Le 30 mai 1907 naissait Germaine Tillion. Cette ethnologue de renom, résistante pendant la Seconde Guerre mondiale et spécialiste de l'Algérie a allié toute sa vie la soif de connaissance aux vertus de l'engagement.
Il est midi vingt ce 17 juin 1940 lorsque la radio française diffuse un discours d’une importance grave. La voix de celui qui le déclame se veut grave elle-aussi. Et pour cause, le maréchal Pétain vient tout juste d'annoncer aux Français·ses avoir demandé l’armistice de la France à Hitler. « Il faut cesser le combat […] En ces heures douloureuses, déclare-il solennellement, je pense aux malheureux réfugiés qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. »
C’est sur l’une de ces routes justement que Germaine Tillion, qui fuit Paris avec sa mère et sa grand-mère comme tant d’autres Français·es au cours de l’exode, entend le discours de Pétain. La jeune femme de 33 ans, ethnologue de profession, qui n’est pourtant pas ce qu’on peut appeler une militante engagée, réagit d’une façon radicale a l’annonce de l’armistice. Ce jour-là, Germaine Tillion vomit.
Un refus physique viscéral qui détermine à cet instant le destin de résistante qu’elle embrasse par la suite. « Il suffit d’une seconde pour qu’une vie bascule. Devenir un salaud ou un héros, à quoi cela tient-il ? Après, le « choix » étant fait, on doit s’y tenir », déclare-t-elle au micro de France Culture en 2004. Pour Germaine Tillion, le choix sera de rentrer à Paris où la jeune femme cherche dès lors à tout faire pour résister à l’occupant allemand. Avec d’autres qui refusent comme elle l'Histoire qui se joue, la jeune femme fonde le célèbre Réseau du Musée de l’homme, l’un des premiers organismes clandestins de résistance, qui organise à la fois l’évasion de prisonnier·ières, la fabrication de faux papiers ainsi que du renseignement pour la France libre basée à Londres.
Carrière d’ethnologue
Si Germaine Tillion n’a jamais revendiqué un élan militant, on retrouve aisément les racines de son engagement dans sa jeunesse. Née le 30 mai 1907 dans une famille de la petite bourgoisie intellectuelle, elle passe d’une enfance confortable à Clermont-Ferrand à la banlieue cossue parisienne, à quelques pas du bois de Vincennes. A partir de 1928, Germaine Tillion, caractère aimable et sourire facile, s’oriente vers l’ethnologie. C’est là qu’elle rencontre deux hommes, professeurs au Collège de France qui façonneront à la fois sa formation et son engagement. Marcel Mauss, « le père de l’anthropologie française » qui croit à l’égale valeur des cultures, et Louis Massignon, islamologue qui s’attèle à redresser sans relâche les préjugés sur la culture musulmane.
Germaine Tillion étudie à Koenigsberg en Prusse-Orientale lorsqu’elle assiste à la montée du nazisme à l’aube des années 30. Elle est alors révulsée par le racisme assumé et théorisé par les étudiant·es. Quand elle revient à Paris, Germaine Tillion part en Algérie étudier la vie et les mœurs d’une communauté berbère, les Chaouis. Elle y fait trois longs séjours dans les montagnes arides, sans électricité, ni radio, ni journaux. « La fréquentation de Mauss, l’attention aux humbles et aux réprouvés, l’expérience directe du nazisme en ascension : la décision [de Germaine Tillion] en 1940 est décidément “préchoisie” », écrit Libération en 2019.
Déportée à Ravensbrück
Novice en la matière, le réseau de résistance du Musée de l’homme est rapidement infiltré par les agents allemands et les arrestations s’y multiplient. Nombreux·ses sont d'ailleurs les fusillé·es au Mont-Valérien. Les résistant·es continuent un temps leurs actions mais rapidement le groupe est démantelé. Dénoncée par un prêtre – qui attire de jeunes résistant·es grâce à des prêches patriotiques et les livre ensuite à la Gestapo contre rémunération -, Germaine Tillion est à son tour arrêtée en août 1942. Après un an de prison, elle est déportée avec sa mère en Allemagne, au camp pour femmes de Ravensbrück.
Malgré les humiliations, les tortures et les exécutions quotidiennes, Germaine Tillion conserve sa gaieté. Elle écrit même une opérette pleine d’ironie sur la vie du camp et organise une conférence clandestine sur l’ethnologie pour quelques déportées françaises. Germaine Tillion doit cependant survivre au décès de sa mère, qui, un matin de mars, est conduite à la mort. Dès cet instant, Germaine Tllion n’aura plus qu’une seule idée : comprendre exactement ce qui s’est passé. En bonne ethnologue, elle enquête. Elle interroge les déportées libérées en même temps qu’elle en avril 1945, elle leur pose maintes questions sur le jour et l’heure de leur arrivée à Ravensbrück, les tâches qu’elles ont dû effectuer ainsi que le nom des détenues qu’elles ont vues mourir. Une vaste étude ethnographique qui servira à nourrir plus tard son livre Ravensbrück (Seuil, 1973).
À son retour en France, Germaine Tillion s’engage dans une nouvelle résistance, celle du devoir de mémoire. Elle milite dans des associations, assiste au procès des chefs et gardiens de Ravensbrück et fonde avec David Rousset la Commission internationale contre le régime concentrationnaire en 1951.
Retour en Algérie
L’année 1954 voit éclater la guerre d’Algérie. Son ancien professeur, Louis Massignon demande pour elle une mission de trois mois au ministère de l’Intérieur de l’époque, François Mitterrand. La voilà donc repartie pour les montagnes berbères dans l’espoir de mieux comprendre la révolte algérienne et de mettre son expérience ethnologique au service d’une solution de paix. Sur place, Germaine Tillion illustre dans ses études les dysfonctionnements de la société coloniale. Elle dénonce en ce sens la pauvreté des paysans berbères et élabore le projet des « centres sociaux » qui doivent permettre aux Algérien·nes frappé·es par l’exode rural de bénéficier d’une éducation correcte. Tout au long de la guerre, elle n’aura de cesse de tenter un dialogue en se battant, côté français, pour faire cesser les exécutions capitales tout en rencontrant, de l’autre, l’un des meneurs de la lutte armée algérienne, Yacef Saâdi.
Germaine Tillion a cent ans lorsqu’elle s’éteint le 19 avril 2008 à son domicile de Saint-Mandé (Val-de-Marne). Elle a terminé sa longue vie comme elle a vécu : entre l’étude ethnographique et le militantisme. Comme un ultime honneur à ce destin héroïque, Germaine Tillion est panthéonisée le 27 mai 2015 au côté de trois autres grands noms de la résistance, Jean Zay, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Pierre Brossolette.
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