Quelle vie flamboyante que celle de Gisèle Halimi ! Causette vous propose un portrait subjectif de l’avocate disparue le 28 juillet, par celles et ceux qui l’ont aimée, de près ou de loin.
« Merci Madame. » C’était le mot de reconnaissance qui circulait, quelques heures après l’annonce de la mort de Gisèle Halimi, ce mardi 28 juillet, en tête des « top tweets » du réseau social Twitter. La disparition de l’avocate à l’âge de 93 ans a rempli les cœurs de chagrin et une pluie d’hommages de tout bord s’est abattue sur cette infatigable défenseuse des droits des femmes. Un consensus qui démontre le statut d’icône de Gisèle, au même titre que Simone Veil, décédée en 2017. D’une certaine manière, la première a préparé le terrain à la seconde pour légaliser l’IVG, grâce au retentissant procès de Bobigny, en 1972. Trois ans avant la loi Veil.
Le procès de Bobigny
« Lorsque Gisèle Halimi prend la défense de Marie-Claire, 16 ans, qui était accusée de crime pour avoir avorté après un viol en réunion, et de sa mère qui l’y avait aidée, elle démontre une grande force mais aussi une ingéniosité certaine, relève Zoë Royaux, avocate et porte-parole de la Fondation des femmes. Elle a choisi d’en faire un procès politique, en convoquant habilement les médias à l’audience mais aussi des témoins de la société civile à la barre, comme des médecins racontant l’horreur des avortements faits maison et la détresse des femmes. »
François Luciani, réalisateur, en 2006, du Procès de Bobigny, un téléfilm retraçant ce moment historique, avait tout juste 18 ans en 1972. Il a fait partie des manifestant·es qui ont emboîté le pas à Gisèle Halimi et au Mouvement de libération des femmes (MLF) pour manifester devant le tribunal et réclamer l’acquittement de la jeune fille. « Gisèle avait compris que la bataille se jouait plus dans la rue que dans le prétoire, appuie-t-il. Je peux vous dire qu’on a pris des coups sur la gueule de la part de la police, mais on était tellement motivés ! Nous manifestions pour qu’on en finisse avec ces poursuites indignes et, plus largement, avec la loi de 1920 criminalisant l’avortement. Rappelons que Marie-Claire risquait deux ans de prison ! » Lorsque le verdict tombe et que Marie-Claire et sa mère sont acquittées, François n’est pas surpris outre mesure : « Les magistrats étaient obligés de suivre le mouvement de l’opinion, parce que la société était mûre. Lors de ses brillantes plaidoiries, Gisèle a fait passer l’idée qu’il fallait changer la loi. Le juge lui a rétorqué que si c’était ce qui l’intéressait, elle ferait mieux de changer de métier. » Il ne croyait pas si bien dire.
“Ce qui me plaît dans la figure de Gisèle Halimi, c’est que ses convictions féministes sont viscérales. Dès son démarrage dans la vie, sa plus tendre enfance, il y a en elle cette révolte”
Zoë Royaux, porte-parole de la Fondation des femmes
L’avortement est légalisé en 1975, et Gisèle Halimi devient députée apparentée socialiste en 1981, dans le sillage de l’élection de François Mitterrand. Là encore, cette insatiable féministe trouve matière à se révolter, décrivant l’Assemblée et la politique comme un « bastion de la misogynie ». « Ce qui me plaît dans la figure de Gisèle Halimi, que je n’ai jamais rencontrée mais dont ma grand-tante Benoîte Groult [journaliste, écrivaine et militante féministe, ndlr] me parlait beaucoup, c’est que ses convictions féministes sont viscérales, témoigne Zoë Royaux. Dès son démarrage dans la vie, sa plus tendre enfance, il y a en elle cette révolte. »
À 10 ans : grève de la faim
Née en 1927 à La Goulette, en Tunisie, la petite Gisèle se rebelle contre la religion juive, qu’elle perçoit comme une entrave, ou contre les tâches ménagères qu’elle doit accomplir lorsque son frère en est dispensé. Dans Le Lait de l’oranger, une autobiographie revenant sur son enfance, elle raconte comment elle mène une grève de la faim à 10 ans pour revendiquer son droit à la lecture. Marquant aussi, dans l’histoire de Gisèle, le parcours de son père, honteux d’avoir enfanté une fille, qui finalement entretiendra une relation fusionnelle avec elle. Il y a surtout la blessure matricielle de l’amour que sa mère lui aura toujours refusé, qu’elle racontera en 1999 dans Fritna. C’est cet élément sombre de la vie de Gisèle qu’a choisi d’évoquer l’autrice féministe Axelle Jah Njiké sur Instagram pour lui rendre hommage : « Pour moi, Gisèle Halimi, c’est la fille de Fritna. La fille de cette mère qui ne l’aimait pas. Ne l’aima jamais et qu’elle dépeint avec une lucidité rare dans le livre éponyme dont je vous recommande la lecture. Parce qu’il est bon que vous sachiez qui sont les femmes, les sœurs, les mères qui ont fait de vos figures féministes qui elles sont, faites connaissance avec la petite Gisèle. Et comprenez mieux pourquoi elle mit tant de cœur à défendre toute sa vie durant les droits des femmes, de toutes les femmes. »
Le “Manifeste des 343” salopes
Cette vie de lutte, c’est précisément la raison qui a mené la Fondation des femmes à donner le nom de Gisèle au prix d’éloquence « pour dénoncer le sexisme par le verbe » que l’association a lancé en 2017. « Gisèle a accepté avec plaisir que ce prix porte son nom, je crois qu’elle aimait l’idée qu’il soit ouvert à tous et toutes, pas seulement à la corporation des avocat·es. C’était parfaitement cohérent avec son histoire, ajoute Zoë Royaux, puisque Gisèle est la première femme qui a participé en 1949 au prix d’éloquence du barreau de Tunis… Et l’a gagné. Dès cette époque, d’ailleurs, elle insiste pour qu’on l’appelle avocate et non pas avocat. » Vous l’aurez compris, nous avons affaire à une forte tête. En 1960, appuyée par Simone de Beauvoir, elle défend une cause perdue : celle de Djamila Boupacha, une Algérienne accusée de tentative d’attentat à Alger en pleine guerre d’Algérie, torturée et violée par des soldats français. Gisèle est aussi celle qui, malgré sa stature d’avocate et contre l’avis de Simone de Beauvoir qui cherche à la protéger, ose signer en 1971 dans le Nouvel Observateur le « Manifeste des 343 » femmes déclarant avoir avorté.
“Elle avait absolument conscience que les avancées des années 1970 restaient fragiles et espérait que la nouvelle génération de femmes continuerait à lutter contre les mouvements réactionnaires qui menacent ces acquis”
François Luciani, réalisateur
François Luciani, qui a fini par tisser des liens d’amitié avec l’avocate qu’il avait consultée pour réaliser son téléfilm, garde un souvenir ému de sa collaboration avec elle. « En 2006, elle avait déjà 80 ans et, pourtant, elle a accompagné au plus près le film à sa sortie, en se rendant avec nous à de nombreuses projections pour participer aux rencontres-débats avec les spectateurs. Je la revois dans des snacks de banlieue partager avec nous des mauvais kebabs qui n’entaillaient en rien son enthousiasme », raconte celui qui s’était promis dans sa jeunesse de changer le monde à l’aide de sa caméra. C’est cette même conviction, celle qui croit en la diffusion d’œuvres comme une arme pour obtenir un monde plus tolérant, qui avait poussé Gisèle à accepter le film, « comme un prolongement de son combat ». « Le film a eu un succès considérable et il est aujourd’hui encore montré dans les collèges et lycées, observe François Luciani. C’est essentiel car, en 2006 comme en 2020, il reste des gens pour qui le droit d’avorter n’a rien d’une évidence. J’ai l’impression que c’est ce qui taraudait Gisèle ces dernières années : elle avait absolument conscience que les avancées des années 1970 restaient fragiles et espérait que la nouvelle génération de femmes continuerait à lutter contre les mouvements réactionnaires qui menacent ces acquis. » Et de sourire : « Elle avait un peu cet esprit “prenez-en de la graine”. »
Car, ne nous y trompons pas, avec son fort caractère, Gisèle n’était pas quelqu’un de franchement facile. François Luciani livre à ce propos un souvenir dévoilant la coquetterie de la grande dame : « Gisèle était contente qu’un film se fasse sur le procès de Bobigny, mais légèrement inquiète de savoir quelle actrice serait choisie pour la représenter. Nous avions l’embarras du choix, toutes les comédiennes de France et de Navarre rêvaient de jouer Gisèle. Nous avons fait le choix de ne pas chercher à coller physiquement, et avons estimé qu’Anouk Grinberg était celle qui, étant la plus proche d’elle en termes d’engagements, conviendrait. Eh bien, je peux vous dire qu’au départ, Gisèle était moyennement convaincue… Parce qu’elle se considérait beaucoup plus belle qu’Anouk ! Par la suite, elles ont fini par devenir très copines. » Une anecdote qui nous rend soudain l’icône plus humaine… Et donc encore plus émouvante.