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© Emiliano Bar

Violences faites aux femmes : la pri­son est-​elle la solution ?

Le 9 juin, le Haut Conseil à l’égalité (HCE) publiait sa pre­mière éva­lua­tion de la poli­tique publique contre les vio­lences conju­gales, dénon­çant « un véri­table sys­tème d’impunité ». Alors que chaque année, 125 000 femmes se déclarent vic­times, « seuls 52 000 agres­seurs conju­gaux font l’objet d’une réponse pénale et […] 33 000 l’objet de pour­suites judi­ciaires », estime-​t-​il. Le même jour, la mis­sion inter­mi­nis­té­rielle d’inspection sur le fémi­ni­cide de Mérignac recom­man­dait de condi­tion­ner cer­tains amé­na­ge­ments de peine à une exper­tise psy­chia­trique préa­lable. Tandis que la contrô­leuse géné­rale des lieux de pri­va­tion de liber­té, Dominique Simonnot, aler­tait, elle, sur les « condi­tions de vie déplo­rables des per­sonnes pri­vées de liber­té ». De quoi relan­cer le débat au sein des mou­ve­ments ­fémi­nistes, entre les posi­tions anti­car­cé­rales des unes et les appels des autres pour plus de fer­me­té envers les auteurs de viol ou de vio­lences conjugales.

Françoise Laborde

Ex-​sénatrice du Mouvement radi­cal, autrice d’une pro­po­si­tion de loi contre l’aménagement de peine des auteurs de vio­lences conjugales

« Si on parle ici de vio­lences fami­liales et de viol, je dirais : oui, la pri­son est la solu­tion. Le fait de voir des peines courtes ou des peines sans la case pri­son donne une impres­sion d’impunité. Quand une femme a le cou­rage de por­ter plainte, il faut savoir que les vio­lences qu’elle risque de subir peuvent empi­rer, car l’auteur est convo­qué. Ça n’est donc pas inci­ta­tif pour les vic­times. Si, en plus, celles qui ont eu le cou­rage de le faire risquent, même après condam­na­tion de l’auteur, de se retrou­ver face à lui au détour d’une rue, parce qu’il a eu un simple rap­pel à la loi, de la pri­son avec sur­sis ou que l’on n’a pas pu lui trou­ver de place, car les pri­sons sont pleines, c’est inac­cep­table. La pri­son a aus­si une valeur sym­bo­lique, en confir­mant aux femmes qu’elles ont eu rai­son de por­ter plainte. Je crois au tra­vail de média­tion, à l’accompagnement dans la réin­ser­tion après la pri­son, et l’idée n’est pas d’enfermer les auteurs à vie… Si le bra­ce­let élec­tro­nique était déployé de manière per­for­mante, ce serait aus­si autre chose. Mais cette mise à dis­tance effec­tive est pour moi aujourd’hui le mini­mum syndical. » 

Emmanuelle Piet 

Présidente du Collectif fémi­niste contre le viol*

« Il y a des tas d’autres solu­tions plu­tôt que la pri­son et je ne suis pas contre. Mais si c’est la solu­tion choi­sie pour les meurtres ou les vols, comme c’est le cas dans notre socié­té, je ne vois pas pour­quoi il devrait en être autre­ment pour les vio­lences sexistes et sexuelles. Je ne suis pas oppo­sée à ce que les condi­tions d’emprisonnement soient meilleures. La pri­son est une peine de pri­va­tion de liber­té, ça ne doit pas être une peine d’humiliation. Mais, avant de se pen­cher sur le vécu des agres­seurs, déjà, appli­quons la loi en les punis­sant et en recon­nais­sant les vic­times. En France, 0,3 % des vio­leurs sont condam­nés. Je ne dis pas que les peines sont insuf­fi­santes – la moyenne est huit ans de pri­son pour les vio­leurs condam­nés, c’est beau­coup dans la vie d’une per­sonne –, mais il y a insuf­fi­sam­ment de peines. Nous avons une jus­tice de classe. Il y a beau­coup plus de condam­na­tions dans les classes popu­laires que dans les classes supé­rieures, alors qu’il y a autant de délin­quants. Et puis, un vio­leur, par défi­ni­tion, ça réci­dive. Comment faire pour l’en empê­cher, à part le pri­ver de liberté ? »

* Appel gra­tuit Viol Femmes Informations : 0 800 05 95 95.

Françoise Vergès

Politologue, mili­tante fémi­niste anti­ra­ciste et autrice d’Une théo­rie fémi­niste de la vio­lence (La Fabrique, 2020)

« Ce sont les mobi­li­sa­tions de femmes qui ont fait sor­tir les vio­lences domes­tiques, le viol conju­gal ou les fémi­ni­cides des faits divers, pour les trans­for­mer en ques­tions sociales appe­lant une réponse du pou­voir. Et, pour l’État, la réponse car­cé­rale est la plus “simple”, parce qu’elle indi­vi­dua­lise cette vio­lence et évite de se pen­cher sur les causes struc­tu­relles. La pro­tec­tion des femmes est vue essen­tiel­le­ment de manière répres­sive – avec der­rière, géné­ra­le­ment, un dis­cours de classe et de race. Il y a une incroyable accu­mu­la­tion de lois, de mesures, de camé­ras… Mais les femmes se sentent-​elles plus pro­té­gées pour autant ? Les vio­lences struc­tu­relles, éco­no­miques et sym­bo­liques qu’elles subissent sont-​elles prises en compte ? Non. Il y a une ins­tru­men­ta­li­sa­tion des luttes fémi­nistes par le pou­voir, et je crois que les fémi­nistes qui pensent que la répres­sion affai­bli­ra ces vio­lences sont dans l’illusion. Aux États-​Unis, qui ont la plus grande popu­la­tion car­cé­rale au monde, cela n’a stric­te­ment pas ralen­ti le nombre de crimes com­mis contre les femmes. En réa­li­té, la pri­son ren­force la vio­lence. Pour vrai­ment pro­té­ger les femmes, il fau­drait déjà par­tir de leurs besoins, per­mettre leur auto­no­mi­sa­tion, leur apprendre à se défendre et remettre en ques­tion l’éducation très gen­rée des enfants. Ce qui est bien plus long que d’envoyer un homme en prison. » 

Collectif Pourvoir féministe 

« Depuis tou­jours, on nous apprend que jus­tice = pri­son. Si une vic­time sou­haite que la per­sonne qui l’a agres­sée soit incar­cé­rée, nous le com­pre­nons. Cela dit, nous croyons néces­saire d’interroger cette dimen­sion sys­té­ma­tique. Plus nous creu­sons le sujet, plus nous lisons les tra­vaux de cher­cheuses fémi­nistes, plus nous audi­tion­nons des per­sonnes qui ont subi la pri­son, plus nous sommes convain­cues qu’elle n’est pas la solu­tion : elle n’est même pas effi­cace contre la réci­dive. Sans comp­ter que, dans une pers­pec­tive fémi­niste, on doit aus­si s’inquiéter des dégâts cau­sés par l’incarcération sur les com­pagnes ou les enfants des déte­nus. Il nous faut réflé­chir col­lec­ti­ve­ment à ce qu’on consi­dère comme la meilleure façon de rendre jus­tice, notam­ment en par­tant des besoins de la vic­time. Qu’est-ce qui va lui don­ner le sen­ti­ment que jus­tice lui a été ren­due ? Une sanc­tion pénale ? Sociale ? Autre chose ? Il nous faut éga­le­ment tra­vailler, et c’est tout l’objet de ce qu’on appelle la “jus­tice trans­for­ma­tive”, sur l’accompagnement de l’auteur, sans que jamais cela ne repose sur la vic­time elle-même. »

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