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Tribunal de Marseille, octobre 2020 © A.C.

Cours cri­mi­nelles : une bonne nouvelle ?

Ce 1er jan­vier voit la créa­tion des cours cri­mi­nelles dépar­te­men­tales, conçues pour juger des crimes pas­sibles de 15 à 20 ans de pri­son mais sans plus de jurys populaires.

À par­tir du 1er jan­vier 2023, les crimes pas­sibles de quinze à vingt ans de réclu­sion ne sont plus jugés aux assises mais devant des cours cri­mi­nelles dépar­te­men­tales (CCD), à l’essai dans plu­sieurs dépar­te­ments depuis 2019. 

Exit les juré·es, ces citoyen·nes tiré·es au sort : la jus­tice est désor­mais ren­due par cinq magistrat·es professionnel·es. Une révo­lu­tion. Dans près de 90 % des cas, les
crimes rele­vant des CCD sont des viols. Aujourd’hui, face aux délais monstres des cours d’assises, de nom­breuses vic­times acceptent de se tour­ner, faute de mieux, vers le tri­bu­nal cor­rec­tion­nel : les viols sont jugés plus vite, mais requa­li­fiés en délits et minimisés. 

Ces tri­bu­naux d’un nou­veau genre peuvent-​ils évi­ter la « cor­rec­tion­na­li­sa­tion » des viols ? Ou créent-​ils une jus­tice au rabais, sans s’attaquer au pro­blème de fond, à savoir le manque alar­mant de moyens ? On en débat.

Pour : Stéphane Mazars

”Cela per­met d’obtenir un juge­ment, et donc la recon­nais­sance du sta­tut de vic­time, beau­coup plus rapidement”

Député Renaissance et rap­por­teur du pro­jet de loi Confiance dans l’institution judi­ciaire qui géné­ra­lise les cours cri­mi­nelles départementales

« Étant moi-​même avo­cat péna­liste, j’avais des appré­hen­sions au lan­ce­ment de l’expérimentation, d’autant plus que j’ai sou­vent plai­dé aux assises pour des vic­times de viols ou de vio­lences intra­fa­mi­liales. Mais la mis­sion d’information par­le­men­taire qui a per­mis d’évaluer ses retom­bées, dont j’étais le corap­por­teur, m’a ras­su­ré. J’ai pu suivre des audiences à Versailles et à Pau et me rendre compte par moi-​même de leur très bonne tenue. Nous avions mis des condi­tions pour que les cours cri­mi­nelles ne deviennent pas une sous-​justice cri­mi­nelle : que l’oralité des débats soit pré­ser­vée et que son pré­sident ait déjà pré­si­dé une cour d’assises. Ces points ont été rete­nus dans la loi qui les généralise.

L’intégralité des inter­lo­cu­teurs audi­tion­nés au cours de ma mis­sion, y com­pris les avo­cats de vic­times, nous a fait part de consé­quences posi­tives. La pre­mière, ce sont les délais réduits pour avoir une audience. Cela per­met d’obtenir un juge­ment, et donc la recon­nais­sance du sta­tut de vic­time, beau­coup plus rapi­de­ment. On sait que le pro­ces­sus de répa­ra­tion com­mence sou­vent par là. Aujourd’hui, l’embouteillage devant la cour d’assises est tel que les délais d’attente peuvent atteindre qua­rante mois. C’est ce qui pousse les plai­gnantes à accep­ter la cor­rec­tion­na­li­sa­tion des viols.

Pour l’avoir vécu en tant qu’avocat, je peux vous assu­rer que ce n’est satis­fai­sant pour per­sonne de pas­ser l’après-midi au tri­bu­nal avec une cliente pour que son dos­sier soit jugé entre un tra­fi­quant de stu­pé­fiants et un vol à main armée… Avec les cours cri­mi­nelles, on va plus vite, tout en pré­ser­vant des condi­tions très proches de celles des assises : on recon­naît que la plai­gnante a été vic­time des faits par­mi les plus graves, on prend le temps de l’écouter lon­gue­ment pour juger son affaire, dans une salle qui lui est consa­crée. Les audiences peuvent aus­si s’avérer moins trau­ma­ti­santes face à cinq magis­trats pro­fes­sion­nels que devant un jury populaire.

Aux assises, cer­taines plai­gnantes appré­hendent de devoir affron­ter le regard des jurés. Les cours cri­mi­nelles offrent un com­pro­mis accep­table et les vic­times gardent la pos­si­bi­li­té de faire appel devant une cour d’assises. » 

Contre : Laure Heinich

”Ce n’est pas rien de faire entrer chaque année dans les tri­bu­naux une dizaine de mil­liers de citoyens tirés au sort : ils voient la façon dont la jus­tice se déroule, ils en parlent autour d’eux”

Avocate péna­liste

« Cette réforme n’est menée que pour des ques­tion d’économie et ne concerne qu’un crime : celui de viol. Si l’on vou­lait réel­le­ment lut­ter contre sa cor­rec­tion­na­li­sa­tion, on don­ne­rait davan­tage de moyens à la jus­tice pour que les dos­siers soient jugés en temps et en heure. En créant des cours spé­ciales, on crée une jus­tice d’exception et une forme de “super-​correctionnalisation“.

Les cours cri­mi­nelles font perdre l’apport démo­cra­tique des jurys popu­laires. On peut sans doute dis­cu­ter de la réelle influence des jurés sur les juge­ments aujourd’hui, face aux pré­si­dents de cours d’assises. Mais ce n’est pas rien de faire entrer chaque année dans les tri­bu­naux une dizaine de mil­liers de citoyens tirés au sort : ils voient la façon dont la jus­tice se déroule, ils en parlent autour d’eux. C’est d’autant plus impor­tant pour les crimes de viol, car beau­coup de gens ne com­prennent tou­jours pas de quoi l’on parle. Quand on passe trois jours à assis­ter à un pro­cès pour un viol qui n’a pas été com­mis dans la rue ou dans un par­king, mais au domi­cile, on com­prend toute sa com­plexi­té. Impliquer les jurés rem­plit aus­si une mis­sion d’éducation citoyenne. 

C’est aux assises que la jus­tice se déroule le mieux, car on prend encore le temps d’entendre et d’interroger des témoins, des experts. Lors de l’expérimentation, les juges des cours cri­mi­nelles ont pu audi­tion­ner des témoins. Mais est-​ce que cela va durer ? Ils sont cinq magis­trats aujourd’hui : qu’est-ce qui nous dit qu’ils ne seront pas bien­tôt trois ? 

Les réformes finissent tou­jours par suivre la rai­son ini­tiale pour laquelle elles ont été votées, et celle-​ci l’a été pour réduire les coûts. D’autant plus qu’il sera sans doute facile de réunir des cours cri­mi­nelles à Paris, mais en pro­vince, com­ment cela va-​t-​il se pas­ser ? Dans un petit tri­bu­nal de six magis­trats, si l’on mobi­lise le juge aux affaires fami­liales pour sié­ger, ses dos­siers se retrouvent à l’arrêt. On ne fait que dépla­cer l’obstruction de la jus­tice. À l’heure où l’on parle de grande cause natio­nale pour les vio­lences faites aux femmes, où l’on évoque l’entrée de l’avocate Gisèle Halimi au Panthéon, quelle blague ! C’est réduire à néant le tra­vail accom­pli pour la prise en consi­dé­ra­tion du viol comme un crime. C’est un gros recul. »

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