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L'avocate Gisele Halimi et Marie-Claire Chevalier apres le jugement. La jeun e femme de 16 ans est en proces pour avoir avorte apres un viol. Militants MLF et sympathisants sont venus les soutenir. Bobigny, 21 novembre 1972. © Jean-Paul Chausse / SIPA

Gisèle Halimi : tout le monde lui dit « merci »

Quelle vie flam­boyante que celle de Gisèle Halimi ! Causette vous pro­pose un por­trait sub­jec­tif de l’avocate dis­pa­rue le 28 juillet, par celles et ceux qui l’ont aimée, de près ou de loin.

« Merci Madame. » C’était le mot de recon­nais­sance qui cir­cu­lait, quelques heures après l’annonce de la mort de Gisèle Halimi, ce mar­di 28 juillet, en tête des « top tweets » du réseau social Twitter. La dis­pa­ri­tion de l’avocate à l’âge de 93 ans a rem­pli les cœurs de cha­grin et une pluie d’hommages de tout bord s’est abat­tue sur cette infa­ti­gable défen­seuse des droits des femmes. Un consen­sus qui démontre le sta­tut d’icône de Gisèle, au même titre que Simone Veil, décé­dée en 2017. D’une cer­taine manière, la pre­mière a pré­pa­ré le ter­rain à la seconde pour léga­li­ser l’IVG, grâce au reten­tis­sant pro­cès de Bobigny, en 1972. Trois ans avant la loi Veil. 

Le pro­cès de Bobigny

« Lorsque Gisèle Halimi prend la défense de Marie-​Claire, 16 ans, qui était accu­sée de crime pour avoir avor­té après un viol en réunion, et de sa mère qui l’y avait aidée, elle démontre une grande force mais aus­si une ingé­nio­si­té cer­taine, relève Zoë Royaux, avo­cate et porte-​parole de la Fondation des femmes. Elle a choi­si d’en faire un pro­cès poli­tique, en convo­quant habi­le­ment les médias à l’audience mais aus­si des témoins de la socié­té civile à la barre, comme des méde­cins racon­tant l’horreur des avor­te­ments faits mai­son et la détresse des femmes. » 

François Luciani, réa­li­sa­teur, en 2006, du Procès de Bobigny, un télé­film retra­çant ce moment his­to­rique, avait tout juste 18 ans en 1972. Il a fait par­tie des manifestant·es qui ont emboî­té le pas à Gisèle Halimi et au Mouvement de libé­ra­tion des femmes (MLF) pour mani­fes­ter devant le tri­bu­nal et récla­mer l’acquittement de la jeune fille. « Gisèle avait com­pris que la bataille se jouait plus dans la rue que dans le pré­toire, appuie-​t-​il. Je peux vous dire qu’on a pris des coups sur la gueule de la part de la police, mais on était tel­le­ment moti­vés ! Nous mani­fes­tions pour qu’on en finisse avec ces pour­suites indignes et, plus lar­ge­ment, avec la loi de 1920 cri­mi­na­li­sant l’avortement. Rappelons que Marie-​Claire ris­quait deux ans de pri­son ! » Lorsque le ver­dict tombe et que Marie-​Claire et sa mère sont acquit­tées, François n’est pas sur­pris outre mesure : « Les magis­trats étaient obli­gés de suivre le mou­ve­ment de l’opinion, parce que la socié­té était mûre. Lors de ses brillantes plai­doi­ries, Gisèle a fait pas­ser l’idée qu’il fal­lait chan­ger la loi. Le juge lui a rétor­qué que si c’était ce qui l’intéressait, elle ferait mieux de chan­ger de métier. » Il ne croyait pas si bien dire. 

“Ce qui me plaît dans la figure de Gisèle Halimi, c’est que ses convic­tions fémi­nistes sont vis­cé­rales. Dès son démar­rage dans la vie, sa plus tendre enfance, il y a en elle cette révolte”

Zoë Royaux, porte-​parole de la Fondation des femmes

L’avortement est léga­li­sé en 1975, et Gisèle Halimi devient dépu­tée appa­ren­tée socia­liste en 1981, dans le sillage de l’élection de François Mitterrand. Là encore, cette insa­tiable fémi­niste trouve matière à se révol­ter, décri­vant l’Assemblée et la poli­tique comme un « bas­tion de la miso­gy­nie ». « Ce qui me plaît dans la figure de Gisèle Halimi, que je n’ai jamais ren­con­trée mais dont ma grand-​tante Benoîte Groult [jour­na­liste, écri­vaine et mili­tante fémi­niste, ndlr] me par­lait beau­coup, c’est que ses convic­tions fémi­nistes sont vis­cé­rales, témoigne Zoë Royaux. Dès son démar­rage dans la vie, sa plus tendre enfance, il y a en elle cette révolte. » 

À 10 ans : grève de la faim

Née en 1927 à La Goulette, en Tunisie, la petite Gisèle se rebelle contre la reli­gion juive, qu’elle per­çoit comme une entrave, ou contre les tâches ména­gères qu’elle doit accom­plir lorsque son frère en est dis­pen­sé. Dans Le Lait de l’oranger, une auto­bio­gra­phie reve­nant sur son enfance, elle raconte com­ment elle mène une grève de la faim à 10 ans pour reven­di­quer son droit à la lec­ture. Marquant aus­si, dans l’histoire de Gisèle, le par­cours de son père, hon­teux d’avoir enfan­té une fille, qui fina­le­ment entre­tien­dra une rela­tion fusion­nelle avec elle. Il y a sur­tout la bles­sure matri­cielle de l’amour que sa mère lui aura tou­jours refu­sé, qu’elle racon­te­ra en 1999 dans Fritna. C’est cet élé­ment sombre de la vie de Gisèle qu’a choi­si d’évoquer l’autrice fémi­niste Axelle Jah Njiké sur Instagram pour lui rendre hom­mage : « Pour moi, Gisèle Halimi, c’est la fille de Fritna. La fille de cette mère qui ne l’aimait pas. Ne l’aima jamais et qu’elle dépeint avec une luci­di­té rare dans le livre épo­nyme dont je vous recom­mande la lec­ture. Parce qu’il est bon que vous sachiez qui sont les femmes, les sœurs, les mères qui ont fait de vos figures fémi­nistes qui elles sont, faites connais­sance avec la petite Gisèle. Et com­pre­nez mieux pour­quoi elle mit tant de cœur à défendre toute sa vie durant les droits des femmes, de toutes les femmes. »

Le “Manifeste des 343” salopes

Cette vie de lutte, c’est pré­ci­sé­ment la rai­son qui a mené la Fondation des femmes à don­ner le nom de Gisèle au prix d’éloquence « pour dénon­cer le sexisme par le verbe » que l’association a lan­cé en 2017. « Gisèle a accep­té avec plai­sir que ce prix porte son nom, je crois qu’elle aimait l’idée qu’il soit ouvert à tous et toutes, pas seule­ment à la cor­po­ra­tion des avocat·es. C’était par­fai­te­ment cohé­rent avec son his­toire, ajoute Zoë Royaux, puisque Gisèle est la pre­mière femme qui a par­ti­ci­pé en 1949 au prix d’éloquence du bar­reau de Tunis… Et l’a gagné. Dès cette époque, d’ailleurs, elle insiste pour qu’on l’appelle avo­cate et non pas avo­cat. » Vous l’aurez com­pris, nous avons affaire à une forte tête. En 1960, appuyée par Simone de Beauvoir, elle défend une cause per­due : celle de Djamila Boupacha, une Algérienne accu­sée de ten­ta­tive d’attentat à Alger en pleine guerre d’Algérie, tor­tu­rée et vio­lée par des sol­dats fran­çais. Gisèle est aus­si celle qui, mal­gré sa sta­ture d’avocate et contre l’avis de Simone de Beauvoir qui cherche à la pro­té­ger, ose signer en 1971 dans le Nouvel Observateur le « Manifeste des 343 » femmes décla­rant avoir avorté. 

“Elle avait abso­lu­ment conscience que les avan­cées des années 1970 res­taient fra­giles et espé­rait que la nou­velle géné­ra­tion de femmes conti­nue­rait à lut­ter contre les mou­ve­ments réac­tion­naires qui menacent ces acquis”

François Luciani, réalisateur

François Luciani, qui a fini par tis­ser des liens d’amitié avec l’avocate qu’il avait consul­tée pour réa­li­ser son télé­film, garde un sou­ve­nir ému de sa col­la­bo­ra­tion avec elle. « En 2006, elle avait déjà 80 ans et, pour­tant, elle a accom­pa­gné au plus près le film à sa sor­tie, en se ren­dant avec nous à de nom­breuses pro­jec­tions pour par­ti­ci­per aux rencontres-​débats avec les spec­ta­teurs. Je la revois dans des snacks de ban­lieue par­ta­ger avec nous des mau­vais kebabs qui n’entaillaient en rien son enthou­siasme », raconte celui qui s’était pro­mis dans sa jeu­nesse de chan­ger le monde à l’aide de sa camé­ra. C’est cette même convic­tion, celle qui croit en la dif­fu­sion d’œuvres comme une arme pour obte­nir un monde plus tolé­rant, qui avait pous­sé Gisèle à accep­ter le film, « comme un pro­lon­ge­ment de son com­bat ». « Le film a eu un suc­cès consi­dé­rable et il est aujourd’hui encore mon­tré dans les col­lèges et lycées, observe François Luciani. C’est essen­tiel car, en 2006 comme en 2020, il reste des gens pour qui le droit d’avorter n’a rien d’une évi­dence. J’ai l’impression que c’est ce qui tarau­dait Gisèle ces der­nières années : elle avait abso­lu­ment conscience que les avan­cées des années 1970 res­taient fra­giles et espé­rait que la nou­velle géné­ra­tion de femmes conti­nue­rait à lut­ter contre les mou­ve­ments réac­tion­naires qui menacent ces acquis. » Et de sou­rire : « Elle avait un peu cet esprit “prenez-​en de la graine”. » 

Car, ne nous y trom­pons pas, avec son fort carac­tère, Gisèle n’était pas quelqu’un de fran­che­ment facile. François Luciani livre à ce pro­pos un sou­ve­nir dévoi­lant la coquet­te­rie de la grande dame : « Gisèle était contente qu’un film se fasse sur le pro­cès de Bobigny, mais légè­re­ment inquiète de savoir quelle actrice serait choi­sie pour la repré­sen­ter. Nous avions l’embarras du choix, toutes les comé­diennes de France et de Navarre rêvaient de jouer Gisèle. Nous avons fait le choix de ne pas cher­cher à col­ler phy­si­que­ment, et avons esti­mé qu’Anouk Grinberg était celle qui, étant la plus proche d’elle en termes d’engagements, convien­drait. Eh bien, je peux vous dire qu’au départ, Gisèle était moyen­ne­ment convain­cue… Parce qu’elle se consi­dé­rait beau­coup plus belle qu’Anouk ! Par la suite, elles ont fini par deve­nir très copines. » Une anec­dote qui nous rend sou­dain l’icône plus humaine… Et donc encore plus émouvante.

Voir le film de François Luciani
Le Procès de Bobigny, 2006
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