tin héroïque, Germaine Tillion est pan­théo­ni­sée le 27 mai 2015 au côté de trois autres grands noms de la résis­tance, Jean Zay, Geneviève de Gaulle-​Anthonioz et Pierre Brossolette. 

Lire aus­si : Résistante oubliée : entre dans l’Histoire, Laure Moulin

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